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Marc Alpozzo
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Descartes, le père de la science moderne
tag:marcalpozzo.blogspirit.com,2021-09-09:3165960
2021-09-09T06:00:00+02:00
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Dans l’histoire du déploiement des sciences et des techniques, c’est...
<p style="text-align: justify;"><strong><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 12pt;">Dans l’histoire du déploiement des sciences et des techniques, c’est Francis Bacon qui, le premier, a lancé l’idée de conquérir la nature ; c’est <span style="color: #800000;"><a style="color: #800000;" href="http://marcalpozzo.blogspirit.com/tag/descartes" target="_blank" rel="noopener">Descartes</a></span> qui sera en revanche considéré comme le premier penseur de la science moderne, et le premier philosophe de la technique. Ce sera clairement au XVIIème siècle, moment décisif où Descartes va rédiger ce qui sera par la suite le programme de développement scientifique et technique de l’humanité occidentale. Et ce programme, dans son célèbre <em>Discours de la méthode </em>dont le premier objectif sera d’être compréhensible par tous, et qui justifiera sa rédaction en français, sera de renverser le rapport de l’homme à la nature, afin de permettre à l’homme de dominer la nature et de l’exploiter à sa guise. Est-ce encore souhaitable de nos jours cependant, voilà une question qu’il s’agirait de se poser. Je vous propose ici quelques premiers éléments de réponse dans l'<span style="color: #800000;"><em>Ouvroir</em></span>.</span></strong></p><p><img src="http://marcalpozzo.blogspirit.com/media/02/01/2032700540.jpg" id="media-1105293" alt="" /></p><p style="text-align: justify;"><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 12pt;"><img id="media-1105294" style="float: left; margin: 0.2em 1.4em 0.7em 0;" title="" src="http://marcalpozzo.blogspirit.com/media/02/00/3050298087.jpg" alt="discours.jpg" />L’ouvrage de <span style="color: #800000;"><a style="color: #800000;" href="http://marcalpozzo.blogspirit.com/tag/descartes" target="_blank" rel="noopener">Descartes</a></span> comporte un titre assez long, courant à son époque. C’est celui-ci : « Discours de la Méthode pour bien conduire sa Raison, et chercher la vérité dans les sciences ». Or, tout peut être résumé dans la fin du titre : on voit que ce livre se propose de renverser la recherche de la vérité : jusqu’à Descartes, la vérité était à chercher dans la religion ; elle le sera désormais dans la science, qu’il s’agit d’investir pour la découvrir selon Descartes. Mais précisément, le philosophe entend par « sciences » un type de pratique bien défini, et qui est clairement indiqué dans le chapitre VI, puisqu’il y souligne quels développements il prévoit, et quels espoirs il place dans ces progrès. Et ces espoirs sont loin d’être anodins, puisqu’ils vont clairement redéfinir le rapport que l’homme entretenait jusque-là avec la nature.</span></p><p style="text-align: justify;"> </p><p style="text-align: justify;"><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 12pt;">Au chapitre VI, de son <em>Discours de la méthode</em>, Descartes écrit :« Au lieu de cette philosophie spéculative qu’on enseigne dans les écoles, on en peut trouver une pratique, par laquelle, connaissant la force et les actions du feu, de l’eau, de l’air, des astres, des cieux et de tous les corps qui nous environnent, aussi distinctement que nous connaissons les divers métiers de nos artisans, nous les pourrions employer en même façon à tous les usages auxquels ils sont propres, et ainsi nous rendre comme maîtres et possesseurs de la nature. » Or, qu’entend-il par « philosophie spéculative » ? Descartes parle en fait de la manière dont, depuis Aristote, on explique les phénomènes naturels. Mais il fait également référence à tout un courant de la philosophie qui, à son époque est devenue très abstraite, sans rapport avec l’existence pratique. Pour Descartes, il ne s’agit plus de concevoir la science comme un pur jeu de l’esprit, mais un comme un exercice avec une application concrète. Si le type d’explication des phénomènes naturels fourni par Aristote fonctionne sur le principe du finalisme, on est là clairement face à une méthode visant à expliquer les évènements par l’objectif qu’ils poursuivent.</span></p><p style="text-align: justify;"> </p><p style="text-align: justify;"><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 12pt;">Descartes va donc proposer un nouveau <em>mode de compréhension du monde</em> qu’on appelle le mécanisme. De ce nouveau rapport qu’instaure l’auteur entre l’homme et la nature, celle-ci ne sera plus considérée comme mystérieuse, et on maintiendra plus la distance avec elle par le respect dû à l’univers. À partir du <em>Discours de la méthode</em> on considérera le monde comme du matériel en mouvement, mais un mouvement qui n’a rien de mystérieux, qu’on peut donc connaître, produire, diriger, contrôler. À ce point précis de l’histoire des sciences, les facultés de l'homme et les prodigieux progrès techniques permettent de distinguer l'espèce humaine de l'espèce animale. L’homme est alors placé au sommet de la hiérarchie des êtres et font de lui une créature privilégiée et supérieure au sein de la nature. Par exemple, l'homme est au sommet de la chaîne alimentaire. Et pour Descartes, l’homme est même un être qui peut accéder à une vérité fondamentale : il est un être conscient de lui-même. Il peut en effet douter de toutes ses idées, de toutes les réalités, mais il ne peut pas douter qu’il doute. Capable se savoir qu’il est au moment où il pense, qui est le sens de cette célèbre affirmation « Je pense donc je suis », l'homme est alors à la fois une « substance étendue » mais une « substance pensante » quant aux animaux, Descartes les considère comme des êtres sans parole ni intention, assimilables à des machines.</span></p><p style="text-align: justify;"> </p><p style="text-align: justify;"><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 12pt;">Il serait peut-être utile de se questionner sur cette nouvelle méthode qui permet à Descartes de positionner l’homme comme « maître et possesseur de la nature ». Cette formule va rester dans l’histoire, ne serait-ce que parce qu’elle offre à l’homme un nouveau programme, et le terme « programme » doit être entendu dans deux sens différents et complémentaires : d’abord comme un objectif final, mais aussi comme un nouveau mode de fonctionnement, un peu comme si on téléchargeait un nouveau système d’exploitation dans notre ordinateur portable. Mais ce texte montre aussi les limites de la technique, ce qu’il serait bon de souligner.</span></p><p style="text-align: justify;"> </p><p style="text-align: justify;"><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 12pt;">Bien sûr, la formule de Descartes est une pierre jetée dans le jardin de la religion, visant à réduire son monopole, puisque jusqu’à Descartes, seul Dieu pouvait être considéré comme maître et possesseur de la nature. Faisant référence dans son texte, à la situation de l’homme dans le paradis originel, jouissant sans aucune peine des fruits de la terre, condition paradisiaque perdue par l’homme a perdue dans les conditions que l’on sait, pousse Descartes à fonder ses nouveaux espoirs en la technique, afin de permettre à l’homme d’abolir le travail, et de s’absoudre lui-même du péché originel, sans passer par l’intermédiaire du pardon divin. On peut donc définitivement dire que le projet d’abolir le travail et la peine qui lui est due, date de Descartes et du dessein d’un progrès sans fin de la technique, qui sera celui maîtrise de plus en plus efficace de l’homme sur la nature, et celui d’un homme de plus en plus puissant, jusqu’à conduire au</span><span style="color: windowtext; font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 12pt;"> <span style="color: #ff0000;"><span style="color: #800000;"><a style="color: #800000;" href="http://marcalpozzo.blogspirit.com/archive/2020/11/29/doit-on-craindre-le-transhumanisme-de-transhumain-a-la-trans-3157483.html" target="_blank" rel="noopener">transhumanisme</a></span>, </span></span><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 12pt;">dont on connaît les desseins, notamment celui d’un être amélioré continûment par des artifices techniques, que ce soit des implantation de « puces » informatiques dans le cerveau, ou des cellules pour conserver l’ADN, sans compter le stockage informatique du contenu de la conscience qui permettraient de recréer l’individu venant de mourir. Bref, un grand nombre d'absurdités, mais qui s'inscrivent toutefois dans cette ligne directe du programme scientifique qui anime notre soif de connaissance depuis le XVIIème siècle ; le programme de maîtrise de la nature atteignant son point ultime et qui n'est autre que l’homme affirmant sa prétention à se faire lui-même ; désormais il se veut « causa sui », cause de soi-même, une expression qui jadis désignait Dieu (cause de lui-même et cause de toute chose).</span></p><p style="text-align: justify;"> </p><p style="text-align: justify;"><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 12pt;">Et, visiblement les savants modernes ne se sont pas assez penchés sur la formule de Descartes, qui nous commande de nous rendre l'homme « <em>comme</em> maitre et possesseur de la nature ». Certes, Descartes souhaitait l'invention d'une infinité d'artifices utiles afin de s'exempter des maladies et pourquoi pas vaincre la mort également. Mais bien sûr, ces projets (que l’on pourrait tout aussi bien qualifier de fous !) ne sont pas clairement formulés ; elles sont justes évoquées comme de simples songes. </span></p><p style="text-align: justify;"><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 12pt;"> </span></p><p style="text-align: justify;"><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 12pt;">Descartes était un homme très curieux des causes ou les lois qui expliqueraient l'efficacité de la science. Il traitait avec une grande curiosité et très méthodiquement tout ce qui était lié aux techniques les plus spéciales et les plus complexes. Et s’il envisageait un jour la maîtrise de la nature, c’était seulement pour rendre la vue aux aveugles, voir les animaux de la lune, améliorer la médecine, et un jour peut-être, voler comme l'oiseau. Dans son admirable <em>Dioptrique</em>, Descartes démarre sur l'optique théorique qui est l'invention de la lunette d'approche ; une invention due à l'expérience et à la fortune, suivie d'une imitation servile et aveugle. Mais on constate rapidement, que cette invention souffre encore beaucoup de difficultés ; Descartes pense qu'il faut en déterminer scientifiquement les conditions d'efficacité, c'est-à-dire déduire la figure des verses des lois de la lumière.</span></p><p style="text-align: justify;"> </p><p style="text-align: justify;"><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 12pt;">Dans la fin du texte, on constate aussi, que l’horizon de la technique est bien la maîtrise de l’homme lui-même, car le mécanisme permettra de considérer l’homme comme une somme de processus que l’on pourra non seulement contrôler, mais aussi imiter, reproduire. On trouve également au XVIIème siècle, une curieuse fascination pour ce qu’on appelle les automates. Descartes travaillait d’ailleurs sur des projets comme une perdrix mécanique que faisait lever un chien, ou, plus surprenant un automate humain qui se serait appelé Francine, comme sa fille, et qu’il aurait mis en route quelque temps après la mort de sa propre fille. Pourtant, à aucun moment, Descartes ne prônait la domination agressive de la nature. Il affirmait seulement que l’homme devait cesser d’en être esclave ; que l’homme pouvait la rendre utile aux hommes en améliorant ses connaissances de la nature. Dans sa la tête du philosophe, il s’agissait plutôt d’aménager une coexistence pacifique avec la nature, plus qu’une domination pure et simple.</span></p><p style="text-align: justify;"> </p><p style="text-align: justify;"><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 12pt;">Hans Jonas, au XXème siècle, réfutera cette conception dans le <em>Principe Responsabilité</em>. On peut toutefois penser que le projet scientifique cartésien était si complexe, car reposant principalement sur une subjectivité puissante, voire aujourd’hui sur-puissante, cherchant à améliorer les conditions d’existence de l’homme, mais aussi la conscience de ses propres limites, qu’Heidegger a en partie raison quand il attribue à Descartes la source du concept de domination irraisonnée de l’homme sur la nature, car son projet l’a largement dépassé, au point d’aliéner la nature par la technique.</span></p><p style="text-align: justify;"> </p><p style="text-align: center;"><img id="media-1105298" style="margin: 0.7em 0;" title="" src="http://marcalpozzo.blogspirit.com/media/02/01/545648375.png" alt="René Descartes, Heidegger, Hans Jonas, science, technique, technologie, transhumanisme" /></p><p style="text-align: center;"> <span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 10pt;">Transhumanisme et Intelligence Artificielle :</span><br /><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 10pt;">Le posthumain : enfant prodige de l'empire cybernétique</span></p>
Marc Alpozzo
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Entretien avec Éric-Louis Henri, l'éternité est une vue de l'esprit
tag:marcalpozzo.blogspirit.com,2021-01-30:3157735
2021-01-30T06:00:00+01:00
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L'histoire de ce livre n'est pas banale, puisqu'il a pris naissance dans...
