Last posts on obéissance2024-03-28T19:44:34+01:00All Rights Reserved blogSpirithttps://starter.blogspirit.com/https://starter.blogspirit.com/fr/explore/posts/tag/obéissance/atom.xmlerelyonhttp://erelyon.blogspirit.com/about.htmlSauvé par les œuvres !tag:erelyon.blogspirit.com,2017-08-06:30954272017-08-06T12:14:00+02:002017-08-06T12:14:00+02:00 Dimanche 6 août 2017 Télécharger Jacques 2.14-26 Jonah...
<p>Dimanche 6 août 2017</p><p style="text-align: left;"><img src="https://ak5.picdn.net/shutterstock/videos/7608847/thumb/1.jpg" alt="" width="360" height="210" /></p><p><object data="http://erelyon.blogspirit.com/files/dewplayer.swf?son=http://westofparis.com/erelyon/2017/20170806_Jacques_2_14_26_Sauve_par_les_oeuvres.MP3" type="application/x-shockwave-flash" width="200" height="20"><param name="data" value="http://erelyon.blogspirit.com/files/dewplayer.swf?son=http://westofparis.com/erelyon/2017/20170806_Jacques_2_14_26_Sauve_par_les_oeuvres.MP3" /><param name="src" value="http://erelyon.blogspirit.com/files/dewplayer.swf?son=http://westofparis.com/erelyon/2017/20170806_Jacques_2_14_26_Sauve_par_les_oeuvres.MP3" /></object> <sup><a href="http://www.westofparis.com/erelyon/2017/20170806_Jacques_2_14_26_Sauve_par_les_oeuvres.MP3">Télécharger</a></sup></p><p>Jacques 2.14-26</p><p>Jonah Haddad | 21 min</p><p> </p><p><iframe width="320" height="240" style="width: 340px; height: 42px; overflow: hidden;" src="http://www.facebook.com/plugins/like.php?href=http://erelyon.blogspirit.com/archive/2017/08/06/sauve-par-les-oeuvres-3095427.html &locale=fr_FR&layout=standard&show_faces=false&width=450&action=like&font=verdana&colorscheme=light&height=21" scrolling="no" frameborder="0" allowtransparency="true"></iframe></p>
erelyonhttp://erelyon.blogspirit.com/about.htmlLe Chant du pèlerin : sa directiontag:erelyon.blogspirit.com,2014-07-27:30135112014-07-27T12:15:00+02:002014-07-27T12:15:00+02:00 Dimanche 27 juillet 2014 Télécharger Psaume 84.10-13...
<p>Dimanche 27 juillet 2014</p><p style="text-align: left;"><img id="media-686518" style="margin: 0.7em 0;" title="" src="http://westofparis.com/erelyon/images/Sentier.jpg" alt="Sentier.jpg" /></p><p><object width="200" height="20" data="http://erelyon.blogspirit.com/files/dewplayer.swf?son=http://westofparis.com/erelyon/2014/20140727_Psaume_84_10_13_Le_Chant_du_pelerin_sa_direction.MP3" type="application/x-shockwave-flash"><param name="data" value="http://erelyon.blogspirit.com/files/dewplayer.swf?son=http://westofparis.com/erelyon/2014/20140727_Psaume_84_10_13_Le_Chant_du_pelerin_sa_direction.MP3" /><param name="src" value="http://erelyon.blogspirit.com/files/dewplayer.swf?son=http://westofparis.com/erelyon/2014/20140727_Psaume_84_10_13_Le_Chant_du_pelerin_sa_direction.MP3" /></object> <sup><a href="http://westofparis.com/erelyon/2014/20140727_Psaume_84_10_13_Le_Chant_du_pelerin_sa_direction.MP3">Télécharger</a></sup></p><p>Psaume 84.10-13</p><p>(Alexandre Sarran) | 34 min</p><p> </p><p><iframe width="320" height="240" style="border: currentColor; width: 340px; height: 42px; overflow: hidden;" allowtransparency="true" frameborder="0" scrolling="no" src="http://www.facebook.com/plugins/like.php?href=http://erelyon.blogspirit.com/archive/2014/07/27/le-chant-du-pelerin-sa-direction-3013511.html&locale=fr_FR&layout=standard&show_faces=false&width=450&action=like&font=verdana&colorscheme=light&height=21"></iframe></p>
hommelibrehttp://leshommeslibres.blogspirit.com/about.htmlCarnet d’un rêveur (11)tag:leshommeslibres.blogspirit.com,2012-07-02:32982472012-07-02T18:41:00+02:002012-07-02T18:41:00+02:00 Marco ne dit rien. Il ne faut rien dire. Seulement attendre. Il...
<p style="text-align: justify;"><a href="http://leshommeslibres.blogspirit.com/media/02/00/2967675890.jpg" target="_blank"><img src="http://leshommeslibres.blogspirit.com/media/01/00/3561151414.jpg" id="media-119629" alt="grotte.jpg" style="border-width: 0; float: left; margin: 0.2em 1.4em 0.7em 0;" name="media-119629" height="221" width="294" /></a>Marco ne dit rien. Il ne faut rien dire. Seulement attendre. Il scrute les cavités dans le mur de pierre circulaire. Elles sont trop sombres et la lumière du ciel l’éblouit. Il ne voit rien.<br /> <br /> - Où êtes-vous? Pourquoi vous cacher? Je sais qui vous êtes. J’ai croisé deux fois votre voiture. Sortez, que je vous voie!<br /> <br /> Marco oublie la menace du fusil et tourne dans cette excavation ronde. Puis il s’enhardit et pénètre à l’intérieur d’une des grottes.<br /> <br /> - Ohé! Où êtes-vous?<br /> <br /> - ... Ohé... ê... ou...<br /> <br /> L’écho vient de partout. L’effet de la pierre trouble toujours son esprit.<br /> <br /> - Je vous entends! Combien êtes-vous?<br /> <br /> - ... E... ous... en-en... iii...ê... ou...<br /> <br /> Il avance dans l’ombre. La caverne donne accès à un étroit tunnel plus haut que sa taille. Rapidement l’air fraîchit. Le tunnel conduit à une petite salle faiblement éclairée par une faille vers le haut. De cette salle partent trois autres tunnels.<br /> <br /> - Lequel prendre?<br /> <br /> La voix sans corps semble proche de lui.<br /> <br /> - Lequel prends-tu? Dans l’un des tunnels un trou te fera chuter. Un puits profond d’où personne ne pourra te sauver. Dans le deuxième tu trouveras un nid de scorpions affamés. Le troisième est une impasse.<br /> <br /> Marco tente d’attraper son interlocuteur. Il accomplit des mouvements brusques des bras mais n’accroche que du vide. Croyant le sentir dans son dos il fait volte-face. Personne. A sa droite. Personne. Il tourne encore jusqu’à voir quatre entrées de tunnels. Il ne reconnaît pas celui d’où il vient. Quatre entrées.<br /> <br /> - Alors, lequel?<br /> <br /> Il ne bouge plus. Il est figé. L’effet de la pierre accentue sa lucidité. Il connaît cet état. Il le connaît depuis l’enfance. C’est un ressac. Il revoit des scènes comme s’il les vivait à nouveau. La grande peur qui s’était emparée de lui quand, enfant, il était parti trop loin du village. La nuit l’avait surpris. Ce n’est pas que le chemin fût invisible; la faible lueur des étoiles éclairait la trace. C’était la peur. Peur d’être là, seul, dans cette immensité, ne voyant même plus les toits des maisons ni la montagne contre laquelle le village était accolé. Il s’était assis sur un rocher comme sur un promontoire où il aurait été hors d’atteinte des bêtes sauvages et des ennemis de toutes sortes qui peuplaient, croyait-il, l’espace qui l’entourait.<br /> <br /> La peur! Mais pourquoi donc l’avait-elle pris si intensément? Les bêtes sauvages n’existaient que dans son imagination. Les lions du désert, les guépards, les hyènes moqueuses et les ours sabres avait disparu depuis longtemps de la région. Il aurait pu croiser un renard des sables, tout aussi effrayé que lui. Il y avait les serpents. Et les scorpions. Et les rats du désert qui vous mordent jusqu’à l’os s’ils ne trouvent pas d’autre proie. Bien sûr les serpents peuvent être dangereux. La plupart d’entre eux se contentent d’insectes comme des sauterelles ou des scarabées. Mais certains sont capables d’injecter un venin. La plaie gonfle et devient noire et très douloureuse pendant plusieurs jours. Sur le rocher, il était à l’abri des serpents. Mais pas des scorpions. Aussi regardait-t-il autour de lui en permanence pour tenter d’apercevoir, dans la presque obscurité, ces bêtes dont le dard est porté comme un sabre.<br /> <br /> Son imagination était fertile. Les bêtes sauvages supposées le menacer n’en étaient que plus grandes. La peur et l’imagination font bon ménage dans l’esprit des enfants. Ce ménage ne divorce pas une fois adulte. C’était donc la peur qu’il rencontrait ici, à l’intérieur de cette montagne. Il devait choisir un chemin parmi quatre sans savoir lequel le conduirait sain et sauf vers un lieu plus confortable. Sa conscience modifiée donnait à cette petite <a href="http://leshommeslibres.blogspirit.com/media/02/00/2509447110.jpg" target="_blank"><img src="http://leshommeslibres.blogspirit.com/media/01/02/3071951202.jpg" id="media-119630" alt="lune.jpg" style="border-width: 0; float: right; margin: 0.2em 0 1.4em 0.7em;" name="media-119630" height="304" width="202" /></a>salle de pierre un caractère métallique. Ce n’était pas un étau, plutôt un sorte de bandage de fer collé sur la paroi et que rien pouvait transpercer. Enfant, sur le rocher, il s’était aussi senti enfermé. Un enfermement terrifiant puisqu’autour de lui il y avait tout l’espace. Les murs n’existaient qu’en lui-même. Les murs en soi sont les plus infranchissables.<br /> <br /> Pendant des heures il avait combattu l’envie de disparaître. Mais il n’avait pas trouvé le courage de descendre du rocher et de reprendre le chemin du village. Il aurait pu crier. Mais crier c’était comme les trompettes de Jéricho: faire écrouler le mur que sa peur construisait. La peur avait été plus forte. Il était resté là pendant des heures. Transi dans la nuit fraîche du désert. Il pensait être seul au monde. Perdu. Abandonné de tous. Personne n’aurait l’idée de venir le chercher ici. D’ailleurs le village était trop loin pour que quelqu’un s’aventurât au risque d’affronter les bêtes sauvages qu’il imaginait et qui, au fil des heures, devenaient de plus en plus énormes. Le croissant de lune montante avait disparu. Il s’était alors endormi.<br /> <br /> Une forte douleur à la jambe l’avait réveillé. Une douleur aiguë. Une sorte de piqûre ou de découpage, comme à l’aide d’une pointe de couteau. Une grande angoisse l’avait saisi. Mais il ne criait toujours pas: les monstres l’auraient repéré. Il restait collé au rocher sans bouger, avec cette douleur dont l’intensité augmentait rapidement. C’était sûrement un serpent. Ou un scorpion. Alors il pensa qu’il allait mourir. Ses brèves années de vie repassèrent devant ses yeux. Il n’y avait rien à en garder. Il était trop jeune. Son existence n’avait pas encore marqué le monde. Il allait donc mourir seul et inutile. Inutile, il ne le pensait pas. C’était seulement un sorte de sentiment diffus d’arrière-plan, une chose que l’on voit sans la voir. Il s’était mis à pleurer doucement. Il pleurait sur lui-même. Il pleurait d’être abandonné. Personne ne viendrait le sauver. Cette idée resta longuement dans son esprit.<br /> <br /> Plus les heures passaient plus le désespoir grandissait. À un moment il ne lui importa plus d’être dévoré par les monstres. Il pensa même que ce serait un soulagement. Malgré la douleur persistante à sa jambe il se leva, descendit du rocher et se mit à courir, à courir, comme s’il cherchait la sortie d’un monde qui se dérobait et s’allongeait à mesure qu’il avançait. Il courut sans savoir combien de temps. Courir était son salut. En courant il ne pensait pas. Quand il s’arrêtait, essoufflé, le désespoir revenait et les larmes sortaient à gros bouillons. Alors, bien que ses muscles fussent douloureux, il reprenait sa course. Il courait, il courait. Peu importait où il allait! Ce qui comptait c’était l’action. Longtemps après cette expérience il avait retenu cette idée: l’action comptait, pas les larmes. Quand le jour commença à pointer il courait encore. Quand le soleil se leva, il courait encore. Quand la fraîcheur de la nuit céda devant l’onde tiède qui galopait sur le désert il courait encore. Il avait oublié la douleur qui mordait sa jambe. Il avait oublié la peur qui mangeait son coeur. Il avait alors entendu des voix qui appelaient. C’étaient les gens de son village<br /> <br /> De retour à sa maison, ses parents l’avaient serré dans leurs bras comme un fils perdu qui revient. On regarda sa jambe: un grosse fourmi était écrasée sur la peau. Elle avait fait une petite entaille et les chairs autour étaient rougies. Tout cela pour une fourmi! À huit ans cette fourmi fut le plus grand ennemi qu’il avait affronté. Pendant longtemps il n’accepta pas que l’on se moque. Grâce à cette fourmi sa peur et son désespoir avaient une raison d’être. «Elle aurait pu être venimeuse, ou dévoreuse, dévoreuse d’enfants! On connaît des fourmis rouges qui mangent les gens.» L’instituteur avait raconté en classe l’histoire de ces fourmis qui ne laissent de vous que des ossements et la ceinture de votre pantalon. Bien des années après cet épisode, il commença à en sourire. Mais aujourd’hui il retrouve cette angoisse, cette impossibilité d’agir, ce sentiment d’être seul et abandonné.