<p style="text-align: justify;"><strong><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 12pt;">L'histoire de ce livre n'est pas banale, puisqu'il a pris naissance dans un aéroport. Sur un cahier <em>Moleskine</em> petit format, l'auteur écrit ces ligne : “<em>Et si l’éternité n’existait pas?</em>” Plusieurs mois plus tard, ce premier roman voit le jour ; c'est l'itinéraire</span></strong><strong><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 12pt;"> d'un homme à l'épreuve du réel. Roman pour '“<em>happy few</em>”, manuel de philosophie, "<em>feel-good</em>" roman ? Comment qualifier <em>La Souciance</em> ? Et ce si roman n'avait pas d'étiquette de prédilection ? Probable qu'il s'élève simplement au-dessus des clivages, et parle à l'ensemble d'entre nous, par-delà les générations. Durant un déjeuner à la Brasserie Lipp, j'en ai profité pour interroger l’auteur. Compte-rendu dans l'<span style="color: #800000;"><em>Ouvroir</em></span>.</span></strong></p><p><img src="http://marcalpozzo.blogspirit.com/media/02/00/1469133007.JPG" id="media-1103902" alt="" /></p><p style="text-align: justify;"> </p><p style="text-align: justify;"> </p><p style="text-align: justify;"><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 12pt;"><strong><img id="media-1103903" style="float: left; margin: 0.2em 1.4em 0.7em 0;" title="" src="http://marcalpozzo.blogspirit.com/media/01/00/4141341230.jpg" alt="Éric-louis henri" />Marc Alpozzo : Voici votre premier roman. Il s’intitule <em>La Souciance</em>, titre qui, dans sa simplicité apparente, est plus complexe qu’il n’y paraît. Si l’on suit le dictionnaire, ce substantif féminin signifie « causer de l'inquiétude ou du souci à quelqu'un ». Mais on lit aussi que cela peut vouloir dire « Faire attention à, se préoccuper de (quelqu'un, quelque chose) qui intéresse et tient à cœur ». Pour faire un point rapide sur le pitch du roman, on peut dire que vous racontez comment un couple de voyageurs va s’arrêter un moment dans un village suspendu entre mer et montagne, qui fait beaucoup penser aux météores en Grèce, suspendus entre ciel et terre. Au début cette halte n’est qu’une étape sans importance. Elle devient pourtant, un moment extraordinaire, que vous racontez avec beaucoup de saveur et de plaisir. Et justement, j’en viens au sous-titre de votre roman, qui me plait beaucoup « Ici & Maintenant ». Alors, évidemment, on comprend la pirouette de ce sous-titre, puisque ce roman raconte un moment unique de ce couple, dans lequel se prépare progressivement un futur inouï pour eux, alors qu’on sent tout le jeu de va-et-vient que vous dessinez, montrant que le présent renvoie au futur et le futur au présent. Est-ce que vous n’avez pas finalement tenté de nous décrire le surgissement naturel du langage de notre vie, qui apparaît dans les événements, – que l’on croit toujours hasardeux, et dont on imagine que la cause nous échappe toujours –, alors même que ces moments sont tous en lien avec nous, et sont un dialogue que l’on mène ensemble ; comme si l’événement était déjà là, et que c’est l’inconscient qui fournit un moyen que la nature offre, et une distance qui interdit de penser qu’elle est une réalité indépendante de notre être profond ? Est-ce que vous n’avez pas voulu nous dire aussi, que la vie prend soin de nous et nous cause de l’inquiétude, quand cette inquiétude va dans le sens d’un processus d’interprétation finaliste ? Un peu comme si, nous devions vivre cette vie, sans nous préoccuper des événements, au-delà ou en-deçà des événements, qui ne sont jamais que des interprétations de notre esprit ?</strong></span></p><p style="text-align: justify;"><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 12pt;"><strong> </strong></span></p><p style="text-align: justify;"><span style="font-size: 12pt; font-family: georgia, palatino, serif;">Éric-Louis Henri : Votre lecture de La Souciance m’est précieuse ; car elle est elle-même un chemin. Votre question riche et dense en atteste ; sa multiplicité -je veux dire : ce qu’elle ouvre comme horizons de réflexion, d’approches- invite à la Souciance justement et au dialogue avec elle.</span></p><p style="text-align: justify;"><span style="font-size: 12pt; font-family: georgia, palatino, serif;">Pour tenter de répondre le plus clairement possible à cette question initiale de notre entretien, je souhaiterais d’entrée de jeu préciser que, paradoxalement, La Souciance ne renvoie ni à une volonté (consciente ou non) de perturber un autre ni à une préoccupation déterminée ou une inquiétude attribuée. Les deux définitions que propose le dictionnaire sont trop « statiques », trop arrêtées, étriquées et limitées pour rendre compte de ce que La Souciance a de clairvoyance souterraine et de densité d’ouverture au monde justement.</span></p><p style="text-align: justify;"><span style="font-size: 12pt; font-family: georgia, palatino, serif;">Elles ne font que taquiner en quelque sorte nos certitudes alors que La Souciance les travaille au corps. </span></p><p style="text-align: justify;"><span style="font-size: 12pt; font-family: georgia, palatino, serif;">Quoique nous fassions, vivions, réfléchissions même, il y a, pour moi, toujours de l’impensé à l’œuvre qui travaille nos certitudes, … et par où le sens peut advenir. Là est le lieu de La Souciance. </span></p><p style="text-align: justify;"><span style="font-size: 12pt; font-family: georgia, palatino, serif;">La Souciance est pour moi, fondamentalement, un cheminement et une attitude. C’est un voyage permanent qui renvoie à l’inouï, à l’inédit de cet impensé, pour le mettre à jour, à l’expérience d’une « conscience-de-soi-à-soi-et-au-monde », spontanée, intuitive et immédiate sans être éphémère.</span></p><p style="text-align: justify;"><span style="font-size: 12pt; font-family: georgia, palatino, serif;">Pour l’exprimer autrement, je dirais que l’existence condense en elle une densité foisonnante qui se réserve sans cesse, quelque chose comme une évidence discrète qui veille et attend « le » juste moment d’apparaître, l’instant de sa « parousie », son événement ! </span></p><p style="text-align: justify;"><span style="font-size: 12pt; font-family: georgia, palatino, serif;">Cet événement-là est vécu de manière « absurde » parce que non catégorisable. Il est à nous celui d’un entre-deux inopiné et disert, « d’un intermonde », comme disait Klee. </span></p><p style="text-align: justify;"><span style="font-size: 12pt; font-family: georgia, palatino, serif;">L’intermonde de Klee n’est pas à proprement parler une réalité physique palpable, c’est-à-dire mesurable dans le temps et l’espace, mais il n’en demeure pas moins vrai -comme la pomme que l’on croque- et authentique, comme peut l’être l’amour profond entre deux êtres.</span></p><p style="text-align: justify;"><span style="font-size: 12pt; font-family: georgia, palatino, serif;">Si événement il y a toujours déjà, comme vous le suggérez, c’est alors pour moi en ce sens-là. J’ajouterais aussi que le surgissement naturel du langage de notre vie auquel vous l’identifiez, et pour reprendre votre belle expression, ne survient que lorsqu’on est prêt à le laisser s’inviter dans notre parcours. </span></p><p style="text-align: justify;"><span style="font-size: 12pt; font-family: georgia, palatino, serif;">Je ne pense pas en revanche que ce soit l’inconscient qui est à la manœuvre dans cette occurrence. Je pense plutôt à une part diffuse de nous-même, vibrante, résonnante, qui réunit et le conscient et l’inconscient au-delà de toute rationalité ou irrationalité, à une onde d’existence souterraine qui nous habite toujours, s’invite parfois « expressément » et nous dit sans cesse, nous raconte « ici » tout en nous projetant « là » …</span></p><p style="text-align: justify;"><span style="font-size: 12pt; font-family: georgia, palatino, serif;">Ce qui prend soin de nous, c’est cet impensé-là dont je viens de parler, il ne nous « cause » pas tant d’inquiétude qu’il est cette inquiétude-même, primordiale, bienveillante, sans jugement ni questionnement. Ce qui arrive ensuite, ce qui nous arrive, n’en est sans doute alors qu’une interprétation donnée, partielle et partisane, mais cette expression retenue contient toujours en creux, l’infini des possibles qu’elle nous offre encore, et dont La Souciance indique la trace.</span></p><p style="text-align: justify;"><span style="font-size: 12pt; font-family: georgia, palatino, serif;"> </span></p><p style="text-align: center;"><img id="media-1103904" style="margin: 0.7em 0;" title="" src="http://marcalpozzo.blogspirit.com/media/01/01/405701552.jpeg" alt="Éric-louis henri" /></p><p style="text-align: center;"><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 10pt;">La Souciance, paru en librairie en septembre 2020</span></p><p style="text-align: center;"> </p><p style="text-align: justify;"><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 12pt;"><strong>M.A. J’ai vu une difficulté réelle dans votre roman. Vous faites commencer votre histoire en racontant le périples d’un couple, qui décide de s’arrêter dans un village suspendu entre mer et montagne. Les premiers mots de votre récit commencent ainsi : « Et si l’éternité n’existait pas ! Et si l’éternité, ce n’était que le passé. Derrière nous... Résolument clos. » Donc, ça c’est un premier point que je voulais faire : votre roman commence sur une idée, celle que nous serions en-dehors du temps. Vos personnages arrivent par hasard dans ce village mais on sent bien qu’il n’y a pas de <em>hasard</em> dans votre récit. Cette banale halte d’un périple estival, c’était voulu ! Mais qui l’a voulu ? c’est ça la question ! C’est peut-être dans l’usage, dans l’expérience, dans la pratique que va faire ce couple de voyageurs de l’évidence d’un lieu et d’un futur inattendu, propice à la « souciance », – que l’on peut aussi lire selon la phénoménologie du mot, comme ce qui évoque l’infime singularité de toute existence, les incertitudes essentielles de la vie humaine –, l’expression singulière de l’usage de l’événement que nous pouvons en faire. Vous voyez ce que je veux dire ? en fait, je résume ma question : est-ce que vous n’êtes pas en train de nous dire que la vie est toujours une rencontre, et que, l’usage de l’ici et maintenant (<em>Hic et Nunc</em>), permet essentiellement un processus naturel de rencontre de soi à travers la rencontre de l’autre et de l’événement lui-même ?</strong></span></p><p style="text-align: justify;"><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 12pt;"><strong> </strong></span></p><p style="text-align: justify;"><span style="font-size: 12pt; font-family: georgia, palatino, serif;">É.-L. H. : Tout réside là, justement. </span></p><p style="text-align: justify;"><span style="font-size: 12pt; font-family: georgia, palatino, serif;">L’éternité n’est qu’une vue de l’esprit ; j’ajouterais en souriant : « … et tout le reste n’est que littérature ! ».</span></p><p style="text-align: justify;"><span style="font-size: 12pt; font-family: georgia, palatino, serif;">Que l’Eternité n’existe pas » ne nous projette pas pour autant de facto hors du temps mais au contraire, nous y plonge intensément ; nous sommes toujours déjà jeté dans l’Ici et Maintenant. On aura beau faire, on n’y échappera pas. L’Ici et Maintenant est notre chair et la Souciance en révèle l’inattendu. Car le Hic et Nunc qui nous définit en propre nous pousse simultanément au-delà, ailleurs. L’Ici et Maintenant implique son déplacement de manière innée. L’Ici et Maintenant est toujours déjà ailleurs. De facto ! Où ? Rien n’est jamais défini. L’ailleurs est en acte un inattendu consubstantiel indéfini. Quoique nous fassions ! Cette nécessaire occurrence ‘chiasmatique’ conjugue l’Ici et Maintenant de notre présence au monde avec un ici-et-là d’une rencontre de l’autre que soi. </span></p><p style="text-align: justify;"><span style="font-size: 12pt; font-family: georgia, palatino, serif;">Notre présence au Monde , quand elle « accueille » en son sein cet inattendu comme faisant partie intégrante et simultanée de son histoire, devient alors aussi celle de l’autre comme vous le suggérez justement. Nous portons l’Intermonde en nous. Il est notre résidence première.</span></p><p style="text-align: justify;"><span style="font-size: 12pt; font-family: georgia, palatino, serif;">Et le temps s’y condense de manière extra-ordinaire et exponentielle à la fois.</span></p><p style="text-align: justify;"><span style="font-size: 12pt; font-family: georgia, palatino, serif;">Ce qui m’a plu dans « la mise en scène » du village est précisément l’expérience de ce temps. La réalité de son suspens, l’évocation de son entre-deux, de son « Nomansland entre destin et libre-arbitre », comme écrit finement par ailleurs Noah Blum… ! Voilà en effet un lieu qui est un non-lieu, un lieu « en attente » de lui-même, un lieu entre deux mondes, entre mer et montagnes, entre ciel et terre… Un « intermonde » donc, où tout est possible.</span></p><p style="text-align: justify;"><span style="font-size: 12pt; font-family: georgia, palatino, serif;">J’ai tout de suite perçu -plutôt que pensé- que ce village symboliserait au plus juste le lieu d’une telle aventure. Est-ce le hasard qui y a mené le couple ou non ? Je n’ai pas de réponse arrêtée. D’autres villages, dans le récit, furent visités auparavant. On les imagine tout aussi pittoresques, dépaysants, voire accueillants ; et pourtant, c’est celui-là qui interpelle, dans le plein sens du terme. Pourquoi ? Je ne sais pas. Le hasard est souvent une nécessité polichinelle. Je pense simplement qu’il surgit toujours quand -et là où- on est prêt à l’accueillir. C’est une manière très postmoderne que celle-là ; je veux dire d’être disponible à l’inattendu, de cultiver une volonté qui nous prédispose sans autre forme de procès à accueillir ce qui simplement arrive (Lyotard parlait d’être attentif au « il arrive »). L’Ici et Maintenant nous pare ainsi d’emblée de cet ailleurs qui arrive. Et cela ouvre effectivement au différent, au dialogue au sens socratique du terme, à la rencontre de l’autre… Là est l’événement.</span></p><p style="text-align: justify;"><span style="font-size: 12pt; font-family: georgia, palatino, serif;">Bien sûr, quoiqu’à cet égard, je parlerais plutôt de tension esthétique (mais cela est un autre débat), vous me direz que vivre de cette souciance-là parait relever davantage d’une vie contemplative, ou d’une méditation -le terme est à la mode- et que chacun d’entre nous a naturellement tendance à se retrancher plutôt, à se reposer dans son quant-à-soi indifférent. Et vous auriez raison si la Souciance se réduisait à cela ; mais la Souciance est un acte, elle est en acte. Le quotidien affairé nous maintient certes de plus en plus dans une gangue numérisée d’apparence et d’indifférence confortables, un néant qui est sensé nous protéger, moins de l’étranger en tant que tel que de l’inconnu qui nous travaille et de l’exigence incontournable de l’autre que soi. </span></p><p style="text-align: justify;"><span style="font-size: 12pt; font-family: georgia, palatino, serif;">Être ouvert à l’événement de soi et de l’autre est l’enjeu de La Souciance, malgré cela… Notre résidence a certes besoin de repos, de se poser mais ne s’y complait jamais.</span></p><p style="text-align: justify;"><span style="font-size: 12pt; font-family: georgia, palatino, serif;">Et, de fait, le hasard que vous mentionnez n’est finalement qu’une farce féconde qui se joue de nous et nous révèle qu’on ne peut tout simplement pas dire « Je » face au néant.</span></p><p style="text-align: justify;"><span style="font-size: 12pt; font-family: georgia, palatino, serif;"> </span></p><p style="text-align: justify;"><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 12pt;"><strong>M.A. Alors je tiens à le préciser que vous êtes philosophe de formation, mais que ce livre, n’est ni un traité barbant ni un ouvrage systémique dans lequel vous chercheriez à proposer une doctrine dogmatique et fermée. En réalité, vous avez choisi ce format du roman, parce que votre écriture, me semble-t-il, convient plus naturellement à votre projet. Quand on vous lit, on a l’impression que vous recourez au récit imaginé, car il est plus propice à une écriture-cheminement vers votre moi intérieur. Lorsque nous avons préparé ensemble cet entretien, vous m’avez raconté que l’idée de ce livre vous était venue dans un avion ou un aéroport, et que c’est par une phrase que vous êtes venu à ce texte ; la première qui ouvre le roman : « Et si l’éternité n’existait pas ! » C’est d’autant plus fort, que c’est une idée aujourd’hui convenue, dans notre époque absurde, ne croyant plus au ciel, que l’éternité serait une folie. Mais votre écriture, selon une phénoménologie de la thèse conventionnaliste de l’époque, ne va cesser de détruire cet argument, pour nous montrer que l’idée d’éternité n’a pas lieu d’être, puisque nous ne vivons jamais que dans l’instant présent, et que c’est l’esprit qui étire le temps pour en faire une illusion à laquelle on se raccroche. Or, j’en viens à ma question, est-ce que vous n’avez pas raconté la vie, sous une autre forme, celle d’un lieu, d’un temps, d’une existence, mais observés de multiples façons, (on connait la phrase célèbre de Duchamp : « C’est le regardeur qui fait l’œuvre » !) que l’on peut considérer comme des rencontres foisonnantes, et que l’on confond avec le temps. D’où l’idée d’Ici & Maintenant, – car toute notre vie ne se joue jamais ailleurs qu’ici et maintenant !</strong></span></p><p style="text-align: justify;"><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 12pt;"><strong> </strong></span></p><p style="text-align: justify;"><span style="font-size: 12pt; font-family: georgia, palatino, serif;">É.-L. H. : Merci de poser cette question. </span></p><p style="text-align: justify;"><span style="font-size: 12pt; font-family: georgia, palatino, serif;">L’écriture est en effet un cheminement. </span></p><p style="text-align: justify;"><span style="font-size: 12pt; font-family: georgia, palatino, serif;">Je la pense et la vit comme cela. Je l’identifie même à l’histoire. Mon cheminement, mon histoire. Ecriture et histoire sont synonymes. Elles sont identiques. Elles sont mêmes. Mais « même » comme ne peut l’être qu’un autre et « autre » ainsi qu’est le même. Cette dialectique du même et de l’autre me nourrit au jour le jour. </span></p><p style="text-align: justify;"><span style="font-size: 12pt; font-family: georgia, palatino, serif;">Je parle donc de l’histoire qui s’écrit au jour le jour et non celle déduite d’une fiction enjolivée imposée au monde par les réseaux sociaux et les publicités comme autant d’attribut exaltant de notre existence. Leur Storytelling prétendument contemporain est un déni de vie en fait et m’agace au plus haut point. </span></p><p style="text-align: justify;"><span style="font-size: 12pt; font-family: georgia, palatino, serif;">J’aime en revanche votre expression « d’écriture-cheminement ». Car effectivement, son exercice met à jour l’impensé tapi dans l’ombre de ce qu’on est. Et lui confère une ‘actualité’.</span><span style="font-size: 12pt; font-family: georgia, palatino, serif;"> </span></p><p style="text-align: justify;"><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 12pt;">Et l’éternité dans tout cela, m’objectez-vous ? Elle n’a pas sa place ? Elle n’a pas lieu d’être ? Je confirme. Ni de lieu tou
Marc Alpozzo
http://marcalpozzo.blogspirit.com/about.html
Sartre ou Heidegger. Philosophie de l'angoisse
tag:marcalpozzo.blogspirit.com,2020-06-27:3148580
2020-06-27T06:00:00+02:00
2020-06-27T06:00:00+02:00
Je vais tenter d’exposer le double visage de la phénoménologie de...
<p style="text-align: justify;"><strong><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 12pt;">Je vais tenter d’exposer le double visage de la phénoménologie de l’angoisse. Celle de <a href="http://marcalpozzo.blogspirit.com/tag/sartre" target="_blank" rel="noopener"><span style="color: #800000;">Sartre</span></a> et celle de <span style="color: #800000;"><a style="color: #800000;" href="http://marcalpozzo.blogspirit.com/martin-heidegger/" target="_blank" rel="noopener">Heidegger</a></span>, dont j'ai abondamment parlé dans ces pages.</span></strong></p><p><img src="http://marcalpozzo.blogspirit.com/media/01/00/4141573067.jpg" id="media-1087265" alt="" /></p><p style="text-align: justify;"> </p><p style="text-align: justify;"><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 12pt;">La question sous-jacente à toute cette <span style="color: #800000;"><a style="color: #800000;" href="http://marcalpozzo.blogspirit.com/archive/2018/02/02/le-dasein-au-milieu-du-monde-une-experience-de-l-appartenanc-3101493.html" target="_blank" rel="noopener">recherche</a></span>, menée dans ce blog, n’était donc pas spécifiquement Sartre <em>ou</em> Heidegger, mais quelle voie la phénoménologie a-t-elle prise en ce qui concerne l’<span style="color: #ff0000;"><a style="color: #ff0000;" href="http://marcalpozzo.blogspirit.com/tag/l%27angoisse" target="_blank" rel="noopener"><span style="color: #800000;">angoisse</span></a></span>. Il s’avère que Sartre a systématiquement tenté de se démarquer de Heidegger. Il s’avère également qu’une alternative entre les deux penseurs s’est naturellement imposée à notre regard.</span></p><p style="text-align: justify;"> </p><p style="text-align: justify;"><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 12pt;">Au moment de conclure, il ne s’agit pas de spécifiquement prendre parti, mais de distinguer les analyses, les doctrines, et de faire un premier bilan. <span style="color: #ff0000;"><a style="color: #ff0000;" href="http://marcalpozzo.blogspirit.com/tag/jean-paul+sartre" target="_blank" rel="noopener"><span style="color: #800000;">Sartre</span></a></span> contre <span style="color: #800000;"><a style="color: #800000;" href="http://marcalpozzo.blogspirit.com/tag/heidegger" target="_blank" rel="noopener">Heidegger</a>,</span> a établi une métaphysique de la <span style="color: #800000;"><a style="color: #800000;" href="http://marcalpozzo.blogspirit.com/archive/2008/03/12/le-fardeau-de-la-liberte-note-sur-sartre.html" target="_blank" rel="noopener">liberté</a>,</span> lorsque le second avait pris soin d’établir une<span style="color: #800000;"> </span><span style="color: #ff0000;"><span style="color: #800000;"><a style="color: #800000;" href="http://marcalpozzo.blogspirit.com/archive/2020/03/29/l-emergence-du-dasein-ou-de-l-absence-a-la-presence-dans-etr-3148542.html" target="_blank" rel="noopener">métaphysique de l’être</a></span> </span>susceptible de nous conduire à la liberté, ou tout du moins à la libération.</span></p><p style="text-align: justify;"> </p><p style="text-align: justify;"><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 12pt;">Contre Heidegger, Sartre croit naïvement, si j'ose dire, que le <em>cogito</em> doit être sauvegardé, qu’il s’agit de se tourner vers l’homme, et d’établir une philosophie anthropologique, dans laquelle les consciences entrent en conflit pour entretenir le principe fondamental qui sous-tend toute existence humaine : la liberté.</span></p><p style="text-align: justify;"> </p><p style="text-align: justify;"><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 12pt;"> Mais ce refus de l’autre ne peut être tout à fait pris au sérieux. D’une part, Sartre n’est pas <span style="color: #800000;"><a style="color: #800000;" href="http://marcalpozzo.blogspirit.com/archive/2014/03/03/hegel-le-vrai-est-le-tout-3139616.html" target="_blank" rel="noopener">Hegel</a></span>. Les morceaux de bravoure qui mettent en scène un homme sartrien puissant et maître de lui-même contre le déterminisme élémentaire prêtent plutôt à sourire, – la caricature d’une sorte de dernier romantique, chevaleresque et halluciné se doit d’être ici soulignée –, et rappellent décidément trop le <em>pathos</em> d’une philosophie, recherchant par dessus tout à se défaire du tragique de l’existence, et qui œuvre pour trouver une place, très inconfortable, soit dit en passant, à l’homme dans un monde, <span style="color: #800000;"><a style="color: #800000;" href="http://marcalpozzo.blogspirit.com/archive/2011/11/03/l-angoisse-de-l-homme-libre-ou-l-absence-de-dieu-dans-la-phi.html" target="_blank" rel="noopener">où Dieu serait définitivement absent</a>.</span> D’autre part, la rigidité métaphysique à laquelle Sartre se livre, pour mettre à jour une <span style="color: #800000;"><a style="color: #800000;" href="http://marcalpozzo.blogspirit.com/archive/2016/08/31/sartre-ou-la-liberte-angoissante-3078895.html" target="_blank" rel="noopener">liberté absolue</a></span>, inconditionnée et sans limite, emprisonne son discours dans une philosophie à la fois artificielle et aliénante. En effet, là où Sartre prétendait nous donner la liberté, il nous la ôte en réalité, faisant de la conscience un moi en suspend, ou plus précisément un moi suspendu à la liberté et au <span style="color: #ff0000;"><a style="color: #ff0000;" href="http://marcalpozzo.blogspirit.com/archive/2011/01/07/sartre-et-le-regard-d-autrui-1.html" target="_blank" rel="noopener"><span style="color: #800000;">regard</span> <span style="color: #800000;">d’autrui</span></a></span><span style="color: #800000;">.</span> Dans sa trajectoire, le <em>Soi</em> devient ainsi insaisissable, et le même se confond alors avec l’Autre, c’est-à-dire que le <em>moi</em> ne parvient jamais à se découvrir entièrement, toujours dépendant du regard aliénant et contradictoire d’autrui. Ce moi, à jamais perdu, semble-t-il, nous revient alors, sous forme de fantôme, par la présence de l’Autre. Mais ça n’est pas l’<span style="color: #800000;"><a style="color: #800000;" href="http://marcalpozzo.blogspirit.com/archive/2020/04/15/l-ethique-de-la-conscience-note-sur-levinas.html" target="_blank" rel="noopener">Autre du même</a>,</span> car toute l’articulation sartrienne autour de l’en-soi et du pour-soi, a rendu caduque la tentative transcendante de concilier l’en-soi et le pour-soi dans une toute nouvelle forme d’être-au-monde.</span></p><p style="text-align: justify;"> </p><p style="text-align: justify;"><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 12pt;">Aussi, la recherche philosophique que j'ai menée, à tenter d’établir une phénoménologie de l’angoisse à partir de la doctrine de Sartre, qui nous a présenté une la liberté quelque peu douteuse, par laquelle les choix libres créent l’essence de l’individu, mais dont l’affirmation de cette liberté inconditionnée demeure une difficulté philosophique majeure, tant elle ne semble pas en toute circonstance totalement réaliste. Qui plus est, l’angoisse qui s’y rattache, ne paraît en conséquence, guère profonde. Car il semble, puisque le concept d’angoisse ne peut être précisé qu’à partir de la liberté, et que le concept de néant n’est autre que la conscience elle-même, que Sartre tend à purifier l’homme moderne de toute cause déterministe extérieure, afin de libérer sa totale souveraineté, et de le définir à partir de ses expériences les plus intimes. Dans la réalité de cette philosophie, le retour aux choses mêmes se heurtent à une liberté fascinée par sa propre image : en effet, qui est véritablement libre, le moi ou l’Autre qui est constamment présent en lui, par la violence de son regard, au point de le transformer en une ipséité pathétique ?