<br /> <br /> Il se rappelle encore la mort de son père. Impalpable, insaisissable, incompréhensible. Ce fut la même immobilité. Pendant des semaines il resta intérieurement figé sur l’absence. Figé dans l’attente d’un retour, pour ne pas avoir à accepter l’inexplorable dramaturgie de sa vie sans ce héros. Pour ne pas voir qu’il entrait dans la solitude. Une solitude que rien n’allait plus remplir désormais. Sa mère lui avait donné beaucoup d’amour pour compenser l’absence. Elle se sentait probablement redevable envers lui du départ brutal d’un pilier dans sa construction intérieure. Pourtant elle n’avait aucune responsabilité dans la mort de son mari. Le destin est comme il est. Un tigre. Il dort paisiblement sur le côté. Il montre son ventre. On n’a même pas peur. Il vous donne confiance. Il vous laisse aller et venir. Vous approchez, perdez toute vigilance. Et quand plus aucune crainte salutaire ne vous habite, quand vous croyez être devenus immortels, le tigre, dont vous n’aviez pas vu l’oeil entrouvert sous les plis de la paupière, le tigre se réveille. Et malgré sa masse que l’on dirait pataude, que l’on voudrait prévisible, il bondit et de sa patte il vous arrache le coeur.<br /> <br /> - Alors, dit la voix qui semble se multiplier dans toutes les directions, que vas-tu faire ? Rester là? Ou prendre un tunnel? Ah, tu ne sais plus que décider. Par où es-tu venu? Tu l’as oublié. Un des quatre tunnels te ramène à la lumière. Mais lequel?<br /> <br /> Le son de la voix s’est amplifié et c’est maintenant un éclat de rire tonitruant qui transperce ses oreilles.</p> <p style="text-align: justify;"><i>A suivre.</i></p> <p style="text-align: justify;"> </p> <p style="text-align: justify;"><a target="_blank" href="http://leshommeslibres.blogspirit.com/carnet-d-un-reveur/"><span style="text-decoration: underline;"><b><i>Parties précédentes ici.</i></b></span></a></p> <p style="text-align: justify;"> </p><p style="text-align: justify;">Marco pourrait s’asseoir près de la cascade. Il ne le fait pas. La voix obscure jaillit encore des murs.<br /> <br /> - Cette eau n’est rien. Un filet, un fil. Rien! Ni odeur ni nuages. Encore moins d’infinité. Tu peux t’asseoir si tu veux. Tu peux la boire. Tu n’en auras que pour ta soif. Rien pour le voyage. Rien pour le rêve. Cette eau tombe et disparaît. Tombe donc, et disparais! Personne ici ne t’a appelé. Il n’y a pas de mer. Pas de mer! Pas d’infinité. Si tu connaissais la mer tu ne serais pas venu te perdre dans cette montagne. Ah, la mer et ses promesses. Connais-tu la mer? Que connais-tu de la mer?</p>
hommelibrehttp://leshommeslibres.blogspirit.com/about.htmlCarnet d’un rêveur (10)tag:leshommeslibres.blogspirit.com,2012-06-25:32982342012-06-25T17:12:00+02:002012-06-25T17:12:00+02:00 Elle pousse son cheval au galop sur le sable durci. Des buissons égarés...
<p style="text-align: justify;"><a href="http://leshommeslibres.blogspirit.com/media/02/02/306129225.jpg" target="_blank"><img src="http://leshommeslibres.blogspirit.com/media/02/01/4243701437.jpg" id="media-119148" alt="cheval4.jpg" style="border-width: 0pt; float: left; margin: 0.2em 1.4em 0.7em 0pt;" name="media-119148" height="351" width="228" /></a>Elle pousse son cheval au galop sur le sable durci. Des buissons égarés s’élèvent ça et là. Carcasses d’efflorescences passées, plus transparentes que le vent qui les plie. Les graines tombées à leur pied guettent la pluie. Ici c’est le désert. Les plantes poussent en quelques heures à la première averse. Elle font l’amour avec la pluie. Elles meurent aussitôt le sol desséché. Leurs semences résistent aux longues brûlures du soleil et à la morsure du sel, que parfois le vent de mer dépose en neige.<br /> <br /> Le sol tremble sous les sabots de l’étalon. Penchée sur l’encolure Fahoule respire l’odeur sauvage de la bête. La force animale gagne son cerveau et se répand dans ses veines. Ses bras, son ventre, ses cuisses vibrent. L’excitation monte. Son sexe est chaud. Une jouissance lente et forte envahit son corps. Elle se redresse, ôte foulard et chemise pour sentir l’air frapper sa peau nue. Un long cri sort de sa poitrine et de sa gorge, presque un chant. Elle aime ces chevauchées solitaires où son corps exulte, et le sentiment de puissance inachevée qui la prépare à la lutte. Gardienne du désert c’est là, dans l’extase de son corps et de son système nerveux, dans cette lumineuse sauvagerie, qu’elle puise la force qui la fait se sentir invincible.<br /> <br /> Fahoule connaît ce désert depuis son enfance. Assise derrière sa mère, les bras autour de sa taille, elle gravait dans sa mémoire chaque rocher que la cavale contournait, chaque banc de poussière blanche sur le drap jaune du sable. Elle connaît la direction de tous les vents et ce qu’ils disent. Quand sa mère donnait une heure de repos à sa monture elles ne parlaient pas. Elles écoutaient. Les bruits du désert ne sont pas ceux de la ville. Il faut mettre du silence en soi pour entendre. Quel est ce raclement? Un insecte qui traîne une patte. Et ces crissements? Des grains de mica sur d’autres grains de mica. Et ce souffle? Le serpent qui rampe sous une pierre. Des échos lointains, ou peut-être des mirages acoustiques, se mélangent parfois jusqu’à former des mélodies étranges. C’est ainsi que Fahoule avait appris à discerner les sons au-delà des capacités d’une oreille ordinaire. Tout son avait un sens, tout sens pouvait être déchiffré en écoutant.<br /> <br /> L’année de ses dix ans un ouragan avait balayé le désert. Un ouragan terrible. Après lui tout avait changé. On croit que le désert ne change pas. Il change tous les jours. Les repères se déplacent. Il faut anticiper leur mouvement pour ne pas se perdre. La nuit on se fie aux étoiles, le jour au soleil. Mais si l’on dévie de seulement quelques dizaines de mètres, au bout de la journée ce sont des kilomètres et l’on ne trouve pas le point d’eau. Sans eau il faut espérer que quelqu’un se mette à votre recherche. Ou boire le sang de votre cheval - mais pas trop. S’il mourrait en route vous mourriez aussi.<br /> <br /> Ce grand ouragan reste dans les mémoires comme une frontière dans le temps. Il était venu par la mer. D’abord on vit des poissons tomber du ciel. L’éclat de la foudre brillait encore dans leurs yeux. Après vint le vent. Un vent comme jamais on n’en avait connu. Un vent si démesuré que pendant longtemps il souffla dans les rêves. Puis la pluie noya la plaine sous près d’un demi-mètre d’eau. L’ouragan demeura trois jours. Demeurer est le terme juste. On aurait dit qu’il s’éternisait et s’acharnait sur le désert faute d’y trouver des maisons à aplatir et des arbres à arracher. Il tournait, faisait mine de partir, tournait encore et revenait comme un fauve affamé qui déchire sa proie après l’avoir laissée presque exsangue. La <a href="http://leshommeslibres.blogspirit.com/media/00/02/3365923121.jpg" target="_blank"><img src="http://leshommeslibres.blogspirit.com/media/00/02/2595514157.jpg" id="media-119149" alt="Ouragan.jpg" style="border-width: 0pt; float: right; margin: 0.2em 0pt 1.4em 0.7em;" name="media-119149" height="235" width="349" /></a>proie croit être sauvée quand elle voit enfin le dos du fauve. Mais elle ferme les yeux de terreur quand il se retourne et vient lacérer encore une fois son ventre et son dos.<br /> <br /> Le clan de Fahoule, le clan du sel, s’était réfugié dans une grotte alors que la nuit avait remplacé le jour. L’épaisseur et l’étendue des nuages fermait le ciel dans toutes les directions. Le clan fut sauvé de la destruction en quittant son campement avant que l’ouragan ne renverse le monde. C’était grâce à Fahoule. Elle avait entendu le vent bondir contre ces nuages étirés dont parfois le ciel s’habille. Pourquoi l’avait-on crue? Elle, une enfant de dix ans qui passait son temps à courir le silence avec sa mère? Peut-être parce Fahoule possédait ce talent d’entendre. Ou grâce à cette mère dont l’éducation était ferme et juste. Fahoule avait certes une belle imagination mais elle n’aurait jamais signalé un bruit si elle ne l’avait entendu. Ou simplement parce que sa voix et son regard ne pouvaient mentir. Ceux du clan du sel éduquent leurs enfants avec fermeté mais ils savent les écouter. Devenus adultes ceux-ci connaissent leur place et leur valeur. C’est l’économie humaine du désert. On ne se dépense pas en larmes et querelles superflues.<br /> <br /> Depuis la montagne rouge il faut deux heures pour rejoindre le campement. A son arrivée, femmes et hommes se groupent autour d’elle. L’essoufflement du cheval indique la rapidité de la chevauchée et l’importance des nouvelles. On lui apporte à boire et de quoi rafraîchir son visage. Son frère conduit le cheval au point d’eau. Le groupe se rend sous la tente de réunion où le Conseil les attend. Le Conseil est constitué par le dixième des membres du clan. Il n’a que peu de pouvoir. Les membres du clan du sel n’aiment pas être dirigés. Une assemblée se réunit et décide à la majorité. Le Conseil entérine ses décisions. On demande à Fahoule de faire son rapport sur sa dernière mission. Elle parle de Marco et de sa vision du forgeron. Quelque chose se prépare. Marco a sucé la pierre verte et va trouver sous peu l’ermitage de l’Oeil d’aigle. Il y est peut-être déjà. Kekko sera en ville avant le soir. On connaît le pacte des forgerons. Il demandera l’aide de ses confrères. Ils chercheront Marco. S’ils le trouvent là ils le tueront et profaneront le lieu. Il faut mener une expédition pour empêcher cette profanation.<br /> <br /> Dans l’assemblée on rappelle le combat contre les forgerons.<br /> <br /> - Le clan du sel et celui de la montagne avaient perdu beaucoup de guerriers, dit un membre. Aujourd’hui le clan de la montagne s’est établi dans les monts de l’est, trop loin pour nous rallier rapidement. Nous sommes moins nombreux et plusieurs guerriers accompagnent un convoi de marchands vers les plantations du sud. Sommes-nous assez nombreux pour intervenir sans nous mettre en danger?<br /> <br /> - Tu as raison, dit un autre membre. Mais la profanation de l’ermitage serait dramatique. N’oublions pas que Jan le sage y vit. S’il était lui aussi tué notre équilibre judiciaire serait rompu.<br /> <br /> - Le conflit avec les forgerons ne finira donc jamais? demande-t-on.<br /> <br /> - Malheureusement ils sont capables de tout. Ils vivent comme au temps où ils levaient leurs milices et rendaient leur propre justice.<br /> <br /> - C’est vrai, leur système impose la soumission à leurs chefs. S’ils pouvaient nous éliminer tous ils le feraient. Notre liberté les dérange.<br /> <br /> - Même avec les marchands ils ne sont plus assez nombreux pour cela. De plus nos alliances pour protéger les caravanes nous ont attiré la bienveillance de nombreux commerçants. Ils ne suivront pas tous les forgerons comme la dernière fois.<br /> <br /> - On dit aussi que depuis le massacre des désaccords se sont exprimés sur le pacte.<br /> <br /> - Et n’oublions pas ce que représente cet ermitage pour nous.<br /> <br /> Tous en sont conscients et l’assemblée admet la nécessité d’une expédition. Le Conseil valide la décision par un vote unanime. L’assemblée évalue le besoin en guerriers. Dix devraient suffire. La géographie de l’ermitage de l’Oeil d’aigle autorise une protection économe en humains. Des volontaires se lèvent, dont un homme de grande taille habillé de bleu.<br /> <br /> - Non Ulam, pas toi, dit doucement Fahoule.<br /> <br /> <br /> ⁂</p> <p style="text-align: justify;"> </p> <p style="text-align: justify;"><i>A suivre.</i></p> <p style="text-align: justify;"> </p> <p style="text-align: justify;"><a target="_blank" href="http://leshommeslibres.blogspirit.com/carnet-d-un-reveur/"><span style="text-decoration: underline;"><b><i>Parties précédentes ici.</i></b></span></a></p><p style="text-align: justify;">Laissant Marco, Fahoule descend vers la plaine. Elle dispose de peu de temps. Arrivée au campement elle devra parler devant le Conseil, réunir des guerriers, établir une stratégie et revenir à la montagne rouge avant le forgeron. Elle sait déjà ce qu’il fera. Ne trouvant pas Marco en ville il fouillera les points d’eau de la région. L’ermitage de l’<i>Oeil d’aigle</i> doit être protégé.</p>
hommelibrehttp://leshommeslibres.blogspirit.com/about.htmlCarnet d’un rêveur (9)tag:leshommeslibres.blogspirit.com,2012-06-21:32982262012-06-21T00:11:00+02:002012-06-21T00:11:00+02:00 Le clan de la montagne et celui du sel s’étaient alliés. Ils envoyèrent...
<p style="text-align: justify;"><a href="http://leshommeslibres.blogspirit.com/media/00/02/642499806.jpg" target="_blank"><img src="http://leshommeslibres.blogspirit.com/media/00/00/742553669.jpg" id="media-118751" alt="Epée1.jpg" style="border-width: 0; float: left; margin: 0.2em 1.4em 0.7em 0;" name="media-118751" height="293" width="249" /></a>Le clan de la montagne et celui du sel s’étaient alliés. Ils envoyèrent des hommes pour laver l’affrront. Une cinquantaine de guerriers à cheval. Aux portes de la ville ils provoquèrent la confrérie des forgerons. Les guerriers mirent le feu à une première maison. Une famille était enfermée à l’intérieur. On entendit les coups sur la porte. Puis les cris. Puis les hurlements. Puis plus rien: le toit s’était effondré en flammes, effaçant ce qui restait de vie. Quand les forgerons arrivèrent c’était fini. Trop peu nombreux et moins entraînés ils demandèrent l’aide des marchands. Le combat dura plusieurs heures. On se battait avec toutes les armes disponibles. Les cavaliers avec leurs sabres durs et légers et des hachettes, les forgerons avec de longues épées difficiles à manier ou des couteaux, et les marchands ramassaient ce qu’ils trouvaient dans les maisons proches pour en faire des projectiles ou des massues. Les habitants s’étaient réfugiés près du port et déjà des bateaux les emmenaient en mer pour les protéger. Mais il n’y avait pas assez de bateaux. La puissance des cavaliers en terrain découvert était impressionnante - irrésistible. Quand ils firent céder le barrage des forgerons ils foncèrent à travers la ville vers les groupes apeurés qui remplissaient les quais. C’étaient des cibles faciles. On dénombra douze morts et de nombreux blessés. Les forgerons attirèrent alors les cavaliers dans des ruelles où il se battirent mètre par mètre. Dans ces espaces étroits ils étaient maîtres du terrain. Les membres des clans tombaient. Quand enfin ils trouvèrent le forgeron coupable il tranchèrent sa tête. Les cavaliers survivants repartirent vers leurs clan. La dette était payée. A quel prix! Vingt morts: sept forgerons, quatre marchands, et neuf guerriers avec leurs chevaux. Sans compter ceux des quais. Tous ces morts, pour l’honneur d’un chef et de sa fille! Jamais on ne faisait de guerre pour un paysan. Dans le système vertical ceux qui sont au-dessus comptent plus que les autres.<br /> <br /> On critiqua durement les autorités pour ne pas avoir fait la police. Le gouverneur de la province démissionna. La ville était sous le choc. Le soir, à la lumière des lampes, on resta accablé pendant des semaines, comme dans un creux. Puis on recommença à parler. L’honneur valait-il autant de morts? Le sang était-il la seule manière de payer une dette? Et la dette, encore faudrait-il en examiner les raisons et les conditions. L’honneur et le respect ont souvent été imposés par la force. Cela n’a pas fait disparaître l’injure de la surface de la Terre. Même la peur de la mort n’empêche pas l’atteinte à l’honneur. Mais le monde est ainsi. Il faut tuer l’injure si l’on est assez fort. Ou en être humilié devant tous si l’on est plus faible et mourir un jour la honte au coeur. Dans les villes modernes du nord il est interdit de faire justice soi-même. Un juge la rend au nom de la victime. Dans les villes du nord les gens ne se battent plus pour être respectés. Ils sont sortis de leur corps. Ils n’ont plus de corps. Ils n’ont plus qu’une grosse tête qui pense et des juges avec des têtes encore plus grosses qui décident à la place de tout le monde. Il y a aussi des sages qui disent qu’il faut se respecter et pardonner l’offense. Dans le système vertical ce sont surtout ceux d’en bas qui les écoutent. Ceux d’en haut font toujours couler le sang et régner la peur.<br /> <br /> - Je sais ce que certains pensent, reprend Kekko. Le pacte est une tradition ancienne, du temps où les corporations étaient puissantes et entretenaient leur propres milices contre les ennemis. Aujourd’hui l’Etat défend les corporations. Elles n’ont plus le droit de lever leur milices. Elles n’en ont d’ailleurs plus la puissance.<br /> <br /> Il fixe chaque personne dans les yeux.<br /> <br /> - Regardons-nous mes amis! Pauvres forgerons qui travaillons à la petite tâche, au petit prix, pour survivre petitement quand le monde nouveau fabrique des objets solides et beaux pour presque rien. Combien coûte un cheval? Et bien une automobile coûte à peine plus cher. Que nous reste-t-il?<br /> <br /> Kekko interroge du regard. Il répète plus fort:<br /> <br /> - Que nous reste-t-il? Avons-nous encore une place? Pouvons-nous prétendre à quelque dignité? Exigeons au moins l’honneur, si la grandeur nous abandonne! Qu’un jour nos enfants disent de nous: c’est mon père, c’est ma mère, j’en suis fier. Ils n’ont jamais démérité. Préférez-vous les voir partir en disant que nous appartenons au passé? Que jamais ils ne voudraient nous ressembler?<br /> <br /> On l’écoute attentivement. Le ton fait autorité.<br /> <br /> - Qu’ils disent un jour de nous: ils ont vécu à une époque difficile mais ils sont restés droits. Ce que nous avons reçu doit continuer pour notre descendance. C'est le cycle de la vie. Si nous abandonnons, nous renions ceux qui nous ont transmis leurs règles. Autant dire que si nous abandonnons nous sommes pires que morts.<br /> <br /> Le président l’arrête finalement.<br /> <br /> - Oui, oui, Kekko, nous comprenons fort bien tout cela. Mais j’aimerais que tu dises à nos hôtes le motif précis de ta visite. De quoi as-tu besoin?<br /> <br /> Kekko expose le conflit avec Marco, son départ, et le désarroi des chefs du village. Il souhaite que l’on enquête. Marco a-t-il été vu en ville ou dans les environs? Il demande qu’on l’aide à le retrouver.<br /> <br /> - Après je ferai ce que j’ai à faire.<br /> <br /> - Et que feras-tu? demande un homme qui n’a qu’un bras.<br /> <br /> - Je le tuerai.<br /> <br /> Un bruit de branches cassées, des pas précipités et un grand cri viennent du fond du jardin.<br /> <br /> - Non!<br /> <br /> - Qui va là? demande le président.<br /> <br /> - Non! Non non non! Tu ne le tueras pas.<br /> <br /> Lillie surgit de l’ombre.<br /> <br /> - Qui est-ce? Qui es-tu?<br /> <br /> - Si tu le tue je te tuerai!<br /> <br /> - Comment es-tu entrée? Qui es-tu?<br /> <br /> - C’est la mère de Marco, dit Kekko. Elle me suit depuis mon départ. Je croyais l’avoir perdue en ville.<br /> <br /> Lillie se jette sur Kekko et mord son nez jusqu’au sang. Kekko crie, la prend au cou et serre de ses mains puissantes jusqu’à la voir pâlir. Elle lâche enfin. Le nez du forgeron est rouge. Le bout est arraché sur un bon centimètre et pend. On s’empresse autour de lui. On apporte de l’eau et du coton pour nettoyer et panser la plaie. Lillie s’est reprise et tape sur sa tête. Sa bouche et son menton dégoulinent du sang de Kekko. Il faut deux hommes solides pour l’éloigner et la maintenir. Elle crie encore.<br /> <br /> - Non non non! Je te tuerai avant, et si je ne peux le faire avant je te tuerai après. Tu ne toucheras pas à mon fils. Par tous les diables de l’enfer sois maudit si tu touches un seul de ses cheveux!<br /> <br /> L’assemblée si concentrée est soudainement agitée et bruyante. Dans le charivari qui suit chacun relâche en partie la tension qui s’était installée. Les uns lancent des imprécations, d’autres s’opposent à Kekko. D’autres encore vont voir le nez, le touchent, appuient en demandant si cela fait mal. Le sang coule de plus belle. On bouge, on s’affaire, on renverse une assiette, puis la table où sont posés les plats. Pour un peu le feu serait éparpillé contre la maison. Le président tente de mettre de l’ordre. Il n’y parvient pas. Le nez de Kekko est au centre de l’attention. Il faut aller chez le médecin et recoudre, disent les uns. Non il faut couper, disent les autres. Quand le sang coule moins Kekko pose une compresse et la tient serrée.<br /> <br /> - Ecoutez-moi. Ecoutez-moi! Mon nez se recollera. Revenons à Marco.<br /> <br /> Les femmes et les hommes regagnent leurs chaises. Chacun commente encore ce qui s’est passé. Lillie est maintenue à l’écart.<br /> <br /> - Ecoutez-moi.<br /> <br /> Le silence revient. Ils regardent le rouge s’élargir sur la compresse de coton clair.<br /> <br /> - Je vous le demande solennellement: êtes-vous prêts à respecter le pacte et à m’aider?<br /> <br /> L’homme qui n’a qu’un bras prend alors la parole.</p> <p style="text-align: justify;"> </p> <p style="text-align: justify;">* * *</p> <p style="text-align: justify;"> </p> <p style="text-align: justify;"><i>A suivre.</i></p> <p style="text-align: justify;"> </p> <p style="text-align: justify;"><a target="_blank" href="http://leshommeslibres.blogspirit.com/carnet-d-un-reveur/"></a><a target="_blank" href="http://leshommeslibres.blogspirit.com/carnet-d-un-reveur/"><span style="text-decoration: underline;"><b><i>Parties précédentes ici.</i></b></span></a></p> <p style="text-align: justify;"><i><br /></i></p><p style="text-align: justify;">Les mots de Kekko frappent le jardin comme un marteau. Des serpents sifflants lacèrent l’espace dans les têtes. Le pacte des forgerons! La dernière fois qu’il fut évoqué il y eut un bain de sang. Pour un mot de travers. Un forgeron éconduit avait froissé la fille d’un chef. Ici chaque mot compte, même le plus léger. Des morts, des mutilés, des rues noyées de rouge. Des cris, et des larmes pendant des semaines. La ville et toute la province furent sinistrées. Un festin de bêtes. On voyait, jusqu’au fond des ventres découpés, la violence qui parfois déshabille l’humain.</p>
hommelibrehttp://leshommeslibres.blogspirit.com/about.htmlCarnet d’un rêveur (8)tag:leshommeslibres.blogspirit.com,2012-06-17:32982182012-06-17T00:15:00+02:002012-06-17T00:15:00+02:00 A l’heure dite les invités arrivent. On se salue, on parle des enfants....