</span></p><p style="text-align: justify;"> </p><p style="text-align: justify;"><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 12pt;">Il nous faudra probablement prendre la précaution de suivre la piste heideggérienne de l’angoisse, et ainsi réhabiliter la doctrine du <em>Mitsein</em> (être-avec). <span style="color: #800000;"><a style="color: #800000;" href="http://marcalpozzo.blogspirit.com/archive/2018/02/02/le-dasein-au-milieu-du-monde-une-experience-de-l-appartenanc-3101493.html" target="_blank" rel="noopener">Etre-au-monde <em>avec</em> les autres</a> </span>n’a rien d’aliénant. Dans cette coexistence, nous commençons par faire connaissance avec le monde de la préoccupation et de l’inauthenticité, c’est-à-dire la « dictature du On ». Notons toutefois que cette coexistence, comparée à la relation sartrienne de conflits permanents que je puis avoir avec l’autre, se montre ici toute pacifique, une tension certes s’installant : celle d'une double possibilité : être-soi, ou être soumis à la domination des Autres, mais ça n’est pas un conflit ouvert, où l’autre persécuterait le moi, l’empêchant ainsi de se réaliser en tant qu’Autre du même, parce que le contenant ainsi sous le joug de son regard comme chez Sartre ; ce serait plutôt une possibilité propre pour le <em>Dasein</em> de se ranger du côté du monde de la préoccupation et de la fuite dans l’indifférence du « On », ou choisir de lutter pour ad-venir à soi, dans le pouvoir-être-propre.</span></p><p style="text-align: justify;"> </p><p style="text-align: justify;"><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 12pt;">À la différence de Sartre donc, dans le monde heideggérien, je ne suis pas soumis désespérément à la rencontre avec autrui, mais je commence au départ par ne pas être moi-même, c’est-à-dire je commence par <em>participer </em>du On-même. Aussi, là où l’interprétation de l’angoisse souffrait d’une certaine pauvreté philosophique chez Sartre, elle trouve chez Heidegger, une profonde importance, et une lumière encore jamais atteinte jusqu'au penseur allemand. Pour trouver la libération, parvenir au soi-même, il ne s’agit pas, comme pour Sartre de concentrer toute sa philosophie autour de la conscience et de la saisie du néant comme activité néantisante, mais de revenir au monde, et de saisir le néant dans le monde. Je ne suis désormais plus <span style="color: #800000;"><a style="color: #800000;" href="http://marcalpozzo.blogspirit.com/archive/2011/01/07/la-nuit-de-l-angoisse-note-sur-heidegger.html" target="_blank" rel="noopener">angoissé de ne pas être ce que je suis</a>,</span> et d’être ce que je ne suis pas, mais je suis dès à présent, confronté au Rien de l’angoisse, qui est véritablement le mouvement de saisie de l’ouverture au monde et à moi-même.</span></p><p style="text-align: justify;"> </p><p style="text-align: justify;"><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 12pt;">De plus, en ne refusant ni Autrui ni la mort, mais en les analysant longuement, Heidegger réussit le pari philosophique de réconcilier le <em>Dasein</em> avec le monde et avec lui-même. En étudiant la présence et l’absence du <em>Dasein</em> dans le monde, Heidegger établit une relation saine avec l’Autre dans l’être-avec, et permet au <em>Dasein</em> de se comprendre comme l’être-pour-la-mort, ce qui lui donne enfin, l’autorisation de s’en libérer.</span></p><p style="text-align: justify;"> </p><p style="text-align: justify;"><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 12pt;">Bref, faire <span style="color: #800000;"><a style="color: #800000;" href="http://marcalpozzo.blogspirit.com/archive/2011/01/07/la-nuit-de-l-angoisse-note-sur-heidegger.html" target="_blank" rel="noopener">l’expérience de l’angoisse pour Heidegger</a>,</span> c’est faire l’expérience de la possibilité certaine de sa mort prochaine, c’est faire l’expérience du Rien comme possibilité actuelle de mon pouvoir-ne-pas-être, c’est se confronter et s’arracher à la peur et à la fuite de soi, et s’accepter, dans le passage de soi à soi-même, comme sa propre possibilité dé-voilante, et ainsi trouver une issue à la fatalité de l’existence, en l’acceptant pour définitivement s’en détacher.</span></p><p style="text-align: justify;"> </p><p style="text-align: justify;"><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 12pt;">Bien souvent, le destin que l’homme antique cherchait à fuir, en précipitait la réalisation : refusant ainsi de reconnaître que l’homme pourrait être soumis à des forces plus puissantes que lui, Sartre est parvenu à faire de l’homme, un être parfaitement impuissant, profondément aliéné et tourmenté. Dans ce refus d’une histoire écrite à l’avance, Sartre n’a pas vu que Heidegger ne se soumettait pas à la possibilité irréversible d’un fatalisme de l’existence, mais qu’il avait compris que la liberté nous était donnée par l’être lui-même, et qu’il s’agissait pour l’homme de revenir à l’être, et de se comprendre dans sa radicale passivité.</span></p><p style="text-align: justify;"> </p><p style="text-align: justify;"><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 12pt;">La crise d’angoisse sartrienne ayant été cette crise salvatrice et profonde qui donna l’occasion à l’homme de se choisir désormais libre et paisible au sein du monde. Or, n’est-ce pas là le rôle de la philosophie de nous réconcilier avec le monde et avec nous-mêmes.</span></p><p style="text-align: justify;"> </p><p style="text-align: center;"><img id="media-1087266" style="margin: 0.7em 0;" title="" src="http://marcalpozzo.blogspirit.com/media/01/01/3195031887.jpg" alt="heidegger champs.jpg" /></p><p style="text-align: center;"><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 10pt;">Heidegger dans ses terres</span></p><p style="text-align: justify;"> </p>
Marc Alpozzo
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L'émergence du Dasein ou de l’absence à la présence dans Être & Temps de Heidegger
tag:marcalpozzo.blogspirit.com,2020-06-24:3148542
2020-06-24T06:00:00+02:00
2020-06-24T06:00:00+02:00
Jusqu’ici, le Dasein refusait d’ affronter la mort de face, mais il...
<p style="text-align: justify;"><strong><span style="font-size: 12pt; font-family: georgia, palatino, serif;">Jusqu’ici, le <em>Dasein</em> refusait d’<span style="color: #800000;"><a style="color: #800000;" href="http://marcalpozzo.blogspirit.com/archive/2018/01/25/phenomenologie-de-la-mort-note-sur-heidegger-3101489.html" target="_blank" rel="noopener">affronter la mort</a></span> de face, mais il lui était nécessaire de sortir des <span style="color: #800000;"><a style="color: #800000;" href="http://marcalpozzo.blogspirit.com/archive/2011/01/07/la-nuit-de-l-angoisse-note-sur-heidegger.html" target="_blank" rel="noopener">vapeurs rassurantes du « On »</a></span> pour accueillir en soi, dans sa solitude et son arrachement au monde des illusions, la liberté de la mort que <span style="color: #800000;"><a style="color: #800000;" href="http://marcalpozzo.blogspirit.com/martin-heidegger/" target="_blank" rel="noopener">Heidegger</a></span> assimile à une passion. Est-ce pour souligner la nuance de passivité inhérente au passage de <span style="color: #800000;"><a style="color: #800000;" href="http://marcalpozzo.blogspirit.com/archive/2018/02/02/le-dasein-au-milieu-du-monde-une-experience-de-l-appartenanc-3101493.html" target="_blank" rel="noopener">l’inauthenticité à l’authenticité</a></span>, et l’idée de vive intensité inhérente à la passion de la vérité ? Il semble qu’on ne saurait résister dans cet élan spontané, à accueillir la liberté, ou plutôt la libération, qu’accorde la compréhension véritable de la mort. Cette compréhension est alors ouverture vers son « soi », c’est-à-dire son authenticité. J'essaye de creuser cette difficile réflexion dans la philosophie du penseur allemand, pour l'<span style="color: #800000;"><em>Ouvroir</em></span>.</span></strong></p><p><img src="http://marcalpozzo.blogspirit.com/media/00/00/2604227378.jpg" id="media-1087155" alt="" /></p><p> </p><p><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 12pt;"><strong>1. L’appel de la conscience</strong></span></p><p><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 12pt;"><strong>1. La posture existentielle authentique</strong></span></p><p style="text-align: justify;"><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 12pt;">Il existe donc dans la philosophie de Heidegger une position existentielle authentique. Cette position est possible pour le <em>Dasein</em> à partir de lui-même. C’est-à-dire que la possibilité de changer, de devenir ce « <em>Soi-même</em> authentique », ne lui est pas adressée de l’extérieur. Nous en avons esquissé plus haut la structure, et celle-ci a un lien avec la mort. C’est dans « la reprise de soi hors du On, autrement dit la modification existentielle du On-même en être Soi-même authentique »<a href="#_ftn1" name="_ftnref1">[1]</a> que le <em>Dasein</em> aura la possibilité de demeurer dans cet autre du même, à savoir ce soi libéré. Ce devancement, cette ouverture sur son soi authentique est une possibilité ontologique. Il peut exiger de lui-même, son être en propre, c’est-à-dire exiger une vérité sur lui-même. Égaré dans le « On », le <em>Dasein</em> doit pouvoir se (re)trouver, se ressaisir, être montré à lui-même. Il lui faudra choisir. C’est-à-dire choisir de se choisir. En d’autres termes, disons qu’il a ce pouvoir, et il est même sermonné de s’attester lui-même. Un devoir qui lui est intimé par la « voix de la conscience » (<em>Stimme des Gewissens</em>).</span></p><p style="text-align: justify;"> </p><p style="text-align: justify;"><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 12pt;">Néanmoins, il s’agit de le comprendre, et Heidegger le dit précisément ainsi : « Est touché par l’appel celui qui veut être ramené. »<a href="#_ftn2" name="_ftnref2">[2]</a> Qu’est-ce à dire ? Certes l’appel brise le bavardage et la publicité du « On ». Certes l’appel vient faire cesser le vacarme. Il fait taire les paroles autour du <em>Dasein</em>, en installant le silence, car il n’a rien à raconter, n’a rien à constater et n’a rien à énoncer non plus. Mais il n’en véhicule pas moins un message intérieur. En fait, il singularise le <em>Dasein</em>. Et si le message intérieur est possible, c’est par <span style="color: #800000;"><a style="color: #800000;" href="http://marcalpozzo.blogspirit.com/archive/2020/03/29/l-angoisse-revelante-dans-etre-temps-de-heidegger-3148541.html" target="_blank" rel="noopener">cette expérience du Rien de l’angoisse</a></span> ; il se trouve, entre phénomène langagier et silence, dans cette solitude du <em>Dasein</em>. Celle-ci n’est pas une privation de toute relation avec autrui. Non. Mais c’est la somme de cette relation à soi, et de cette déprise de soi. De ce que nous appellerons le passage à l’Autre du même.</span></p><p style="text-align: justify;"> </p><p style="text-align: justify;"><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 12pt;">Cet appel en soi est <em>Gewissen</em> et non <em>Bewusstein</em>. Ce qui veut précisément dire qu’il n’est pas moral. Mais ontologique. Dans son ouverture, la conscience donne à comprendre. De plus, si l’appel est ainsi possible, c’est parce que le <em>Dasein</em> a d’abord été foudroyé par une secousse, un ébranlement. Celui de l’angoisse. De plus, le <em>Dasein</em> doit encore choisir de se tourner vers l’appel, donc de se questionner sur cet appel. Par l’appel, le <em>Dasein</em> est amené au plus près de tous ses possibles. Il est un appel au <em>Dasein</em> d’être soi-même. Il ne faut pas entendre comme une injonction d’être ceci ou cela. En réalité, l’appel de la conscience dit clairement au <em>Dasein</em> d’être, en toutes circonstances dans sa vie, au plus proche de lui-même.</span></p><p style="text-align: justify;"> </p><p style="text-align: justify;"><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 12pt;">Soit. Mais un problème toutefois résiste : dans cet appel qui parle ? De quelle profondeur nous vient-il ? Heidegger ne l’ignore pas, et nous répond : « Le Soi-même ad-voqué demeure indéterminé et vide en son « <em>quid</em> ». Comme <em>quoi</em> le <em>Dasein se</em> comprend-il de prime abord le plus souvent dans son explicitation à partir de ce dont il se préoccupe, cela, l’appel le passe. »<a href="#_ftn3" name="_ftnref3">[3]</a></span></p><p style="text-align: justify;"> </p><p style="text-align: justify;"><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 12pt;">Que devons-nous alors comprendre ? En fait, si l’appel est tourné en direction du <em>Dasein</em>, c’est-à-dire que l’appel lui commande d’être lui-même, il lui faut entendre l’appel en dehors, à savoir hors de l’être-explicité-public. Car on ne peut jamais se comprendre soi-même dans la sphère publique. Comprenez : on ne pourra se saisir soi-même tant que nous nous laisserons cernés par le « On », le bavardage et la redite. D’ailleurs, Heidegger le précise ainsi : « <em>Dans la conscience, le Dasein</em> s’appelle lui-même. »<a href="#_ftn4" name="_ftnref4">[4]</a> L’appel vient donc du plus profond de son être. De fait, il ne saurait être compris de l’extérieur. Il n’est pas un appel d’aller en tel ou tel sens. Il n’est pas non plus commandé par soi. Nous n’avons pas le pouvoir de le contrôler ni de l’activer. C’est en réalité, un appel contre soi-même. Car si l’appel vient bien de moi, en fait il me dépasse, en ce sens qu’il est une vraie voix étrangère. Certains vont même jusqu'à lui attribuer un « possesseur » : le Surmoi, un individu, Dieu en personne, etc. Pour sa part, Heidegger fixe cet appel dans l’<em>Unheimlichkeit</em>. Nous avons déjà montré en quoi l’angoisse nous amène à cet état d’inquiétante étrang(èr)eté. Il nous faut à présent comprendre en quel sens, cette voix demande au <em>Dasein</em> de ne surtout pas céder, au moment de cet appel, à la facilité de la liberté du « On », et lui intime l’ordre d’affronter l’étrang(èr)eté. Il se doit d’accepter d’être placer devant le Rien du monde. D’abord, parce que l’appel de la conscience se situe hors du langage public, et en ce sens il fait taire les palabres quotidiennes ; ensuite, il porte sur la tonalité affective de l’angoisse, et ainsi neutralise le « On », et esseule le <em>Dasein</em> ; enfin il « se manifeste comme appel du souci » (SZ, 277, Trad. Martineau), c’est-à-dire que l’appel de la conscience n’est autre, selon Heidegger, que la voix du souci lui-même. On voit désormais qu’aucune puissance étrangère n’appelle le <em>Dasein</em>. C’est juste là, si l’on ose dire, en lui. Ça n’est pas plus une voix universelle. Disons-le ainsi : c’est un contre-appel à l’appel de fuite qu’est l’appel du « On ». C’est un appel en l’étant qui se rappelle à lui-même, car dans l’appel, l’étant est <em>appelé</em> à lui-même. Que devons-nous ainsi retenir ? Le <em>Dasein</em> était jusqu’ici, immergé dans le « On », il était donc <em>absent</em> à lui-même ; le voilà, par l’appel, bientôt <em>présent</em>.</span></p><p style="text-align: justify;"> </p><p style="text-align: justify;"><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 12pt;">De plus, cet appel est purement ontologique. Rien de théologique ne doit être vu en celui-ci. C’est même à la plus extrême déthéologisation de la conscience<a href="#_ftn5" name="_ftnref5">[5]</a> que Heidegger se livre. Cet appel ne concerne que le <em>Dasein</em>, et n’est nulle part hors de lui-même. Il faut ainsi comprendre cela, si l’on entend saisir le sens existential de la « dette » que l’appel donne à comprendre. Aussi, pour saisir ce point, il nous faut désormais aborder cette notion et ainsi avancer dans notre problème.</span></p><p style="text-align: justify;"><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 12pt;"> </span></p><p style="text-align: justify;"><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 12pt;"><strong>2. L’être-en-dette et la résolution</strong></span></p><p style="text-align: justify;"><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 12pt;">Qu’est-ce que la dette (<em>Schuld</em>) ? En quoi intéresse-t-elle notre problématique ? Dans la philosophie de Heidegger, on a l’appel de la conscience qui habite le <em>Dasein</em>. Aussi, celui-ci ne peut le contrôler, et entend même l’amener à son être authentique. Entendons-le ainsi : c’est une dette que le <em>Dasein</em> a envers lui-même. Il ne faut bien sûr pas entendre cette notion de « dette » au sens d’une signification vulgaire, c’est-à-dire « avoir des dettes auprès de… » ou « être responsable de… » Ça n’est donc pas une dette au sens d’un débit ou d’une entorse aux codes juridiques. En réalité, parce que le <em>Dasein</em> va être appelé à lui-même, au sens où il a à être le fondement de lui-même en ne l’étant pas, « il <em>y a</em> dans l’idée du « en-dette » le caractère du <em>ne-pas</em> »<a href="#_ftn6" name="_ftnref6">[6]</a>. Le <em>Dasein</em> demeurant toujours en-deçà de ses possibilités, n’est ainsi pas son propre fondement, ce qui signifie qu’il n’est absolument jamais en possession de son être le plus propre. Le <em>Dasein</em> a donc une dette envers lui-même. Il a la charge de correspondre à ce fondement. Il n’est donc pas en dette au sens d’un bien ou un mal « moral ». L’être-en-dette est, chez Heidegger, un phénomène <em>inapparent</em>.</span></p><p style="text-align: justify;"> </p><p style="text-align: justify;"><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 12pt;">Écoutons sur ce point le philosophe allemand : « L’appel est appel du souci. L’être-en-dette constitue l’Être que nous appelons souci. Dans l’étrang(èr)eté, le <em>Dasein</em> se rassemble originairement avec lui-même. Elle transporte cet étant devant sa nullité non-dissimulée, laquelle appartient à la possibilité de son pouvoir-être le plus propre. »<a href="#_ftn7" name="_ftnref7">[7]</a> Or, que voudrait-il dire d’autre, si ce n’est que je ne peux plus là me réfugier dans le « On » pour dissimuler ma propre négativité. Mais plus encore, que je suis, par l’appel, tiré hors du « On » et de son non-choix. Qu’à présent, je me retrouve face à moi-même et placé devant la responsabilité d’avoir à assumer le choix dans toute sa nécessité, le choix donc de me choisir, jusque dans sa plus pure négativité. Dans cet appel, en forme de rappel, je me dois de m’assumer dans mon existence en tant qu’être-jeté. </span></p><p style="text-align: justify;"> </p><p style="text-align: justify;"><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 12pt;">Nous laisserons de côté toute la problématique inhérente à la dette autour de la bonne ou mauvaise conscience que le § 59 tente d’expliciter. Tâchons simplement de dire, que l’appel de la conscience est une « con-vocation pro-votante à l’être-en-dette » (SZ, § 60, 295, trad. Martineau). En d’autres termes, on pourrait exprimer l’idée que le <em>Dasein</em> a vocation à entendre l’appel, car dans l’écoute, il est pleinement ouvert à lui-même. Cette ouverture, en tant que compréhension, est sous-tendue par l’affection de l’<em>angoisse</em>, et le langage du <em>parler</em>. C’est-à-dire, « le parler de la conscience qui ne vient jamais à l’ébruitement » (SZ, 296, trad. E. Martineau). Que faut-il comprendre ? Que c’est dans ce profond silence qui m’isole et m’extrait du « On » que le propre de l’autre m’est à présent accessible. Désormais, je me trouve, je suis présent à moi-même, et je sais enfin où j’en suis. Parce que j’ai rompu avec le bavardage, le bruit du « On », j’ai transfiguré l’existence. Je me suis ouvert, dans la résolution, à l’existence propre. La résolution (<em>Entschlossenheit</em>) est le mode d’ouverture du <em>Dasein</em> à lui-même qui s’oppose à l’ir-résolution (<em>Unentschlossenheit</em>) du « On ». Dans la résolution, le <em>Dasein</em> part à la conquête de la vérité originaire, il devient transparent à lui-même : il est dans « sa translucidité authentique » (SZ, 299, trad. Martineau).</span></p><p style="text-align: justify;"> </p><p style="text-align: justify;"><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 12pt;">Aussi, comme il appartient au <em>Dasein</em> de choisir entre la vérité et la non-vérité, dans la résolution, le <em>Dasein</em> est transporté au-devant d’une situation. Certes, le « On » connait également la situation, mais celle-ci est générale, elle est « essentiellement fermée » (SZ, 300). Le « On » réduit la situation à un fait occasionnel. Dans la résolution au contraire, le <em>Dasein </em>est constamment ouvert à sa dette. « En tant que résolu, le <em>Dasein agit</em> déjà. »<a href="#_ftn8" name="_ftnref8">[8]</a> Soulignons qu’il se trouve là une difficulté dans le discours de Heidegger qu’il nous faut éclairer. Comment devons-nous interpréter ce verbe <em>agir</em> dans ce texte ? Est-ce l’action qui s’oppose à la réflexion ? Est-ce le mode actif qui s’oppose au mode passif ? Ou est-ce seulement la <em>praxis</em> qui s’oppose à la <em>theoria</em> ? En réalité, le phénoménologue allemand tente de réconcilier le contresens ontologico-existential du pouvoir pratique opposé au pouvoir théorique en montrant que la résolution n’est pas un « comportement particulier » ; en fait, elle entend le devancement du <em>Dasein</em> en tant que totalité conscience et mortalité soudées ensemble dans le souci. « <em>La résolution est seulement l’authenticité, prise en souci dans le souci et possible comme souci, du souci lui-même. </em>»<a href="#_ftn9" name="_ftnref9">[9]</a> Le <em>Dasein</em> se tient donc là dans son ouverture originaire, et il est appelé à découvrir la vérité, à la fois dans sa propriété et son originarité.</span></p><p style="text-align: justify;"> </p><p><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 12pt;"><strong>2. La temporalité de l’angoisse, une singularisation du <em>Dasein</em></strong></span></p><p><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 12pt;"><strong>1. Le phénomène de la temporalité</strong></span></p><p style="text-align: justify;"><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 12pt;">Partons à présent d’une considération méthodologique. Nous avons vu que le <em>Dasein</em> détenait un « pouvoir-être-authentique » (SZ, § 61, 302, trad. Martineau). Aussi, pour cela, il nous a fallu penser la mort, avec Heidegger, c’est-à-dire la compréhension de l’imminence de cette possibilité, qui est la seule posture authentique du <em>Dasein</em>, à savoir la façon authentique d’être-pour-la-mort. Mais penser la mort, c’est penser le temps. Car Heidegger pense le temps à partir de la mort. C’est ce que nous allons tenter de comprendre ici.</span></p><p style="text-align: justify;"> </p><p style="text-align: justify;"><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 12pt;">Il ne s’agit pas de considérer le concept du temps au sens de « l’expérience vulgaire du temps », c’est-à-dire le temps des horloges, mais de se préfigurer le temps sur le mode du <em>devancement</em> et de la <em>résolution</em> en « les pens(ant) jusqu’au bout » (SZ, 303, trad. Vezin). « Par là, nous dit Heidegger, l’élaboration de la résolution devançante comme pouvoir-être authentique existentiellement possible perd <em>le caractère d’une construction arbitraire. Elle devient la libération interprétative du Dasein pour </em>sa possibilité extrême d’existence. »<a href="#_ftn10" name="_ftnref10">[10]</a></span></p><p style="text-align: justify;"> </p><p style="text-align: justify;"><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 12pt;">Il nous faut repartir du phénomène de l’angoisse. C’est à partir de l’angoisse que le <em>Dasein</em> se comprend et ainsi est libre. Parce que le <em>Dasein</em> est ouvert à lui-même ; il comprend son être, dans ce qu’il y a de silencieusement possible. Aussi, cette résolution devançante est rendue possible par la temporalité. Or, si la résolution est le souci pour l’existence propre en sa finitude existentielle, résolution signifie pour le <em>Dasein</em> : « se-laisser-pro-voquer à l’être-en-dette le plus propre » (SZ, § 62, 303, trad. Martineau). Considérons que le <em>Dasein</em> ne peut se défaire de l’être-en-dette, et qu’il n’y a ni intermittence ni degré à rechercher dans l’être-en-dette. Le <em>Dasein</em> s’y tient authentiquement ou inauthentiquement.</span></p><p style="text-align: justify;"> </p><p style="text-align: justify;"><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 12pt;">Devons-nous y voir là le pêché qui s’opposerait au salut ? Heidegger répond à cette question pour une importante note de bas de page, concluant que « l’analyse existentiale de l’être-en-dette ne prouve rien, ni <em>pour</em>, ni <em>contre</em> la possibilité du pêché. » (SZ, 306, n1, trad. Martineau).</span></p><p style="text-align: justify;"> </p><p style="text-align: justify;"><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 12pt;">En réalité, le <em>Dasein</em> entend l’appel de la conscience. Aussi, y trouve-t-il l’esseulement. Car il est appelé à être authentique. C’est-à-dire à vivre authentiquement. Cependant, nous le savons à présent, le <em>Dasein</em> ne peut vivre authentiquement et être intégralement « translucide » que s’il accepte d’être un « être compréhensif pour la mort ». L’identité du même trouvant là son fondement dans cette <em>certitude</em> cartésienne<a href="#_ftn11" name="_ftnref11">[11]</a> de la mort.</span></p><p style="text-align: justify;"> </p><p style="text-align: justify;"><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 12pt;">Or, cela ne nous dit toujours pas comment il nous faut penser la mort ? Parce que Heidegger la pense à partir du temps, devons-nous la penser comme partie liée à l’écoulement des choses ? Devons-nous concevoir la mort comme ce qui sera inéluctable et c’est avec quoi il nous faudra apprendre à vivre ? Car « l’indétermination de la mort s’ouvre originairement dans l’angoisse »<a href="#_ftn12" name="_ftnref12">[12]</a>. Dans l’angoisse nous sommes ainsi nus devant la mort. Il n’en demeure pas moins qu’il nous faudra cho
Marc Alpozzo
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Dire l'indicible. De Heidegger à Wittgenstein
tag:marcalpozzo.blogspirit.com,2020-06-05:3150083
2020-06-05T06:16:00+02:00
2020-06-05T06:16:00+02:00
Si donc tout est structuré comme un langage (idée qui sera reprise par le...