<p style="text-align: justify;"><a href="http://leshommeslibres.blogspirit.com/media/01/02/4027850848.JPG" target="_blank"><img src="http://leshommeslibres.blogspirit.com/media/01/02/2845245461.JPG" id="media-118406" alt="feu1.JPG" style="border-width: 0; float: left; margin: 0.2em 1.4em 0.7em 0;" name="media-118406" height="223" width="300" /></a>A l’heure dite les invités arrivent. On se salue, on parle des enfants. La plupart connaissent déjà Kekko et sa fameuse épée. On lui demande des nouvelles du village. A-t-il trouvé une femme? Non, il n’a pas le temps pour une femme. Il veut forger une épée comme on n’en aura jamais vue. Il deviendra riche, sa renommée attirera les visiteurs et son village renaîtra. Tous les invités sont présents. Le président les invite à commencer le repas. Ils s’assoient en rond sur des chaises basses avec une assiette sur les genoux. La table n’est pas assez grande pour recevoir tout ce monde. On l’utilise pour poser les plats. Les enfants remplissent les assiettes. Quand tout le monde est servi ils s’installent eux aussi. On blague l’hôte:<br /> <br /> - Président, quand achèteras-tu une table assez grande pour nous tous?<br /> <br /> - Je préfère mettre mon argent dans du bon métal et un soufflet plus puissant que dans une table, répond-il en souriant.<br /> <br /> La brise de mer transporte des odeurs de poissons et d’algues. Une petite fraîcheur agréable traverse le jardin. Le président donne la parole à Kekko. Celui-ci rappelle d’abord combien la vie devient difficile. Dans son village tout se compte. Les cultures sont rares et ne permettent pas de faire de réserves. La pluie manque depuis trois ans. L’eau est comptée. On est à la merci d’un tarissement des sources. Les tisserands vendent encore leurs étoffes. Mais pour combien de temps? La concurrence est rude avec les grandes filatures du nord. Lui-même forge des objets exceptionnels. Sans cela personne n’aurait plus besoin de lui. D’ailleurs qui vend encore assez pour vivre et prospérer? Les forgerons d’ici survivent à peine. Ils exportent des objets d’artisanat: fibules, boucles d’oreilles et bracelets pour les touristes des capitales sur le continent. Mais qui fabrique encore les assiettes, les pots, les couteaux, les ferrures de portes, les armes qui ont fait leur ancienne renommée? C’est bien fini. Pendant des centaines de générations les forgerons ont créé la richesse du pays. Les marchands venaient de partout. Les commandes affluaient. La ville avait grandi. Des villages sortaient de terre pour loger les immigrants attirés par la réputation d'opulence que les marchands colportaient lors de leurs voyages. Ceux qui travaillaient bien faisaient de bonnes ventes. Aujourd’hui beaucoup sont repartis ailleurs. L’industrie mange le travail des artisans. Le monde change. Il faut être solide pour rester au pays. S'il n'y a plus la richesse on a besoin d'autre chose. D'autres repères. Kekko avait choisi de demeurer au village parce que l'on s'y connaît. Quand on se connaît, même pauvre on est quelqu'un. C'est pourquoi les règles sont importantes. Elles maintiennent la communauté et l’autorité des chefs. L’insoumission aux règles menace leur survie. Le village pourrait tomber en ruine morale. Sans raison d’être ensemble, autant disparaître.<br /> <br /> - Je ne veux pas disparaître. Je resterai même si la possibilité de vivre s’amenuise. Les autres pensent comme moi. L’insoumission doit être punie. Si Marco reste vivant il deviendra un exemple. On ne peut laisser faire.<br /> <br /> Il prend une longue inspiration. Le feu lance des éclats irréguliers sur les murs du jardin. La brise a laissé place au vent de terre, chargé d’une épaisse chaleur. Chacun se tait. Le silence est l’un des derniers mystères. Qui sait ce qui se passe dans le silence quand la parole cesse? Personne. Même pas celui qui retient son souffle. Derrière ses raisons il y a d’autres raisons qu’il ignore. La parole est parfois étrange. Elle suit un cours qui toujours conduit au conflit. Il ne peut y avoir un mot, une pensée, sans qu’il y ait un autre mot, différent, et une autre pensée qui se distingue de la première. Le silence, lui, est comme avant le début de l’univers. Quand rien n’est différencié. Quand il n’y a encore que l’un sans second. Enfin, peut-être. Les politiciens voudraient l’un sans second dans un déluge de mots. Ils voudraient que leurs mots recréent l’unité première. Mais il ne peuvent la rétablir dans le multiple qu’ils engendrent eux-mêmes. Toutes leurs théories passeront. Les humains et leurs questions resteront, condamnés à entretenir leurs différences pour manifester leur existence.<br /> <br /> Le désaccord dresse la vie vers la lumière. L’accord la couche et la ramène à l’indifférencié. Au néant. A la tyrannie. Pour Kekko, tous pareils c’est la vie. Pour Marco c’est la mort.<br /> <br /> Kekko s’est interrompu depuis plusieurs minutes. Personne ne s’aventure à briser le silence. Les bruits de la ville passent comme une rivière. Il sait à quoi il s’engage. Ce n’est pas qu’il doute. Ce n’est pas non plus qu’il ait peur. Kekko n’a pas peur. Quand il décide il fait. Dût-il marcher des jours sans manger ni boire. Il retient sa parole. Chaque minute de silence lui donne plus de force. Les autres attendent. Ils se pénètrent d’une évidence: quelque chose de solennel se prépare. La tension clôt les lèvres et fixe les regards au sol.<br /> <br /> Enfin Kekko reprend.<br /> <br /> - J’invoque ce soir devant vous le pacte des forgerons.</p> <p style="text-align: justify;"><br /> <i>A suivre.</i><br /> <br /> <br /> <span style="text-decoration: underline;"><b><i><a target="_blank" href="http://leshommeslibres.blogspirit.com/carnet-d-un-reveur/"><span style="text-decoration: underline;"><b><i>Parties précédentes ici.</i></b></span></a></i></b></span></p><p style="text-align: justify;">Derrière la maison du président on s’affaire. Les filles préparent le repas. Les garçons dressent la table sur la terrasse. On attend près de quarante personnes, les forgerons et leurs épouses. Dans le jardin le père devise avec Kekko. La nuit tombe. Le plus jeune fils apporte des fruits frais et une lampe à pétrole. Les fruits sont acheminés depuis les vastes plantations du sud, à une journée d'ici, près du fleuve. L’immense marché de la ville est approvisionné quotidiennement. Le président et son épouse ont fait les achats dans l’après-midi, accompagnés de leur aîné et de ses deux soeurs. Au retour les sacs d’osiers étaient remplis. L’aîné portait un agneau dans les bras. L’agneau a été égorgé et préparé. Il cuit maintenant sur une broche devant un feu près de la maison.</p>
hommelibrehttp://leshommeslibres.blogspirit.com/about.htmlCarnet d’un rêveur (7)tag:leshommeslibres.blogspirit.com,2012-06-11:32982072012-06-11T16:11:00+02:002012-06-11T16:11:00+02:00 Il court devant la meute rugissante de ses colères. Plus loin il y a...
<p style="text-align: justify;">Il court devant la meute rugissante de ses colères.<br /> <br /> <a href="http://leshommeslibres.blogspirit.com/media/01/01/3305057418.JPG" target="_blank"><img src="http://leshommeslibres.blogspirit.com/media/01/01/1923409140.JPG" id="media-117973" alt="gorge2.JPG" style="border-width: 0; float: left; margin: 0.2em 1.4em 0.7em 0;" name="media-117973" /></a>Plus loin il y a un mur de petits arbres au branches acérées. La pente faiblit. Ici le vent contourne la montagne. Marco s’arrête. Le parfum de musc est intense. Il vient de la plaine. Un souffle de cheval. Un léger hennissement. Du poil. De la transpiration. Ils sont plusieurs qui avancent discrètement. Un cliquetis de métal, un foulard enroulé sur le visage: des guerriers. Il n’y a personne autour de lui. Mais il entend comme s’ils étaient à côté. Il ne saisit pas leur intention. Amis? Ennemis? Protection ou menace? Il est seul pour se défendre. Il ne peut compter que sur un apprentissage au combat reçu au village. Il était l’un des plus forts. Il plaquait au sol deux adversaires à la fois et les maintenait immobiles. Sa puissance inspirait crainte et admiration mais n’altérait pas son jugement. S’il en retirait de l’honneur et une fierté raisonnable, sa devise tenait en deux mots: force et justice.<br /> <br /> Un autre bruit vient de derrière. Derrière le mur d’arbres aux branches acérées. Un bruit comme des milliers de becs sur la pierre. Il cherche un passage. Il n’en trouve pas. À quelques pas se trouve pourtant un large passage. Il ne le voit pas. Il ne voit que ce qu’il regarde. Il ne voit pas ce qui est. Il traverse les arbres. Les branches le lacèrent. De l’autre côté il découvre un espace plat et dur, et un grand rocher planté au milieu comme une ancre. Au pied du rocher il reconnaît l’auto du voyageur. L’homme au carnet. Il n’y a personne et la voiture est vide. Comment est-elle arrivée jusqu’ici? Il suit les traces dans le sable. Elles mènent au passage, dernier tronçon d’un chemin qui semble venir de la plaine. Il ne voit pas bien. Ses yeux sont fatigués. Et toujours ce bruit de becs.<br /> <br /> Marco tourne autour du rocher. Derrière s’ouvre une gorge étroite entre les parois de la montagne. Il s’y engage. C’est un long boyau lisse aux formes alambiquées, avec des angles et des resserrements. En haut le ciel est une fente. Une faible lumière en tombe et vagabonde. L’odeur de poussière et de musc laisse place à une fraîcheur boisée. Marco parcourt environ deux kilomètres. Encore quelques pas et soudain la lumière est intense. Devant lui s’ouvre un espace rond formé de hautes parois rougeâtres. Le sol est recouvert de sable jaune d’où émergent des plaques de granit clair. Quelques arbres sauvages au vert intense étonnent dans l’aridité de la montagne. Il avance. De la paroi en face un filet d’eau gros comme le poing tombe en cascade sur une pierre plate. Derrière la cascade une grotte fait résonner les gouttes comme des milliers de becs. L’eau coule de la pierre vers le pied des arbres et se perd dans le sable.<br /> <br /> - Ne bouge plus! tonne une voix dans son dos.<br /> <br /> Marco ne voit personne.<br /> <br /> - Ne bouge pas et reste où tu es. Un pas et tu es mort.<br /> <br /> Il cherche en vain d’où vient la voix.<br /> <br /> - Moi je te vois bien. Mon fusil est pointé sur toi. Un pas et je tire. Qui es-tu?<br /> <br /> - Marco.<br /> <br /> - Marco? Cela ne veut rien dire. Marco, ce n’est rien. Qui est Marco?<br /> <br /> - Que voulez-vous dire?<br /> <br /> - Qu’est-ce qui fait de toi un être particulier? Un être que l’on peut distinguer des autres?<br /> <br /> - Que dois-je répondre? Je ne comprends pas.<br /> <br /> - Si tu ne peux répondre alors tu n’es rien. Rien qu’une parcelle de la masse.<br /> <br /> - Je ne suis pas rien.<br /> <br /> - Tu n’est qu’une réplique. Tu parles comme les autres avant toi. Tu te lèves et te couches comme eux. Tu penses comme eux. N’est-ce pas ainsi?<br /> <br /> - Pourquoi en serait-il autrement? répond Marco. Devrais-je inventer un langage pour exister? Un langage que je serais le seul à comprendre? A quoi me servirait de parler une langue unique si c’est pour être comme un étranger dans ma propre maison?<br /> <br /> Après un silence la voix reprend:<br /> <br /> - C’est une bonne réponse. Tu es malin. Mais n’importe qui peut être malin. Cela ne dit pas qui tu es.<br /> <br /> - Je suis celui qui marche dans le désert, s’exclame Marco.<br /> <br /> - La belle affaire! Et alors? Tout le monde marche dans le désert. La plaine d’où tu viens a vu passer des myriades d’humains avant toi. Depuis la nuit des temps les maîtres et les esclaves marchent. Mais qui sont-ils? Connais-tu leur histoire personnelle? Sais-tu s’ils ont fait une seule chose qui les aurait distingués de la masse?<br /> <br /> La voix roule entre les murs de montagne.<br /> <br /> - Je suis Marco et j’ai quitté mon village.<br /> <br /> - Et alors? Tout le monde quitte son village.<br /> <br /> - Pas chez moi.<br /> <br /> - Chez toi aussi. Un jour on quitte son village pour chercher fortune. Ou pour une femme. Ou pour un homme. Ou pour le pays de la mort. Je n’entends rien d’extraordinaire. Rien.<br /> <br /> - Je l’ai quitté par colère.<br /> <br /> - Pfou! Quelle folle importance donnes-tu à ta colère! Comme si elle était unique. Allons, la colère appartient à tout le monde. Ta colère te lie encore plus solidement à la masse. Dis-moi, dis-moi donc ce que ta colère a de particulier?<br /> <br /> - C’est la mienne! Je la vis, elle est dans mon corps et mes pensées, elle est dans mon propre coeur! Elle n’appartient à personne d’autre!<br /> <br /> - Oui, oui. C’est ce que l’on croit. Il suffirait alors d’une émotion courante, banale, pour exister? Il suffirait que le coeur batte un peu plus vite pour nous donner une identité? Je vais te dire comment tu t’appelles: cent-quatre-vingt pulsations.<br /> <br /> - Quoi?<br /> <br /> - Tu t’appelles cent-quatre-vingt pulsations.<br /> <br /> - ...<br /> <br /> - Si la colère est ton identité, si elle est toi parce que ton coeur bat plus vite, tu t’appelles cent-quatre-vingt pulsations par minutes. C’est le nombre de battements de ton coeur quand tu es en colère.<br /> <br /> - Pourquoi jouez-vous avec moi? J’aimerais m’asseoir.<br /> <br /> - Tu peux t’asseoir.<br /> <br /> <br /> * * *</p> <p style="text-align: justify;"><i>A suivre.</i></p> <p style="text-align: justify;"> </p> <p style="text-align: justify;"> </p> <p style="text-align: justify;"><span style="text-decoration: underline;"><b><i><a target="_blank" href="http://leshommeslibres.blogspirit.com/carnet-d-un-reveur/"><span style="text-decoration: underline;"><b><i>Parties précédentes ici.</i></b></span></a></i></b></span></p><p style="text-align: justify;">Ses pieds frappent le sol. Il écrase le monde. Il écrase les chefs. Leur sang vole dans la poussière. Il cogne, grogne, fait rouler des cailloux. L’effet de la pierre a changé. Les cailloux, lourds, sourds tambours, s’entrechoquent et craquent. Il tient dans ses mains des couteaux de soleil. Il saigne, croit-il. Un fleuve de sang. Un fleuve qui charrie l’urine de la terre et la sueur du ciel. Quelle est cette odeur fauve? Un parfum de musc attaché au vent. Il vient d’en bas, glisse au fond des ravines, monte à flanc de rocher, croise le fleuve de pierres et de poussière. Marco court dans ces mouvements contraires. Il court au centre d’un tourbillon, un tourbillon de bruit et de vent.</p>
hommelibrehttp://leshommeslibres.blogspirit.com/about.htmlCarnet d’un rêveur (6)tag:leshommeslibres.blogspirit.com,2012-06-09:32982012012-06-09T11:00:00+02:002012-06-09T11:00:00+02:00 Les constructions carrées sont collées presque mur à mur. Devant, un...
<p style="text-align: justify;"><a href="http://leshommeslibres.blogspirit.com/media/01/02/933939927.jpg" target="_blank"><img src="http://leshommeslibres.blogspirit.com/media/01/02/3961414781.jpg" id="media-117752" alt="cardage.jpg" style="border-width: 0; float: left; margin: 0.2em 1.4em 0.7em 0;" name="media-117752" /></a>Les constructions carrées sont collées presque mur à mur. Devant, un rectangle d’herbe jaune. Sur l’herbe, des chaises rondes. Sur les chaises des femmes longues et minces parlent en cardant des paquets de laine difformes. La route entre dans la ville par le quartier des fileuses. Kekko a le pas de celui qui sait où il va. Il suit la rue principale, s’engage dans des ruelles ocres, longe un marché couvert. A gauche, à droite, il franchit un portique crénelé. C’est le secteur de la garde. Caserne et dépendances. Lillie reste prudemment à l’entrée. Elle n’est jamais venue jusqu’ici. Des hommes en armes, elle n’en voit pas au village. Il ne s’y passe jamais rien. Rien qui intéresse le gouvernement ou la police. Les chefs ont leur loi. La mort punitive des insoumis ne fait pas d’éclat. On les enterre dans le sable. Qui irait les chercher là?<br /> <br /> Le forgeron s’adresse à un surveillant qui lui indique une porte dans le bâtiment central. A la porte, il frappe et ouvre. Deux gardes sont plongés dans des papiers qui occupent toute la petite table qui sert de bureau. Kekko expose le but de sa visite. Il ne dit pas la vraie raison. Il dit qu’il cherche un homme de son village. Cet homme a disparu depuis deux jours. Tout le monde est très inquiet. Il dit qu’il veut le ramener au village. Sa description de Marco est précise. Les gardes n’ont pas d’information. S’il est en ville il n’a rien fait pour attirer l’attention. Dispose-t-il de famille ici? Non. Enfin peut-être. Un oncle parti du village il y a longtemps, qui voulait s’embarquer vers les Amériques, et dont on est sans nouvelles. A-t-il des amis en ville? Impossible: il n’y est jamais venu. S’il est ici il n’ira pas loin, dit un des gardes. Un inconnu sans refuge est repérable. Qu’il repasse demain. On en saura plus. Kekko les remercie et sort.<br /> <br /> Il prend la direction du port. Lillie suit à distance. Elle ne se montre plus. Il traverse toute la ville. Elle n’est pas très grande. Ce n’est pas comme Paris. Une petite heure suffit. Près du port il y a le quartier des marchands de tissus et celui des forgerons. Un quai leur est réservé, avec une douane qui prélève des taxes avant que les produits ne soient exportés. Ces taxes font vivre la ville. Le commerce est la richesse de la région. Marchands et forgerons jouissent d’un statut envié. Ils n’abusent pas de ce statut. Il savent qu’il n’est pas bon d’être la cible des envieux. Mais quand ils se mobilisent pour une cause ils sont très écoutés.<br /> <br /> Les forgerons disposent aussi du redoutable privilège d’être craints. Dans le passé ils officiaient comme bourreaux. Donner la mort c’est accomplir une justice. Quelle que soit cette justice. S’il y a une loi qui préside à la vie, une autre décide de la mort. Ce n’est pas à eux de juger d’une sanction. Il ne leur est demandé que de l’accomplir. Il n’y a pas d’autre voie pour être bourreau: obéir et accomplir. Aujourd’hui il n’y a plus de bourreaux. Les condamnés à mort sont placés dans une cellule sans lumière. Un serpent au venin violent les attend. Ils ne l’entendent pas et, dans l’obscurité, ne le voient pas. La mort est très rapide.<br /> <br /> De l’époque des bourreaux les forgerons ont gardé leur propre code. Ainsi ils peuvent donner la mort sans procès s’ils sont témoins d’un acte considéré comme grave. Ils le font discrètement. Eux seuls connaissent ce code. Mais certains d’entre eux le contestent. Il disent qu’un pays ne peut avoir plusieurs lois. Ils disent que les forgerons devraient abandonner leur code et laisser l’Etat rendre la justice. Kekko se rend chez le président de la corporation. Ils se connaissent bien. Il était présent lors de son élection. Il était venu participer au grand concours d’épées qui a lieu tous les cinq ans. Tous les forgerons du pays apportent leur plus belle pièce. Kekko avait gagné le trophée de l’épée la plus fine, la plus effilée, la plus résistante et la plus solide. Un bijou qui lui avait demandé plusieurs années de travail. Il était devenu célèbre et avait vendu fort cher sa création à un chasseur de lions qui arrivait du sud. Il n’y a pas de lion dans le pays. Le chasseur était venu en bateau d’une contrée éloignée. En emportant l’épée chez lui il avait fait de Kekko une célébrité mondiale. L’épée avait même été exposée à New-York et à Berlin.<br /> <a href="http://leshommeslibres.blogspirit.com/media/00/01/2786474225.jpg" target="_blank"><img src="http://leshommeslibres.blogspirit.com/media/01/01/3459677616.jpg" id="media-117753" alt="Forge2.jpg" style="border-width: 0; float: right; margin: 0.2em 0 1.4em 0.7em;" name="media-117753" /></a><br /> Le président termine son travail en cours. Puis il invite Kekko à prendre place sur une terrasse à l’ombre d’un arbre aux feuilles larges. Il apporte de l’eau et du thé et s’enquiert de la santé de son hôte. Kekko lui donne des nouvelles, parle de son travail et de la vie au village. Il n’a pas récolté assez de pierres pour en extraire les métaux nécessaires. Il veut forger une épée si mince qu’elle sera invisible par la tranche. Il doit partir loin, bien au-delà des mines, pour trouver les bonnes pierres. Puis il expose l’objet de sa visite. Il parle de Marco l’insoumis qui a défié les lois du village. Il faut le trouver et laver l’affront. Le président ne pose pas de questions. Le code des forgerons est ainsi. Il accepte d’aider Kekko dans sa recherche. Il appelle son fils d’une douzaine d’années et lui donne une consigne. Le fils part en courant dans le dédale des rues.<br /> <br /> - Ce soir, dit-il à Kekko, je réunirai tous les forgerons ici même et nous établirons un plan pour trouver le fugitif. En attendant je vais te montrer la chambre où tu pourra dormir ce soir.<br /> <br /> Pendant que Kekko parle avec le président Lillie propose ses services aux capitaines sur le port. Contre un repas et de quoi boire elle balaye et lave le pont d’un bateau de pêche. Son travail fini, restaurée, elle revient à l’entrée du quartier des forgerons. Un bruissement de voix a remplacé le son des marteaux et des soufflets: «Le président nous convie, Kekko, celui qui a gagné le trophée, a besoin de notre aide, redites-le, ce soir chez le président». Lillie trouve un bout de terrain vague derrière un mur inachevé et s’installe à l’abri des regards.</p> <p style="text-align: justify;"> </p> <p style="text-align: justify;">* * *<br /> <br /> <br /> Le soleil a passé le milieu du ciel. Fahoule n’est pas revenue. Marco s’est assis et résiste au sentiment de colère qui le possède. Colère contre ceux de son village et contre cette règle rigide. Il a donné à boire à une vielle qui avait soif? C’est là son crime? Et quoi, devait-il la laisser mourir en plein soleil? «Si elle ne peut plus boire ni manger, avaient dit les chefs, c’est que son temps est venu. C’est notre loi. Elle la connaissait. La vie est dure. Nous n’avons pas assez d’eau pour donner à boire à quelqu’un dont le temps est venu.» «Devais-je la laisser souffrir devant moi sans rien faire? Votre loi est inhumaine!» «Elle est profondément humaine, lui avait-on répondu Que sais-tu de l’humanité et de ses nécessités?» «Je sais de l’humaine qui souffre devant moi et c’est bien assez!» «Mais que sais-tu de ceux qui viendront après et qui souffriront aussi quand la fontaine sera tarie? Quand il n’y aura plus assez d’eau pour leur donner à boire?» «Ceux qui viendront? Où sont-ils? Je ne les vois pas. Elle qui a soif est devant moi. C’est ma loi.» «Ta loi n’est pas notre loi. Ta loi nous met en danger. Tu ne peux agir selon ta propre loi sans en répondre devant la communauté.» «Et bien je ne répondrai de rien!» C’est après cela que les chef ont décidé la sanction. Il avait supporté. Il n’avait plus rien dit. Mais il gardait la blessure en lui. Pourquoi ne l’avait-on pas entendu?<br /> <br /> Cette colère est revenue avec force depuis qu’il a sucé la pierre verte. Il s’empêche de crier. Puis n’y tenant plus il se lève et marche d’un pas rageur vers le haut de la montagne.</p> <p style="text-align: justify;"> </p> <p style="text-align: justify;"> </p> <p style="text-align: justify;"><i>A suivre.</i></p> <p style="text-align: justify;"> </p> <p style="text-align: justify;"> </p> <p style="text-align: justify;"><span style="text-decoration: underline;"><b><i><a target="_blank" href="http://leshommeslibres.blogspirit.com/carnet-d-un-reveur/"><span style="text-decoration: underline;"><b><i>Parties précédentes ici.</i></b></span></a></i></b></span></p><p style="text-align: justify;">Kekko approche des faubourgs. Lillie crie ses imprécations et donne des coups de pied. Leur étrange attelage attire les regards des marchands dont les étals sont installés sur la terre sèche qui borde le bitume. Des enfants passent en courant par les portes des maisons où l’on n’aperçoit que de l’ombre. Ils s’attrapent, rient et recommencent. Leur jeu tourbillonnant les mène à l’intérieur. On n’entend plus que les voix et des cris. Puis ils reviennent à la lumière en mimant des danses antiques.</p>
hommelibrehttp://leshommeslibres.blogspirit.com/about.htmlCarnet d’un rêveur (5)tag:leshommeslibres.blogspirit.com,2012-06-03:32981912012-06-03T17:21:00+02:002012-06-03T17:21:00+02:00 - La pierre verte? Marco soudain bondit à l’écart. - La créature!...