<p style="text-align: justify;"><strong><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 12pt;">Si donc tout est structuré comme un langage (idée qui sera reprise par le psychanalyste Jacques Lacan au XXe siècle lorsqu’il parlera de l’inconscient), il faut considérer que le langage ne dit rien d’extralinguistique, mais, qu’au fond, le langage se dit lui-même. <span style="color: #800000;"><a style="color: #800000;" href="http://marcalpozzo.blogspirit.com/martin-heidegger/" target="_blank" rel="noopener">Heidegger</a></span> va, à la suite de <span style="color: #800000;"><a style="color: #800000;" href="http://marcalpozzo.blogspirit.com/friedrich_nietzsche/" target="_blank" rel="noopener">Nietzsche</a></span>, attirer l’attention sur les liens entre les options constitutives de la métaphysique et la représentation traditionnelle de la langue, afin de réviser les rapports entre langage et pensée. Petite méditation contemporaine en cette période de cacophonie générale. En accès libre dans l'<span style="color: #800000;"><em>Ouvroir</em></span>. </span></strong></p><p><img src="http://marcalpozzo.blogspirit.com/media/02/00/3947730165.jpg" id="media-1090545" alt="" /></p><h6><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 12pt;"><img id="media-1090547" style="float: left; margin: 0.2em 1.4em 0.7em 0;" title="" src="http://marcalpozzo.blogspirit.com/media/01/01/3456204179.2.jpg" alt="acheminement vers la parole.jpg" /><span style="font-size: 14pt;"><strong>Dire l’ineffable</strong></span></span></h6><p style="text-align: justify;"><span style="font-size: 12pt; font-family: georgia, palatino, serif;">Dans son recueil d’essais intitulé <em>Acheminement vers la parole</em>, publié en 1959, Martin Heidegger expose la possibilité d’une nouvelle approche du langage destiné à l’arracher à la façon dont il avait été conçu aussi bien par la tradition philosophique, que plus récemment, par la linguistique, dominée par la conviction que les représentations <em>métaphysico-linguistiques du langage</em> ont laissé échapper, voire qu’elles ont recouvert l’essence véritable du « parler », et ce, fondamentalement, pour deux raisons :</span></p><p style="text-align: justify;"> </p><p style="text-align: justify;"><span style="font-size: 12pt; font-family: georgia, palatino, serif;">La première, pensant que, parler, selon ces représentations, c’est s’exprimer : réduite au simple moyen d’expression, la langue ne permet plus d’extérioriser et de communiquer les mouvements intérieurs de notre subjectivité. La question revient alors à interroger la notion de « monde intérieur », en postulant une conception selon laquelle être, pour le sujet humain, c’est être ce que l’on est à partir de soi et dans son rapport à soi, puis déplier et déployer cette dimension du « soi » dans le monde « extérieur », conception de l’intériorité notablement critiquée par <span style="color: #800000;"><a style="color: #800000;" href="http://marcalpozzo.blogspirit.com/archive/2020/02/23/qu-est-ce-qu-une-crise-3147192.html" target="_blank" rel="noopener">Husserl</a></span> puis <span style="color: #800000;"><a style="color: #800000;" href="http://marcalpozzo.blogspirit.com/archive/2013/09/17/l-humanisme-de-sartre-2978158.html" target="_blank" rel="noopener">Sartre</a></span>.</span></p><p style="text-align: justify;"> </p><p style="text-align: justify;"><span style="font-size: 12pt; font-family: georgia, palatino, serif;">La seconde concerne la dénonciation d’Heidegger quant à la considération que le langage est le propre de l’homme : cette idée prétendant que la <strong>parole</strong> est le propre de l’homme, en fondant son essence, nous amène à nous demander s’il pourrait y avoir une humanité sans la présence du langage chez l’homme. Par ailleurs, cela nous conduit à se demander si l’homme pourrait se constituer en-dehors de son rapport à la langue. Heidegger répond qu’il faudrait plutôt se dire que « c’est la langue qui parle » et que, par conséquent, « l’homme serait plutôt une promesse de la langue », ce qui revient à dire que ce serait plutôt la conscience humaine qui serait un produit de la parole, plutôt que la parole, un produit d’une conscience qui lui préexisterait.</span></p><p style="text-align: justify;"> </p><p style="text-align: justify;"><span style="font-size: 12pt; font-family: georgia, palatino, serif;">À l’inverse des thèses du linguiste Ferdinand de Saussure, qui pensait que la langue est un produit de la subjectivité, Heidegger propose de reconsidérer le système de signes permettant l’expression sensible d’une intériorité, en en appréhendant la notion. Relisant le passage d’Aristote, où le philosophe antique propose de considérer les mots parlés comme les signes des mots écrits, il faut alors imaginer le signe comme montrant la chose elle-même qu’il désigne. Alors, le monde devient un dévoilement par le signe, dans son être le plus intime. Et, la meilleure fonction du langage se trouverait alors dans la langue du poète. Hölderlin, Rimbaud, nous dit Heidegger, n’expriment pas seulement des signes, ils nous dévoilent un monde.</span></p><p style="text-align: justify;"> </p><p style="text-align: center;"><img id="media-1090551" style="margin: 0.7em 0;" title="" src="http://marcalpozzo.blogspirit.com/media/00/02/3349865698.2.jpg" alt="holderlin.jpg" /></p><p style="text-align: center;"><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 10pt;">Hymnes et autres poèmes (1796-1804)</span></p><p style="text-align: center;"> </p><p style="text-align: justify;"><span style="font-size: 12pt; font-family: georgia, palatino, serif;">C’est alors que, dans cet « acheminement vers la parole » il s'agit de voir, moins la langue comme l’instrument de la communication intersubjective que la « demeure de l’être », autrement dit, le lieu où se trouve à se manifester ce par quoi il y a pour nous un monde. Dans l’esprit de Heidegger, ce n’est qu’à travers la langue que le monde nous est donnée. </span></p><p style="text-align: justify;"> </p><p style="text-align: justify;"><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 12pt;">S’il est désormais acquis, que les mots ne désignent ni les choses ni des idées extérieures à ces mots, mais qu'ils désignent plutôt des idées qui ne sont rien en dehors des mots qu'on utilise pour les dire, faut-il penser qu'il est impossible de tout dire ? Non pas dans la sphère sociale, où il est exigé ou plus prudent de ne pas tout dire, surtout ce que l'on pense, mais plutôt ce que nous avons en tête, ce que l’on peut donc ranger du côté de l'ineffable, de l'indicible, de cette impossibilité de dire ce qu'on a à l'esprit.</span></p><p style="text-align: justify;"> </p><p style="text-align: justify;"><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 12pt;">Seulement, cette impossibilité éprouvée n'est pas une impossibilité prouvée : ce n'est pas parce qu'on n'a pas trouvé les mots pour dire quelque chose que ce n'était pas possible absolument parlant. Qu'on ait été incapable de dire quelque chose ne signifie pas nécessairement qu'il était absolument impossible de le faire. De plus, on pourrait renverser l'interprétation qu'on donne de cette impossibilité : au lieu de soutenir qu'on n'a pas pu dire ce que l'on pensait, on pourrait dire que c'est parce qu'on n'avait en réalité rien à dire qu'on n'a pu le dire.</span></p><p style="text-align: justify;"> </p><p style="text-align: justify;"><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 12pt;">Par exemple, parmi les écrivains du XXe siècle, un certain nombre ont relevé le défi de forer les limites du langage. Que ce soit Edmond Jabès, Maurice Blanchot ou encore <span style="color: #800000;"><a style="color: #800000;" href="http://marcalpozzo.blogspirit.com/archive/2009/12/13/ruines-circulaires-2-duras-et-sa-solitude.html" target="_blank" rel="noopener">Marguerite Duras</a></span>, leur œuvre est le témoignage de cette lutte contre la défaite de la pensée et des mots, au niveau du référent, et dans le rapport à l’image et à la représentation. Prenons l’innommable chez Jabès, puisque toute son œuvre s’ébauche autour du Nom imprononçable de Dieu au lendemain de la Shoah ; chez Blanchot, l’inénarrable se situant davantage au niveau du récit : sa recherche épouse les contours effrayants de la mort, infiniment autre, et chez Duras, enfin, c’est au cœur du dialogique que jaillit l’incommunicable : son écriture s’attelle plutôt à scruter l’indicible qui s’installe entre les êtres, et plus particulièrement entre les sexes radicalement incompatibles.</span></p><p style="text-align: justify;"> </p><p style="text-align: justify;"><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 12pt;">On l'a donc compris, il s'agit plutôt de savoir quelles sont les causes qu'on peut trouver pour expliquer ce phénomène, cette expérience, et à partir de là, de savoir si ces causes permettent de dire qu'il existe en effet des choses qu'on ne peut pas dire, ou si cette expérience n'est en réalité qu'un <strong>malentendu,</strong> ce dont parlera le psychanalyste Jacques Lacan dans un séminaire sur le malentendu, disant : « Je suis un traumatisé du malentendu. Comme je ne m'y fais pas, je me fatigue à le dissoudre. Et du coup, je le nourris. »</span></p><p style="text-align: center;"><img id="media-1090552" style="margin: 0.7em 0;" title="" src="http://marcalpozzo.blogspirit.com/media/02/02/3870269030.jpg" alt="lacan.jpg" /></p><p style="text-align: center;"><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 10pt;">Jacques Lacan</span></p><p style="text-align: center;"> </p><p style="text-align: justify;"><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 12pt;">Mais dire que l’on trouve des choses qu'on ne peut pas exprimer, c'est d'abord dire qu'il y a des choses que certaines personnes déclarent ne pas pouvoir exprimer : « Je ne sais pas comment dire, je ne sais pas bien parler, je ne trouve pas les mots, je n'arrive pas vraiment à dire ce que je veux dire… »</span></p><p style="text-align: justify;"> </p><p style="text-align: justify;"><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 12pt;">Aussi, les mots ne nous manquent jamais tant, que lorsqu'il s'agit de décrire quelque chose qui se trouve en nous ou en dehors de nous, ce qui semble indiquer que l'ineffable serait causé par les objets : certains objets seraient impossibles à décrire ou difficiles à décrire, comme par exemple rendre avec précision toutes les palettes du bleu d'un ciel.</span></p><p style="text-align: justify;"> </p><p style="text-align: justify;"><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 12pt;">Et souvent on incrimine la langue lorsqu’on parvient à l’ineffable, disant : « Il n'y a pas de mot pour dire cela ». Or, dire que le réel est trop riche en détermination, c'est comme dire que la langue est trop pauvre en mots, ou a un lexique trop réduit pour tout dire. Mettre en cause les choses, c'est comme mettre en cause la langue, dans la mesure où les choses ne seraient pas en cause précisément si les mots que la langue met à notre disposition, nous permettaient de dire toutes les choses. À l'inverse donc, dire que ce sont les choses qui sont ineffables, parce qu'indescriptibles, cela revient à dire que ce sont les langues qui ne nous offrent pas les ressources lexicales nécessaires à l'expression de toute chose.</span></p><p style="text-align: justify;"> </p><p style="text-align: justify;"><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 12pt;">Pour <span style="color: #800000;"><a style="color: #800000;" href="http://marcalpozzo.blogspirit.com/archive/2014/03/03/hegel-le-vrai-est-le-tout-3139616.html" target="_blank" rel="noopener">Hegel</a></span>, le réel peut être entièrement exprimé par la pensée et le langage. Mais il peut arriver que la pensée soit encore à l'état de fermentation, et que, dans cet état la pensée n'ait pas encore trouvé ses mots. Si tel est le cas il est alors évident qu'on ne peut pas la dire : elle n'est pas encore tout à fait une pensée.</span></p><p style="text-align: justify;"> </p><h6 style="text-align: justify;"><span style="font-size: 14pt;"><strong><span style="font-family: georgia, palatino, serif;">Ce qui ne peut se dire doit se taire</span></strong></span></h6><p style="text-align: justify;"><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 12pt;"><img id="media-1090557" style="float: left; margin: 0.2em 1.4em 0.7em 0;" title="" src="http://marcalpozzo.blogspirit.com/media/01/00/3300645142.png" alt="tractacus.png" />Le philosophe Wittgenstein pense que l’usage correct du langage est d'exprimer les faits du monde, et que, seules les sciences de la nature sont habilitées à dire ce qui est vrai ou faux, puisqu’elles comportent en majeure partie des propositions véritables. Mais tout ce qui relève de l’éthique ou de l’esthétique, comme les valeurs, le bien, le beau, Dieu et ce qui est le plus important dans la vie, réside en dehors du monde et ne peut donc être dit, étant ainsi hors de la science. Loin de rechercher à discréditer la métaphysique, Wittgenstein met le doigt sur l'importance de l'indicible et de l'impensable de manière mystique.</span></p><p style="text-align: justify;"> </p><p style="text-align: justify;"><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 12pt;">Dans ce cadre, c’est à la philosophie que revient la mission de dire justement ce que le langage ne peut pas dire. La philosophie n'est pas qualifiée à dire quelque chose du monde, parce que le langage qu'elle utilise n'a pas la clarté du langage logique. Et les philosophes deviennent la proie des pièges que la langue leur tend. Il faut donc au philosophe une langue claire et précise et, pour Wittgenstein, la philosophie doit être cette activité de clarification du langage.</span></p><p style="text-align: justify;"> </p><p style="text-align: justify;"><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 12pt;">Aussi, si la philosophie doit montrer la forme logique de la réalité, « ce qui peut être montré ne peut pas être dit ». En voulant montrer l'indicible, le philosophe se condamne au silence, comme en témoigne l'aphorisme qui clôt le <em>Tractatus logico-philosophicus</em> : «<span style="color: blue; background: white;"> </span>Sur ce dont on ne peut parler, il faut garder le silence. » On peut évidemment appliquer ceci au <em>Tractatus</em> lui-même.</span></p><p style="text-align: justify;"> </p><p style="text-align: justify;"><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 12pt;">Cet ouvrage est écrit dans une langue. Que dire des phrases qui cherchent à dire ce qui ne peut être dit ? Elles sont aussi dénuées de sens.</span></p><p style="text-align: justify;"> </p><p style="text-align: center;"><img id="media-1090548" style="margin: 0.7em 0;" title="" src="http://marcalpozzo.blogspirit.com/media/01/01/1726929319.jpeg" alt="wittgenstein.jpeg" /></p><p style="text-align: center;"><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 10pt;">Ludwig Wittgenstein</span></p><p style="text-align: center;"> </p><p style="text-align: justify;"><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 12pt;">L’écrivain Marcel Proust fait remarquer ironiquement dans son roman le <em>Temps Retrouvé</em> que les gens vont au concert, et quand le spectacle est terminé, les mélomanes poussent des cris « bravo ! » : mais il faudrait que le bravo devienne une analyse fine de ce qui s’est passé. Les gens hurlent pour éviter d’analyser leurs impressions Chemin très long de la gestuelle naturelle inarticulée à l’articulation. C’est le passage sur les « célibataires de l’art » qui n’ont pas appris à articuler leurs impressions esthétiques (comme des enfants qui n’auraient jamais appris ce nouveau comportement de douleur dont parle Wittgenstein) </span></p><p style="text-align: justify;"> </p><p style="text-align: justify;"><span style="color: #800000;"><strong><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 12pt;">En couverture : Michel Paysant, <em>Matisse et après</em> (dessin volé) 2013/2014 Eyedrawing Tirage pigmentaire sur papier Hahnemühle 300 x 400 cm (en 12 panneaux de 100 x 100 cm)</span></strong></span></p>
Marc Alpozzo
http://marcalpozzo.blogspirit.com/about.html
De l’intentionnalité à la responsabilité. Note sur Levinas
tag:marcalpozzo.blogspirit.com,2020-05-06:3149998
2020-05-06T05:58:00+02:00
2020-05-06T05:58:00+02:00
On trouve au XXe siècle, formulé dans une conception « novatrice » la...