<p style="text-align: justify;"><a href="http://leshommeslibres.blogspirit.com/media/01/00/2019059740.jpg" target="_blank"><img src="http://leshommeslibres.blogspirit.com/media/02/00/218471662.jpg" id="media-117328" alt="pierreverte2.jpg" style="border-width: 0; float: left; margin: 0.2em 1.4em 0.7em 0;" name="media-117328" /></a>- La pierre verte?<br /> <br /> Marco soudain bondit à l’écart.<br /> <br /> - La créature! crie-t-il. La créature, je la vois!<br /> <br /> Il regarde autour de lui. Personne d’autre qu’elle.<br /> <br /> - Que me veux-tu? Que fais-tu ici? Es-tu envoyée par le village? Je ne retournerai pas. Qui es-tu?<br /> <br /> La femme répond: «Fahoule. Je m’appelle Fahoule. Je ne viens pas du village.»<br /> <br /> - Tu mens, bien sûr que tu mens. Il n’y a personne dans cette montagne. Personne dans cette plaine de pierre. Même le voyageur a disparu. Dis-moi, créature, as-tu vu le voyageur? Dans une automobile noire. Et mon père, as-tu vu mon père? Il est venu cette nuit.<br /> <br /> - C’est la pierre verte, dit Fahoule.<br /> <br /> Cette pierre légèrement poreuse contient un organisme végétal qui s’active dans la salive. Il produit un effet d’hallucination et d'hyperlucidité. Dans le clan de Fahoule on l’utilise lors de la cérémonie du <i>Relié</i>. C’est un rituel pratiqué avant les grandes fêtes annuelles ou la fin des moissons, et aussi avant une noce ou quand un malade ne réagit pas aux élixirs sauvages préparés par les femmes. La pierre procure un état de conscience dit <i>relié</i>. Le réel et l’imaginaire s’y mélangent. Les formes cachées du paysage se révèlent et l’on y découvre des signes ou des intentions que l’on peut interpréter selon sa quête. Le <i>Relié</i> est très personnel. Parfois des visions surviennent ou des intuitions d’événements qui se déroulent au même moment à de grandes distances. Un autre but du <i>Relié</i> est la mise à jour de nos motivations et intentions profondes, de ce qui est caché à notre propre regard intérieur.<br /> <br /> - Il est décommandé d’utiliser la pierre verte sans accompagnement, continue Fahoule. D’une part son effet peut se prolonger plusieurs jours pendant lesquels l’épuisement guette. Cela dépend de la durée de succion. D’autre part la première phase, d’environ vingt-quatre heures, fait monter à la conscience des angoisses encore jamais ressenties. La chose n’est pas sans danger. Les jours suivants viennent les liens et les visions.<br /> <br /> Sous l’effet de la pierre les périodes de sommeils sont courtes mais apaisantes. Le réveil de Marco devrait être propice à établir une communication en partie rationnelle. La voix de Fahoule est d’une douceur qui contraste avec la fermeté de sa posture corporelle. Marco la regarde, et regarde sa poitrine à la forme attirante.<br /> <br /> - Comment t’appelles-tu?<br /> <br /> - Que me voulez-vous? répond Marco.<br /> <br /> - Je veux t’aider. Tu as encore la pierre en bouche: je ne t’ai pas vu la cracher.<br /> <br /> - Comment le savez-vous?<br /> <br /> - Je te suis.<br /> <br /> - Depuis quand?<br /> <br /> Elle raconte qu’elle le suit depuis qu'il a quitté la route. Elle l'a vu arriver. Elle veille sur les voyageurs qui s’égarent. Chaque semaine quelqu’un vient se perdre ici. Parfois par témérité, d’autres fois par erreur. Et certaines fois volontairement. La plaine de sable et de cailloux est très longue et la piste s’efface rapidement. Qui ne connaît pas les lieux ne connaîtra pas le retour. Elle finit son explication en chantant une simple mélopée, presque à voix basse. Un chant qui forme des paroles dans l’esprit de qui l’entend. Des paroles qui rassurent et calment les coeurs tourmentés. Marco lui demande son nom. «Je m’appelle Fahoule.» «Que faites-vous ici?» «Je suis une gardienne. Je protège les voyageurs égarés dans le désert. Et toi quel est ton nom?» «Pourquoi voulez-vous le savoir? Êtes-vous envoyée par les chefs du village?» «Je ne suis envoyée par personne. Je suis là.»<br /> <br /> - Pourquoi vous croirais-je?<br /> <br /> - Si le village dont tu parles m’avait donné pour mission de te ramener je t’aurais capturé pendant ton sommeil.<br /> <br /> Marco réfléchit, autant qu’il le peut. L’effet de la pierre continue. Se concentrer sur plus de trois phrases est un gros effort. Il aimerait laisser les paroles s’envoler de lui sans rien contrôler. Sans rendre de compte. Quoi que nous disions nous rendons toujours compte de quelque chose. Il sent les mots s’accumuler, se bousculer. Des mots comme des couleurs et <a href="http://leshommeslibres.blogspirit.com/media/00/01/4190139756.jpg" target="_blank"><img src="http://leshommeslibres.blogspirit.com/media/00/01/515734377.jpg" id="media-117330" alt="chevaloeil.jpg" style="border-width: 0; float: right; margin: 0.2em 0 1.4em 0.7em;" name="media-117330" /></a>des sons. Des mots dont il ne cherche pas le sens mais seulement le mouvement. Le sens est ailleurs, à l’intérieur même des mots. Il ressent le besoin d’une sorte de révélation: quelque chose doit venir de lui, en lui, dont il ne connaîtra la nature qu’après. Or toute question précise le ramène à son corps et à la contrainte du connu. Il articule cependant:<br /> <br /> - Mon nom est Marco.<br /> <br /> Le regard de Fahoule se fait plus intense.<br /> <br /> - Pourquoi ta mère est-elle partie du village?<br /> <br /> - Elle n’est pas partie.<br /> <br /> - Elle marche en ce moment vers la ville.<br /> <br /> - C’est impossible.<br /> <br /> - Je la vois.<br /> <br /> Elle décrit Lillie et Marco y reconnaît sa mère. Elle décrit aussi le forgeron.<br /> <br /> - Kekko! Que font-ils?<br /> <br /> - Il semble que ta mère veuille l’empêcher...<br /> <br /> Fahoule ferme les yeux. Son visage se tend. Quelques minutes passent. Marco est comme dégrisé. Fahoule reprend:<br /> <br /> - Je les vois. L’homme te cherche. Il veut te punir. Il veut te tuer. Ta mère essaie de s’opposer à lui. Mais il est trop grand. Trop fort. Il va vers la ville.<br /> <br /> Elle rouvre les yeux.<br /> <br /> - Comment... comment sais-tu cela? demande Marco.<br /> <br /> - J’ai déjà sucé la pierre verte. Plusieurs fois. Certaines parties de mon esprit sont maintenant reliées en permanence. Quand je connais quelqu’un je peux sentir des événements qui le concernent.<br /> <br /> - Et pourquoi ne savais-tu pas mon nom alors?<br /> <br /> - Je ne vois pas tout.<br /> <br /> A nouveau les mots roulent en lui. Un tremblement prend son corps. Il se met à transpirer. Sa respiration s’accélère.<br /> <br /> - Je ne suis pas, je ne suis pas, un esclave, je ne dois aucune, aucune, obéissance. Les chefs, les chefs, ne sont les chefs, que si j’en fais des chefs. Je ne, je ne leur donne plus, ma chair à manger, ma tête à manger. Mon sang à boire.<br /> <br /> Il répète ces mots, répète encore et transpire, et souffle. Fahoule s’approche de son visage et chante encore sa chanson à voix douce. Marco parle plus lentement.<br /> <br /> - Ecoute-moi, dit-elle. Tu es dans la phase d’excitation de la pierre. Ton corps s’épuise. Il te faut garder des forces pour la suite. Si tu veux je t’accompagnerai. Mais tu t’épuises. Je peux calmer cette phase. J’ai un élixir. Il stabilise le corps contre les effets physiques de la pierre. Tu auras encore des hallucinations mais pas d’angoisses si ton corps est plus calme. Prends, une goutte sur la langue t’apaisera immédiatement. Mais crache d’abord la pierre.<br /> <br /> Elle lui présente un petit flacon en verre épais rempli d’un liquide transparent.<br /> <br /> - Non! crie Marco. On t’a demandé de me tuer, c’est cela? Tu veux m’empoisonner?<br /> <br /> Il s’agite à nouveau et sue à grosses gouttes. Son souffle est plus court. Fahoule sait qu’elle doit le rassurer. «Regarde, dit-elle. J’en prends moi-même une goutte. Cela ne me fera rien puisque je n’ai pas pris la pierre verte. Mais je n’en mourrai pas.» Elle débouche le flacon et fait tomber une goutte sur sa langue, de manière bien visible, afin que Marco n’ait aucun doute. Puis elle le referme et le pose près de lui.<br /> <br /> - Je te laisse décider. Si ton corps s’épuise trop un accident peut t’arriver. Tu décides si tu veux continuer ton voyage ou l’arrêter ici. Je laisse le flacon près de toi. Moi je retourne vers la plaine. C’est l’heure où je dois guetter les voyageurs perdus et les dangers qui rodent. Je reviens bientôt. Reste là, ou bien monte plus haut. Tu trouveras un point d’eau si tu as soif. Tu as beaucoup transpiré. Ta réserve ne suffira pas.<br /> <br /> Elle appelle d’un son court. Un bruit de sabot, un cheval noir surgit des rochers. Elle l’enfourche et, après un salut à Marco, descend vers la plaine. Il se sent soudain vide et seul. Son corps le fuit, ses pensées se dissolvent. Il a chaud et souffle comme un animal en plein travail. La transpiration coule dans ses yeux. Le flacon est près de lui. Il se sent confusément redevable à la gardienne, mais aussi vulnérable. Il refuse, veut aller par lui-même, tente de se lever, y parvient après de longs efforts, un vertige le prend. Il souffle plus fort, son coeur bat à rompre. Il retombe. Incapable de se relever il prend peur. Regarde le flacon. Rampe jusqu’à le toucher. Hésite. Refuse. Accepte. Ne sait plus. L’ouvre, crache la pierre et laisse tomber une goutte sur sa langue.<br /> <br /> <br /> <i>A suivre.</i><br /> <br /> <br /> <span style="text-decoration: underline;"><b><i><a target="_blank" href="http://leshommeslibres.blogspirit.com/carnet-d-un-reveur/"><span style="text-decoration: underline;"><b><i>Parties précédentes ici.</i></b></span></a></i></b></span></p><p style="text-align: justify;">Marco ne répond pas. Il regarde intensément la femme. Elle est habillée d’une pièce de tissus noir qui fait pantalon en bas et s’arrête au ras du cou. Les épaules sont couvertes d’un châle turquoise croisé par devant, tenu dans sa ceinture. Il souligne précisément ses seins. La chevelure est abondante et longue.</p>
hommelibrehttp://leshommeslibres.blogspirit.com/about.htmlCarnet d’un rêveur (4)tag:leshommeslibres.blogspirit.com,2012-06-01:32981882012-06-01T17:16:00+02:002012-06-01T17:16:00+02:00 Lui, son pas ne change pas même lorsque le plat du talon de la femme...
<p style="text-align: justify;"><a href="http://leshommeslibres.blogspirit.com/media/00/01/4077392586.jpg" target="_blank"><img src="http://leshommeslibres.blogspirit.com/media/02/00/2209053320.jpg" id="media-116981" alt="fourmirouge.jpg" style="border-width: 0; float: left; margin: 0.2em 1.4em 0.7em 0;" name="media-116981" /></a>Lui, son pas ne change pas même lorsque le plat du talon de la femme frappe ses tibias. Une tentative sur cinq touche sa cible. Trop agitée elle manque le plus souvent de tomber. Elle ne doit de rester sur ses jambes qu’à une habileté extraordinaire d’équilibriste et au bras du géant auquel elle se raccroche tant bien que mal. C’est alors, ainsi suspendue, qu’elle jette ses plus grandes forces dans la bataille et finit par cogner un mollet ou une cheville. De grands cris sauvages accompagnent ses coups. Le forgeron secoue alors son bras afin qu’elle se détache de lui.<br /> <br /> - Laisse-moi. Lâche-moi, femme! Retourne chez toi. Retourne au village! Tu m’ennuie. Laisse-moi. Je ferai ce que j’ai à faire.<br /> <br /> - Non, non, voyou! crie la femme. Toi, retourne au village! Allez, chien, retourne! Je t’empêcherai de le toucher. Tu m’entends, Kekko le forgeron: tu ne le toucheras pas! Je t’écraserai la tête avec une pierre avant que tu ne touche à un seul de ses cheveux! Je ferai couler ton sang sur la tête stupide, forgeron plus brutal que la grêle!<br /> <br /> Depuis le matin elle le suit. Elle l’injurie et le frappe. Depuis le matin il va bon pas vers la ville et reçoit les coups et les injures presque sans rien dire. Elle c’est Lillie, la mère de Marco. Elle s’est levée avant l’aube. Elle a guetté jusqu’aux premières lueurs. Quand Kekko a traversé le village et pris la route vers la mer elle l’a suivi, bien décidée à l’empêcher par tous les moyens de trancher la tête de son fils. Elle n’a pris qu’un peu d’eau et des galettes d’épeautre. Elle ne se soucie pas d’elle-même. Son seul but est d’empêcher Kekko, dont le seul but est de tuer Marco. Elle trouvera bien un moyen, le moment viendra où elle saura l’arrêter.<br /> <br /> Elle provoque le géant pour le mettre hors de lui. S’il la tue elle, il ne tuera plus son fils. Comme on dit chez eux: on ne tue pas deux fois pour la même cause. Elle tente de lui faire perdre patience.<br /> <br /> - Chien! Chien stupide! Idiot! Cocu!<br /> <br /> Cocu n’est pas une injure utile. Le forgeron est célibataire. Il n’a jamais le temps pour l’amour. Entre ses cailloux, le charbon de bois et la forge, sa vie est pleine. Et puis il sent la suie à grand nez et ses oreilles n’entendent que le son du métal sur l’enclume. Quelle femme voudrait respirer cette odeur toutes les nuits? Quelle voix serait assez claire pour faire concurrence au marteau?<br /> <br /> - Cocu! Cocu! Tu sais pourquoi aucune femme ne veut de toi? Parce que tu pues! Tu pues, homme stupide! Tu pues du matin au soir mais personne n’ose te le dire. Ils ont peur de toi au village. Personne pour te crier la vérité en face. Cocu! Cocu!<br /> <br /> Elle ne connaît pas vraiment le sens du mot <i>cocu</i> pour le répéter ainsi hors de propos. Mais elle sait que les hommes n’aiment pas qu’on leur dise.<br /> <br /> - Cocu! Chien idiot! Je t’écraserai la tête et je noierai les scorpions dans ton sang. Je peindrai les murs du village avec ton sang. Tout le monde saura que Lillie t’a vaincu. Tout le monde me craindra. Et je ferai revenir mon fils. Et j’en ferai un roi. On le craindra parce que l’on me craindra. Tu m’entends, tête de mule? Sale bonhomme!<br /> <br /> Et elle recommence à taper du talon dans les jambes de Kekko. Elle se jette même sur lui et s’agrippe fermement à une cuisse, laissant traîner son corps derrière. Cette fois Kekko est ralenti. Il secoue la jambe mais rien n’y fait. Il regarde la femme dans les yeux et, avec une expression terrifiante, pousse un rugissement qui roule jusqu’à la montagne. Lillie devient encore plus blanche avant de pousser à son tour un cri modulé où elle manque d’arracher ses cordes vocales. L’homme secoue la jambe plus fort et jette la femme quelques mètres plus loin. Puis il reprend sa route. Elle se relève et le suit encore. Au loin on voit les premiers toits carrés de la ville.<br /> <br /> <br /> * * *<br /> <br /> <br /> Marco n’a presque pas dormi. Il a passé la nuit entre le fond d’un ravin, couché tordu comme un ver, et un replat à flanc de montagne. Des visions, des hallucinations auditives ont défilé pendant des heures. La créature n’était pas seule. Dans les couleurs sans cesse changeantes du sable il a vu des fourmis géantes rôder autour de sa tête. Il a toujours eu peur d’être dévoré par des fourmis. Petit il traçait des cercles à la craie autour de la <a href="http://leshommeslibres.blogspirit.com/media/00/01/510407287.jpg" target="_blank"><img src="http://leshommeslibres.blogspirit.com/media/00/00/3965198170.jpg" id="media-116982" alt="pierres1.jpg" style="border-width: 0; float: right; margin: 0.2em 0 1.4em 0.7em;" name="media-116982" /></a>maison familiale pour les éloigner. Il croyait que c’était efficace puisqu’il n’y avait pas de fourmis dans la maison. Son père lui disait pourtant que les petites bêtes ne mangent pas les grosses. Il savait que ce n’était pas vrai. L’instituteur avait raconté l’histoire d’un explorateur dévoré par des fourmis rouges. Alors il cherchait partout des fourmis rouges et quand il en trouvait il traçait des cercles à la craie autour de la fourmilière. Puis il prenait deux cailloux qu’il frappait l’un contre l’autre en espérant que le bruit les ferait fuir. Il pouvait taper les cailloux pendant des heures à l’entour du village. Il ne craignait ni le soleil ni la soif ni le vent. C’est ainsi qu’il avait appris le rythme. A quinze ans il jouait des pierres et du tambour comme un professionnel. On le demandait pour les fêtes, les mariages et les enterrements. On jouait toujours du tambour aux enterrements. Un rythme long et lent accompagné de voix discrètes. Par moment un homme ou une femme haussait le ton selon son inspiration et tout le monde suivait à la hausse, parfois pendant très longtemps. Puis les voix redevenaient discrètes, jusqu’à la hausse suivante.<br /> <br /> Son père était venu dans ses visions. Un regard. Un regard sans un mot. Puis il était reparti. Il l’avait alors cherché dans le ravin. Personne. Sur les flancs de la montagne. Pas de père. Son père était mort il y a longtemps. Tué par la foudre un jour où il chantait au somment d’une colline pendant un orage. Quelques temps après l’instituteur avait pris la place vide dans le lit de sa mère. Marco n’avait pas accepté. Il n’allait plus à l’école. Il passait son temps dans les pierriers à taper le rythme et à imaginer tous les moyens pour faire partir l’intrus. Son caractère naturellement fort s’était encore durci. Sa mère lui disait qu’elle avait besoin d’un homme. Elle ne pouvait pas tout faire toute seule. Et il n’y a pas beaucoup d’hommes au village. Surtout libres! Mais Marco n'acceptait pas. Il préférait taper le rythme en pensant à son père plutôt que d'aller à l'école. Ou il marchait sous la lune pendant des heures et observait les étoiles. Ou il écoutait les bruits aussi loin que son oreille pouvait entendre. Il avait développé une ouïe très sensible. Il pouvait reconnaître les crissements des insectes à cent mètres et en reproduire le son dans ses mains avec un peu de sable.<br /> <br /> Avoir vu son père cette nuit fait remonter de nombreux souvenirs. Il comprend mieux pourquoi il quitte le village.<br /> <br /> A l’aube il dort quelques heures. Au réveil il ne trouve pas la paix. D’autres visions viennent. Troublées soudain par un rugissement venu de la plaine et suivi par un cri déchirant. C’est alors qu’il découvre la présence d’une femme près de lui.<br /> <br /> - Tu as sucé la pierre verte? demande-t-elle.<br /> <br /> <br /> <i>A suivre.</i><br /> <br /> <br /> <span style="text-decoration: underline;"><b><i><a target="_blank" href="http://leshommeslibres.blogspirit.com/carnet-d-un-reveur/"><span style="text-decoration: underline;"><b><i>Parties précédentes ici.</i></b></span></a></i></b></span></p><p style="text-align: justify;">Derrière lui une femme suit ses grandes enjambées à pas rapides et désordonnés. Le souffle court elle reste de longs moments sans rien dire. Son visage est blanc comme la lune. Elle porte un pull noir à manches longues, par-dessus une ample jupe bleue qui virevolte en tous sens quand elle tente de donner des coups de pieds au grand bonhomme. Elle paraît si petite à côté de lui. On dirait un nain et un géant.</p>
hommelibrehttp://leshommeslibres.blogspirit.com/about.htmlCarnet d’un rêveur (1)tag:leshommeslibres.blogspirit.com,2012-05-23:32981752012-05-23T15:29:00+02:002012-05-23T15:29:00+02:00 Il ne sait pas où il va. Il ne sait pas ce qu’il cherche. Il sait ce...