<p style="text-align: justify;"><strong><span style="font-size: 12pt; font-family: georgia, palatino, serif;">On trouve au XXe siècle, formulé dans une conception « novatrice » la notion d’autrui sous l’angle du devoir et de la responsabilité, dans la pensée du phénoménologue français <span style="color: #800000;"><a style="color: #800000;" href="http://marcalpozzo.blogspirit.com/emmanuel-levinas/" target="_blank" rel="noopener"><u>Levina<em>s</em></u></a></span>, célèbre pour avoir affirmé que la philosophie première était l’<em>éthique</em>.</span></strong></p><p><img src="http://marcalpozzo.blogspirit.com/media/02/02/361566534.2.jpg" id="media-1090379" alt="" /></p><p style="text-align: justify;"> </p><p style="text-align: justify;"><span style="font-size: 12pt; font-family: georgia, palatino, serif;"><img id="media-1090481" style="float: left; margin: 0.2em 1.4em 0.7em 0;" title="" src="http://marcalpozzo.blogspirit.com/media/01/00/2676446192.jpg" alt="lévinas,edmund husserl,heidegger,jean-paul sartre" />Avec <span style="color: #800000;"><a style="color: #800000;" href="http://marcalpozzo.blogspirit.com/emmanuel-levinas/" target="_blank" rel="noopener">Emmanuel Levinas</a></span> j’apprends à advenir en tant que <em>sujet libre</em>, dit-il, dans la <em>responsabilité infinie</em> qui m’incombe. Or, cette responsabilité repose dans le <em>visage de l’autre</em>. C’est un ordre adressé à chaque sujet et qui lui vient d’aucuns des signes ordinaires du commandement, qui ne dit pas ce que chacun doit faire, ni ne fait signe. C’est un ordre invisible. Chez Levinas, <span style="color: #800000;"><a style="color: #800000;" href="http://marcalpozzo.blogspirit.com/archive/2020/04/15/l-ethique-de-la-conscience-note-sur-levinas.html" target="_blank" rel="noopener">le visage parle</a></span> ; il <em>me</em> parle ; il ne parle pas à tous. Mais les paroles qu’il m’adresse sont des paroles encombrantes parfois, car ce qu’il m’adresse, je ne peux m’en exempter.</span></p><p style="text-align: justify;"> </p><p style="text-align: justify;"><span style="font-size: 12pt; font-family: georgia, palatino, serif;">Ce visage de l’autre, qui m’est étranger, mais qui s’adresse néanmoins à moi est une morale en moi, qui ne vient pas de moi, qui n’est pas non plus une révélation qui vient d’en haut, ni une éducation historiquement repérée, c’est une cette trace de l’éthique qui m’est imposée par l’autre en son visage, parce que, Levinas ajoute, le visage de l’autre est <em>invocation</em> et qu’il exige une aide, une réponse. Le visage est ce qui témoigne de la fragilité de l’homme ; il m’appelle, me <em>commande</em>, m’oblige à être responsable de lui.</span></p><p style="text-align: justify;"> </p><p style="text-align: justify;"><span style="font-size: 12pt; font-family: georgia, palatino, serif;">Mais c’est parce que le visage est nu, qu’il est dénudé de sa propre image, dit Levinas comme si l’image du visage n’étant qu’un masque informatif, qu’il pouvait se dépouiller, se vider, devenir alors ce visage nu, misérable, exposé : la cible de tous les meurtres, que l’impératif éthique repose sur le visage.</span></p><p style="text-align: justify;"> </p><p style="text-align: center;"><img id="media-1090477" style="margin: 0.7em 0;" title="" src="http://marcalpozzo.blogspirit.com/media/02/02/4144049485.jpg" alt="lévinas,edmund husserl,heidegger,jean-paul sartre" /></p><p style="text-align: center;"><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 10pt;">Edmund Husserl à son bureau</span></p><p style="text-align: center;"> </p><p style="text-align: justify;"><span style="font-size: 12pt; font-family: georgia, palatino, serif;">En cherchant à montrer que, tant chez <span style="color: #800000;"><a style="color: #800000;" href="http://marcalpozzo.blogspirit.com/archive/2020/02/23/qu-est-ce-qu-une-crise-3147192.html" target="_blank" rel="noopener"><strong><u>Husserl</u></strong></a></span> que chez <span style="color: #800000;"><a style="color: #800000;" href="http://marcalpozzo.blogspirit.com/archive/2018/02/02/le-dasein-au-milieu-du-monde-une-experience-de-l-appartenanc-3101493.html" target="_blank" rel="noopener"><strong><u>Heidegger</u></strong></a></span> l’<em>autre</em> est conçu de manière purement théorique et qu’en ce sens, sa dimension morale (et donc véritablement philosophique) est manquée, Levinas a su aller plus loin que <span style="color: #800000;"><a style="color: #800000;" href="http://marcalpozzo.blogspirit.com/archive/2020/04/09/les-ambiguites-de-la-conscience-sartrienne-3148532.html" target="_blank" rel="noopener"><strong><u>Sartre</u></strong></a></span>, en proposant de renverser le <em>cogito</em> cartésien afin d’affirmer que le fondement de la philosophie ne se trouve pas en celui-ci, mais en l’autre homme qui fait appel à ma responsabilité.</span></p><p style="text-align: justify;"> </p><p style="text-align: justify;"><span style="font-size: 12pt; font-family: georgia, palatino, serif;">En appelant « infini » cette trace que je trouve dans le visage de l’autre, je vois ce qui me transporte au-delà de lui-même, dans cet infini que je ne peux trouver en moi-même, Levinas propose une phénoménologie du visage d’autrui, qui est avant toute situation sociale, ou d'un caractère, d’abord un composé d’yeux, bouche, nez, etc. On comprend alors que, pour Levinas, sa conception d’autrui, qui se présente sous la forme d’une responsabilité infinie, du devoir, est à l’opposé de celle de Sartre, qui pensait que les regards s’affrontaient dans une lutte pour réduire l’autre à l’état d’objet. On va bien plus loin avec Levinas, puisqu’en ouvrant sur l’infini, le visage est ce qui peut seul m’élever à la condition de sujet : « Le visage s’impose à moi sans que je ne puisse rester sourd à son appel, ni l’oublier, je veux dire sans que je ne puisse cesser d’être responsable de sa misère » (<em>Humanisme de l’autre homme</em>, 1972).</span></p><p style="text-align: justify;"> </p><p style="text-align: justify;"><span style="font-size: 12pt; font-family: georgia, palatino, serif;">Dans la philosophie de Levinas, l’on voit que le visage commande, et ce qu’il commande, c’est un « penser par l’autre », qui prend la forme d’une inquiétude, d’un éveil à l’autre qui ne trouve pas son sens dans une positivité de la terre ferme. En étant quelque chose d’une <em>transcendance</em> qui nous commande, en présence d’Autrui, donné en son visage, nous répondons à un ordre qui échappe à toute logique de connaissance, à toute explication historique, religieuse ou juridique. Le « tu ne tueras point », paroles on ne peut plus claires, précises, presque matérielles, est un commandement donné par la <em>nudité du visage</em>, dans sa parfaite abstraction.</span></p><p style="text-align: justify;"> </p><blockquote><p style="text-align: justify;"><span style="color: windowtext; font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 12pt;">Le visage est seigneurie et le sans-défense même. Que dit le visage quand je l'aborde ? Ce visage exposé à mon regard est désarmé. Quelle que soit la contenance qu'il se donne, que ce visage appartienne à un personnage important, étiqueté ou en apparence plus simple. Ce visage est le même, exposé dans sa nudité. Sous la contenance qu'il se donne perce toute sa faiblesse et en même temps surgit sa mortalité. À tel point que je peux vouloir le liquider complètement, pourquoi pas ? Cependant, c'est là que réside toute l'ambiguïté du visage, et de la relation à l'autre. Ce visage de l'autre, sans recours, sans sécurité, exposé à mon regard dans sa faiblesse et sa mortalité est aussi celui qui m'ordonne : « Tu ne tueras point ». Il y a dans le visage la suprême autorité qui commande, et je dis toujours, c'est la parole de Dieu. Le visage est le lieu de la parole de Dieu. Il y a la parole de Dieu en autrui, parole non thématisée.</span></p><p style="text-align: justify;"><span style="color: windowtext; font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 12pt;">Le visage est cette possibilité du meurtre, cette impuissance de l'être et cette autorité qui me commande « tu ne tueras point ». </span></p><p style="text-align: justify;"><span style="color: windowtext; font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 12pt;">Ce qui distingue donc le visage, dans son statut de tout objet connu, tient à son caractère contradictoire. Il est toute faiblesse et toute autorité. </span></p><p style="text-align: justify;"><span style="color: windowtext; font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 12pt;">Cet ordre qu'il expose à l'autre relève aussi de l'exigence de responsabilité de ma part. Cet infini en un sens qui s'offre à moi, marque une non-indifférence pour moi dans mon rapport à l'autre, où je n'en ai jamais fini avec lui. Quand je dis « Je fais mon devoir », je mens, car je ne suis jamais quitte envers l'autre. Et dans ce jamais quitte, il y a la « mise en scène » de l'infini, responsabilité inépuisable, concrète. Impossibilité de dire non.</span></p><p style="text-align: right;"><span style="font-size: 12pt; font-family: georgia, palatino, serif;">Emmanuel Levinas, <em>Altérité et transcendance</em>.</span></p></blockquote>
Marc Alpozzo
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L’angoisse révélante dans Être & Temps de Heidegger
tag:marcalpozzo.blogspirit.com,2020-04-20:3148541
2020-04-20T06:00:00+02:00
2020-04-20T06:00:00+02:00
Probablement est-ce aussi, parce qu’en ayant abordé l’analytique...