<p style="text-align: justify;"><a href="http://leshommeslibres.blogspirit.com/media/01/01/845287977.jpg" target="_blank"><img src="http://leshommeslibres.blogspirit.com/media/00/01/2924940863.jpg" id="media-116414" alt="Desert.jpg" style="border-width: 0; float: left; margin: 0.2em 1.4em 0.7em 0;" name="media-116414" /></a>Il ne sait pas où il va. Il ne sait pas ce qu’il cherche. Il sait ce qu’il ne veut plus: obéir à la loi sans savoir pourquoi. Dans son village on n’explique pas: on obéit. Enfin certains obéissent à d’autres qui disent connaître la loi. Marco n’avait que deux possibilités: obéir ou partir. Le village n’accepte pas les rebelles et ceux qui ne sont pas conformes. On n’y choisit pas sa vie ni ses envies. On est comme on naît, une fois pour toutes. Si tu nais bleu tu seras toujours bleu.<br /> <br /> Marco avait d’autres envies. Il ne voulait pas être enfermé dans une image définitive. Le besoin d’être multiple faisait partie de sa... sa nature? Sa vocation? Il ne savait comment le dire. Il avait déjà refusé d’obéir. C’était trois fois rien: une affaire d’eau et de fontaine réservée aux chefs de clan. Il avait donné à boire à une vieille déshydratée. Pendant un mois personne ne lui avait plus parlé. «Il doit comprendre, disaient-ils. Il doit comprendre que la loi est la loi. Sans loi nous sommes perdus. L’eau nous est comptée. La loi est au-dessus de la soif. Au-dessus de la mort. Faire comme il veut n’est pas acceptable.»<br /> <br /> Quand un autre subissait la sanction il finissait par l’accepter et penser que le village avait raison: un jour c’est lui qui ferait la loi et reproduirait la sanction. Marco n’avait pu l’accepter. Rejeté, objet de quolibets et d’épithètes désobligeantes, il en avait gardé une blessure à vif. C’est alors qu’il prit sa décision: il quitterait le village. Sans retour. Jamais on ne le lui pardonnerait. Il abandonnait sa famille, ses amis et les lieux qu’il aimait. L’appel de la liberté était le plus fort.<br /> <br /> Un matin, ce matin, avant l’aube, son sac prêt, il s’était faufilé hors du village et avait marché d’un pas vif jusqu’au grand croisement. Là il avait suivi la route de l’ouest, celle qui mène à la mer et aux grandes villes. Il espérait bien y trouver une autre vie.<br /> <br /> <br /> Sur cette grosse pierre il attend. Les autos ne passent pas souvent ici. D’où viendraient-elles? Au village on n’a que l’âne et les jambes. Plus loin c’est le désert. Cette route ne dessert qu’une ancienne mine désaffectée. Il prend un peu de pain et de thé dans son sac et mange et boit avec parcimonie. Il ne sait encore combien de temps ses provisions devront lui durer. Au moins jusqu’à la première ville et au premier travail pour lequel il recevra quelque argent au premier soir.<br /> <br /> Une sorte de ronronnement vient à ses oreilles. Il cherche un insecte autour de lui. Rien. Un avion dans le ciel? Pas plus. Pas de tracteurs non plus labourant le désert. Au loin, sur la route d’où il vient, il aperçoit une tache dans un voile de poussière sablée. Il regarde attentivement. La tache se rapproche. Il distingue bientôt une voiture. Il range son repas, se lève et fait de grands signes au milieu de la route. L’auto se rapproche et ralentit. Elle s’arrête à sa hauteur. C’est une petite limousine aux fenêtres et portes manquantes. L’odeur du gaz d’échappement le réjouit, promesse de moins de fatigue. Le chauffeur est un homme au cheveux blancs comme le sel et aux yeux rieurs.<br /> <br /> - Où allez-vous? lui demande-t-il.<br /> - Nulle part, répond le conducteur.<br /> - Nulle part?<br /> - Nulle part.<br /> <br /> Marco hésite. Leurs regards se croisent pendant une bonne minute. Puis il reprend:<br /> <br /> - Je vais à la prochaine ville. Pouvez-vous m’emmener?<br /> - Je ne vais pas à la ville.<br /> - Mais pouvez-vous m’emmener un bout?<br /> - Non. Je ne sais pas où je vais. Je ne peux pas vous prendre avec moi.<br /> - Alors pourquoi vous être arrêté?<br /> - Pour parler un peu. Et parce que je me suis promis de donner ceci au premier humain ou à la première humaine que je rencontrerais. C’est vous.<br /> <br /> Il lui tend un carnet épais, de ceux qui grossissent les poches. Puis après un signe, repart et file vers l’horizon. Marco est désappointé. Presque fâché. Il aurait pu le conduire au moins sur quelques kilomètres. Il se met à courir derrière l’auto, qui est déjà loin. Elle quitte alors la route et tourne sur une piste dans un nuage de poussière.<br /> <br /> Marco s’arrête. Il sent le carnet dans sa main. Le regarde. Sur la couverture jaune pâle est écrit: «Carnet d’un rêveur». Il l’ouvre et lit la première page.</p> <p style="text-align: justify;"><br /> «Cher lecteur, si ce carnet est dans tes mains c’est que j’aurai décidé de renoncer au monde. J’ai tenté d’y vivre, je l’ai aimé, mais je n’ai pas réussi mon rêve. Je pars chercher un ermitage où le vent et le ciel seront mes compagnons. Un peu d’eau et la viande de serpent me suffiront.<br /> <br /> J’ai grandi à l’ombre de grandes révolutions qui ont secoué les esprit. J’ai lu les utopies nouvelles où l’Homme serait libre et joyeux. J’ai voulu les vivre. J’ai voulu échapper au destin qui nous classe comme des sardines dans des boîtes de couleurs et de grandeurs différentes. Je désirais exister pour moi-même, sans que l’on m’enferme dans une image préfabriquée. Je souhaitais parler librement de tout sans que mes mots ne me classent par automatisme à gauche ou à droite, en haut ou en bas. Je cherchais l’être au-delà des apparences et du formalisme social. Je voulais être libre.<br /> <br /> Aujourd’hui je constate mon échec. Le monde est le même. Il enferme encore et encore dans des images préfabriquées. Les mots appartiennent à des clans. L’esprit n’est pas autorisé à prendre son envol sans que des prédateurs en tous genres ne tentent de le dépecer. Et pire: je réalise que malgré mon rêve et mes efforts, je finis par reproduire ce même moule.<br /> <br /> Je ne suis pas certain de croire encore assez en ce monde pour faire une nouvelle tentative. J’écris donc ce carnet que je donnerai à une personne inconnue rencontrée par hasard. Peut-être relèvera-t-elle le défi?»<br /> <br /> <br /> <i>A suivre.</i></p><p style="text-align: justify;">Marco est assis sur une grosse pierre au bord de la route déserte. Pas une auto depuis ce matin e des dizaines de kilomètres avant d’apercevoir les toits de la première ville. Il a marché plusieurs heures. Il est fatigué. Ses pieds font mal. Son sac pèse une tonne. Il s’est arrêté sur cette pierre, sans l’ombre d’un arbre. Il n’y a pas d’arbres dans cette région. Rien que cette route, et de vastes étendues désertiques jaunes et grises et au loin des montagnes rouges.</p>
hommelibrehttp://leshommeslibres.blogspirit.com/about.htmlJeu de la mort: cruauté, soumission et violencetag:leshommeslibres.blogspirit.com,2010-03-17:32969982010-03-17T22:18:00+01:002010-03-17T22:18:00+01:00 Je fais une double lecture de cette émission. La première est...
<p style="text-align: justify;"><a href="http://leshommeslibres.blogspirit.com/media/02/01/3385706257.jpg" target="_blank"><img id="media-51191" style="border-width: 0; float: left; margin: 0.2em 1.4em 0.7em 0;" src="http://leshommeslibres.blogspirit.com/media/02/01/1450052848.jpg" alt="jeu3-Milgram.jpg" name="media-51191" /></a>Je fais une double lecture de cette émission. La première est l’exploitation de la cruauté. De nombreux jeux télé le font et voient leur audience s’envoler. Qu’il s’agisse d’ébouillanter un sujet, de jouer à la roulette russe en direct, de punir un candidat, humilier, se blesser gravement comme dans Jakass, tout fait nombre.<br /> <br /> L’importance numérique du public montre la force du voyeurisme morbide et la fascination devant la cruauté étalée en direct. Le public lui-même est objet du jeu puisqu’il ne sait pas que l’émission est truquée. Le goût de la cruauté est vieux comme le monde. Ce qui le rend ici profondément insupportable est de voir ce goût légitimé et devenir un must émotionnel et un simple divertissement. Comment l’humain peut-il perdre toute empathie et conscience pour appliquer une torture calmement, sans état d’âme?<br /> <br /> Ces gens qui infligent la torture ne sont pas des malades ni des sadiques. Ils sont comme tout le monde. Pourtant 81% des volontaires ont atteint la zone extrême, alors que l’acteur est devenu silencieux - inconscient, ou mort déjà, peut-être. 19 seulement ont refusé des ordres inhumains. 19 seulement ont refusé le «il faut» de l’animatrice et lui ont opposé un «Je refuse». 19 ont bravé l’ordre et l’autorité. Cela ne veut pas dire que les autres ont eu plaisir à aller au bout - au pire. Cela veut dire qu’ils ont obéit jusqu’au bout.<br /> <a href="http://leshommeslibres.blogspirit.com/media/02/01/2125842715.jpg" target="_blank"><img id="media-51192" style="border-width: 0; float: right; margin: 0.2em 0 1.4em 0.7em;" src="http://leshommeslibres.blogspirit.com/media/01/00/2362965974.jpg" alt="jeu4-milgram1.jpg" name="media-51192" /></a><br /> Il n’y a pas à porter de jugement sur ces personnes. Qu’aurions-nous fait à leur place? Que font les hommes en temps de guerre, que font les polices spéciales, les sadiques et psychopathes?<br /> <br /> Il y a ici la soumission à une injonction, l’acceptation d’une règle pourtant insupportable, l’obéissance à une autorité même quand celle-ci impose des comportements de nature à détruire la vie et l’éthique.<br /> <br /> Cette expérience montre que gourou, chef, parent perturbé, peuvent créer les circonstances de la soumission la plus incompréhensible. L’individu est seul devant la structure d’autorité, et perd tout moyen de préserver sa propre conscience éthique et ses propres valeurs. Plutôt que de décevoir son entourage et d’être le «mauvais» il accepte de sacrifier l’acteur, soutenu par le public et par l’animatrice. L’acteur est devenu l’objet sacrificiel que l’on peut - que l’on doit - éliminer au profit de la satisfaction du groupe. Il est une sorte de bouc émissaire.<br /> <br /> <a href="http://leshommeslibres.blogspirit.com/media/02/01/4197441038.jpg" target="_blank"><img id="media-51193" style="border-width: 0; float: left; margin: 0.2em 1.4em 0.7em 0;" src="http://leshommeslibres.blogspirit.com/media/00/00/1066582209.jpg" alt="girard1.jpg" name="media-51193" /></a>Ce thème, très bien développé par René Girard, est un noeud de la conscience collective et individuelle. J’ai reçu un document de synthèse réalisé par Raphaël Baeriswyl. J’attendais cette émission avant d’écrire un billet sur le thème car je pensais pouvoir faire un lien entre cette expérience et le concept de bouc émissaire ou d’objet sacrificiel.<br /> <br /> Le lien me paraît évident: en prenant le risque de tuer l’acteur, 81% des personnes ont préféré que l’ordre règne, l’ordre de l’autorité, de la mauvaise autorité. Car il y a de bonnes et de mauvaises autorités. L'intervention de l'autorité est déterminante car dans une autre phase du jeu, où l’autorité était absente, 75% ont refusé d’aller au bout.<br /> <br /> Le document de M. Baeriswyl <a href="http://www.raphaelbaeriswyl.ch/pdf/Theorie-generale-de-la-violence.pdf" target="_blank"><span style="text-decoration: underline;">peut être lu ici</span></a>, et <a href="http://www.raphaelbaeriswyl.ch/" target="_blank"><span style="text-decoration: underline;">son blog ici</span></a>.<br /> <br /> Cette expérience doit mieux faire comprendre la puissance du courant anti-autoritaire du 20e siècle, dont mai 68 fut un des épisodes. On doit questionner l’autorité. On ne peut plus lui laisser libre cours sans revenir à nos propres valeurs. On doit prendre le risque de la révolte, de l’opposition à cette mauvaise autorité. On doit prendre le risque de mettre le désordre, quand l’ordre est devenu pire que le désordre. 19 ont refusé d’aller au bout. 19 ont préféré le désordre de la conscience à l’ordre inhumain. 19 ont préféré leur liberté de conscience individuelle à l’adhésion au groupe et à ses autorités.<br /> <br /> Pour que perdure l’ordre des mauvaises autorité et que la satisfaction de la majorité soit pleine et entière, l’acteur doit devenir le bouc émissaire.<br /> <br /> Pour maintenir le pouvoir de la mauvaise autorité, le volontaire doit être prêt à tuer quelqu’un qui ne lui a jamais rien fait.<br /> <br /> Pour préserver l’ordre, l’acteur doit mourir.<br /> <br /> A cela j'oppose que pour préserver la vie, il faut savoir dire non. Il faut, individu, savoir se dresser contre tous.<br /> <br /> Mais, qu’aurais-je fait à leur place? Ou à 20 ans? Et vous qu’auriez fait à leur place? Qu’aurions-nous faits sous le nazisme, le stalinisme, le franquisme?<br /> <br /> 19 ont refusé. C’est déjà ça...<br /> <br /> Qu’un seul se lève, c’est déjà ça.<br /> <br /> <object width="480" height="385" data="http://www.youtube.com/v/LBN11-F8kh8&hl=fr_FR&fs=1&" type="application/x-shockwave-flash"><param name="wmode" value="transparent"></param><param name="wmode" value="transparent" /><param name="allowFullScreen" value="true" /><param name="allowscriptaccess" value="always" /><param name="src" value="http://www.youtube.com/v/LBN11-F8kh8&hl=fr_FR&fs=1&" /><param name="allowfullscreen" value="true" /></object><br /> <br /> <br /> <br /> <br /> Une pensée pour Max, prisonnier politique en Libye.</p><p style="text-align: justify;"><img id="media-51194" style="border-width: 0; float: left; margin: 0.2em 1.4em 0.7em 0;" src="http://leshommeslibres.blogspirit.com/media/00/02/3264554836.2.jpg" alt="desert-piquet.jpg" name="media-51194" width="294" height="220" /></p><p style="text-align: justify;">Le Jeu de la mort vient de passer sur France 2. Pour qui ne l’a pas vu, des candidats volontaires envoient des décharges électriques progressives à un acteur (sans savoir que c’en est un) jusqu’à des puissances pouvant engendrer la mort (jusqu'à 460 volts). L’émission reprend l’expérience du psychologue américain Milgram qui en 1961 avait déjà démontré que quand une forme d’autorité impose de dépasser les limites de la simple humanité, une majorité d’individus est prête à tuer.</p>