<p style="text-align: justify;"><strong><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 12pt;">Probablement est-ce aussi, parce qu’en ayant abordé l’analytique existentiale sans en passer par le <em>cogito</em>, <span style="color: #800000;"><a style="color: #800000;" href="http://marcalpozzo.blogspirit.com/martin-heidegger/" target="_blank" rel="noopener">Heidegger</a></span> parvient, d’une part à se sauver de <span style="color: #800000;"><a style="color: #800000;" href="http://marcalpozzo.blogspirit.com/archive/2011/01/07/sartre-et-le-regard-d-autrui-1.html" target="_blank" rel="noopener">l’échec sartrien du solipsisme</a>,</span> mais d’autre part, à ouvrir le <em>Dasein</em> à une insigne compréhension du monde et de lui-même. C’est à présent ce que nous allons démontrer.</span></strong></p><p><img src="http://marcalpozzo.blogspirit.com/media/00/01/2700717117.jpg" id="media-1087152" alt="" /></p><p style="text-align: justify;" align="center"><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 12pt;"><strong> </strong></span></p><p><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 14pt;"><strong>1. Le souci angoissé du <em>Dasein</em></strong></span></p><p> </p><p style="text-align: justify;"><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 12pt;"><strong>α. Le souci comme auto-devancement</strong></span></p><p style="text-align: justify;"><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 12pt;"><strong> </strong></span></p><p style="text-align: justify;"><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 12pt;">L’angoisse peut-elle révéler le <em>Dasein</em> à lui-même ? L’angoisse – en tant qu’elle est une disposition affective fondamentale – est une manière d’être-au-monde, en tant que le <em>Dasein </em>est, dans son être même, toujours dans le devancement de soi. Cela veut précisément dire que c’est l’expérience singulière de l’angoisse qui permet au <em>Dasein</em> de saisir l’unité de sa constitution ontologique formé par l’existentialité, la factivité, et la déchéance<a href="#_ftn1" name="_ftnref1">[1]</a>. Mais le <em>Dasein</em> doit chercher à se reconquérir soi-même. En d’autres termes, lorsque la <em>Bedeutsamkeit</em> du monde devient insignifiante, la seule question qu’il m’est désormais possible de me poser c’est : « Où en suis-je ? C’était donc ça ma vie ? » L’angoisse est ce sentiment singulier de mise entre parenthèses de l’existence sur le mode de l’inauthenticité. Fondamentalement, le <em>Dasein</em> est ouvert à son être. D’une part, parce qu’il est en état d’<em>auto-devancement, </em>le <em>Dasein</em> est un être soucieux, c’est-à-dire un être dans le souci d’être ; d’autre part, parce que si le <em>Dasein</em> est dans l’existence loin de son être même, ayant succombé aux charmes de la quotidienneté, il n’en demeure pas moins, grâce au <em>souci</em>, propre à se découvrir.</span></p><p style="text-align: justify;"> </p><p style="text-align: justify;"><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 12pt;">Le souci angoissé se présente donc sur le mode d’existence où le <em>Dasein</em> a à sortir de sa dispersion pour revenir à son isolement. Le souci l’amène à prendre conscience de sa possibilité initiale d’être-dans-le-monde<a href="#_ftn2" name="_ftnref2">[2]</a>. Dans le langage ordinaire, le souci est entendu comme « une préoccupation à propos de quelque chose ». Mais dans le § 41, le souci (<em>Sorge</em>) – terme propre au vocabulaire heideggérien – est l’entièreté de l’être-là. C’est-à-dire que « Le <em>Dasein</em>, en son être, s’est à chaque fois déjà confronté avec une possibilité de lui-même. L’être-libre <em>vers</em> le pouvoir-être le plus propre et, du même coup, vers la possibilité de l’authenticité et de l’inauthenticité se manifeste dans l’angoisse en une concrétion originaire, élémentaire. Or, l’être pour le pouvoir-être le plus propre et, du même veut dire ontologiquement : le Dasein <em>est</em>, en son être, à chaque fois déjà <em>en avant</em> de lui-même. »<a href="#_ftn3" name="_ftnref3">[3]</a> Autant dire que dans sa fuite, à travers l’inauthenticité de son être-au-monde, le <em>Dasein</em> n’était pas aveuglé ; il s’aveuglait. Cela signifie alors qu’il est toujours ouvert à son être, même en immersion dans le « On » ; le <em>Dasein</em> peut en avoir une compréhension, parce qu’il est pro-jet, c’est-à-dire qu’il dispose en permanence d’une compréhension de soi-même, parce qu’il toujours et déjà au <em>devant-de-soi</em>. Le <em>Dasein</em> est ainsi dans son être poussé à la reconquête de soi, grâce à ce pouvoir de <em>révélation</em> rendu possible par le souci.</span></p><p style="text-align: justify;"> </p><p style="text-align: justify;"><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 12pt;"> Le <em>Dasein</em> étant cet être-vers, le bruit du « On » n’est alors point suffisant pour le conserver dans cette apparente sécurité et tranquillité. Car, il n’appartient pas au <em>Dasein</em> de demeurer auprès des choses. « Jeté dans un monde », livré à lui-même, le <em>Dasein</em>, dans son être-au-monde, n’existe pas comme un ustensile, un être-sous-la-main. Il existe. Le phénomène de l’angoisse ne faisant que renforcer cette position. « En d’autres termes : l’exister est toujours factice. L’existentialité est essentiellement déterminée par la facticité. »<a href="#_ftn4" name="_ftnref4">[4]</a> Amené malgré lui à chercher à se reconquérir soi-même, il ne peut ainsi demeurer indéfiniment dans l’inauthenticité. La déchéance est certes la condition nécessaire pour que l’angoisse puisse rendre <em>visible.</em> Elle n’en est point une condition suffisante. Le <em>Dasein</em> doit fuir l’étrang(èr)eté et l’angoisse que la publicté du « On » réprouve catégoriquement. Tout ce qui ne dépend pas de la familiarité doit être censuré. Le souci (<em>Sorge</em>), déterminant notre rapport à la réalité, sera alors la condition de possibilité de cette <em>extraction</em> par l’angoisse de la préoccupation (<em>Besorgen</em>) que représentent à la fois la coexistence des autres et le souci mutuel (<em>Fürsorge</em>). Pourquoi ? Parce que le souci est antérieur à la préoccupation et à l’inauthenticité. Il n’est pas spécifiquement un comportement égoïste et isolé. Il n’est pas une préoccupation narcissique, comme l’on se préoccuperait de soi dans une démarche nombriliste d’expression de soi pour soi. Le souci est souci au sens de « souci de soi », mais dans sa définition même, ainsi formulée, on trouve déjà un pléonasme, tant le souci est souci de son être même. Il est donc souci parce qu’il est toujours en auto-devancement de soi dans la mesure où le <em>Dasein</em>, parce qu’il est souci dans sa nécessité ontologique, court après ce qui lui manque, et ce qu’il ne possède pas encore.</span></p><p style="text-align: justify;"> </p><p style="text-align: justify;"><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 12pt;">Aussi, est-ce pourquoi, se fuyant lui-même, le <em>Dasein</em> à l’instar de ces personnages de la tragédie grecque, n’a d’autre recours, dans sa fuite, que de provoquer par celle-ci, le destin auquel il envisageait d’échapper. Dans son aveuglement, voilà que le <em>Dasein</em>, paradoxalement, prouve sa liberté. A l’inverse de Sartre, la liberté n’est pas comprise ici, par Heidegger, comme une aliénation. La liberté est là ce que l’on pourrait appeler la marge de choix pour le <em>Dasein</em>, de se « comporter vélléïtairement vis-à-vis de ses possibilités »<a href="#_ftn5" name="_ftnref5">[5]</a>. Il peut, parce qu’il est libre, se laisser séduire par la douce tranquillité du « On » et la vie inauthentique. Cela lui appartient. Cela dépend entièrement de sa volonté. Une volonté défaillante par exemple, s’abandonnera aux plaisirs du « On ». Dans son auto-devancement, le soi de soi-même se confondra d’ailleurs avec le « On même »<a href="#_ftn6" name="_ftnref6">[6]</a>. Mais il s’agit de comprendre que dans l’inauthenticité, le <em>Dasein</em> demeure toujours en auto-devancement. Ce qui signifie qu’il n’est donc jamais contraint, déterminé par le « On ». Il agit selon son désir, son souhait. Il est ontologiquement concerné par ses possibilités. Il peut librement choisir. C’est donc le souci qui est la condition de possibilité du penchant et de l’impulsion. Non l’inverse.</span></p><p style="text-align: justify;"><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 12pt;"> </span></p><p style="text-align: justify;"><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 12pt;"><strong>β. La fable du Souci, une herméneutique de soi</strong></span></p><p style="text-align: justify;"><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 12pt;">Qu’est-ce à dire ? Nous venons de comprendre que Heidegger dessinait une philosophie de la vie. Et que le <em>Dasein</em> était ainsi profondément humain. C’est ainsi un être armé d’une volonté qui se partage entre désir et souhait. Aussi, n’est-ce pas étonnant si le souci est écartelé entre le penchant (<em>Hang</em>) et l’impulsion (<em>Drang</em>). Ces phénomènes ne sont pas, cependant, ontologiquement antérieurs au souci. Le <em>Dasein</em> peut en permanence vouloir. Il ne cesse de <em>s’autodéterminer</em>. Mais que veut-il en réalité ? Au commencement, en immersion dans le « On », le <em>Dasein</em> est limité dans son vouloir. Ses possibilités se limitent à ce qui est « connu », c’est-à-dire à ce qui est partagé par tous dans la quotidienneté. « Le vouloir « rassuré » sous la conduite du « On » ne signifie pas une extinction de l’être pour le pouvoir-être, mais seulement une modification de cet être. »<a href="#_ftn7" name="_ftnref7">[7]</a> C’est-à-dire que le <em>Dasein</em> va être, en lui-même, sujet à une lutte entre le penchant et l’impulsion. Le premier souhaite à toux prix : conserver la tranquillité acquise. Certes, on rêve d’une vie meilleure, c’est-à-dire plus en adéquation avec ses aspirations profondes. Cette envie présuppose déjà le souci. Mais la préoccupation ne valorise pas ces aspirations là, voire même les condamne, car elles ne sont pas en accord avec ce qui est communément admis et attendu. Dans le contexte de l’analytique existentiale, le penchant exprime alors le refus d’abandonné la douce tranquillité qu’offre le « On ». Alors que l’impulsion exprime le souhait d’avoir cette chose qu’elle désire à tous prix, le penchant en revanche persiste à conserver ses acquis. « La « tendance » du penchant est de se laisser entraîner par ce à quoi il aspire. »<a href="#_ftn8" name="_ftnref8">[8]</a> Le penchant, – qui n’est autre qu’une modalité du souci –, ne se laisse pas éradiquer, aveuglant même l’impulsion, c’est-à-dire en l’amenant à ne parler autrement que selon l’« aspect » du souci, occultant toutes autres possibilités. Il ne nous paraîtrait donc pas excessif de dire ici, à la suite de Jean Greisch, qu’il y a là une double servitude<a href="#_ftn9" name="_ftnref9">[9]</a>. Le premier ayant le loisir d’empêcher le souci de « devenir libre » ; le second engageant le souci, c’est-à-dire littéralement l’enchaînant<a href="#_ftn10" name="_ftnref10">[10]</a>. Ceci établit, cette forme de double servitude n’est toutefois pas irréversible. D’abord parce que le souci, qui est « un phénomène ontologique existential fondamental » (SuZ, (196), veille sur la plurivocité de l’être ; d’autre part, parce que le <em>Dasein</em>, n’étant pas figé dans le réel, peut se projeter et se retourner sur lui-même, se regarder entrain d’agir, s’imaginer, etc. Le <em>Dasein</em> est un homme, c’est-à-dire qu’il est le seul étant dans le monde capable d’échapper au déterminisme biologique, puisqu’il est un composé de sensible et d’intelligible.</span></p><p style="text-align: justify;"> </p><p style="text-align: justify;"><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 12pt;">Or, le souci est le propre de l’homme. Tentons une explication précise : le souci est ce qui veille à l’être et à la liberté humaine. C’est grâce au souci que le <em>Dasein </em>est cet étant qui peut se poser la question de l’étant en se retournant sur l’être. L’explicitation de ce point trouve son témoignage dans une ancienne fable d’Hygin, la 220<sup>e</sup>. Heidegger ne recourant à aucune justification scientifique, cite simplement une fable<a href="#_ftn11" name="_ftnref11">[11]</a>. De quoi parle-t-elle ? Tandis qu’il traversait un cours d’eau, le Souci (<em>cura</em>) trouve un limon argileux songeur, qu’il décide de façonner à sa guise. Puis, à l’instant où Jupiter survient, le Souci n’a aucune hésitation à lui réclamer un peu d’esprit pour ce morceau d’argile à peine façonné. Si Jupiter consent à cette demande, il interdit au Souci en revanche, de donner son propre nom à ce petit morceau d’argile. Au cœur de la dispute, la Terre (<em>Tellus</em>) s’interjette dans la querelle, et réclame ce qui lui est dû : ce morceau d’argile ne provient-il pas d’une parcelle de son corps ? On l’appellera donc « Terre ». Personne ne tombant d’accord, on prit Saturne comme arbitre. Et ce dernier, contre toute attente, déclara : « Toi, Jupiter, qui lui as donné l’esprit, tu dois à sa mort recevoir son esprit ; toi, Terre, qui lui as offert le corps, tu dois recevoir son corps. Mais comme c’est le « Souci » qui a le premier formé cet être, alors, tant qu’il vit, que le « Souci » le possède. Comme cependant il y a litige sur son nom, qu’il se nomme homo, puisqu’il est fait d’humus (de terre). »<a href="#_ftn12" name="_ftnref12">[12]</a> Or, pourquoi devons-nous ainsi prendre en compte cette décision de Saturne ? Nous voyons Heidegger, citant <em>in extenso</em> cette fable, dessiner là une anthropologie qui, <em>a priori</em>, n’étonnera personne : l’homme est corps et esprit. Jusqu’ici difficile de ne pas tomber d’accord. Ce serait presque un truisme. En réalité, Heidegger confirme ainsi qu’il souscrit entièrement à la conception anthropologique traditionnelle définissant l’homme comme animal <em>rationale</em>.</span></p><p style="text-align: justify;"> </p><p style="text-align: justify;"><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 12pt;">Tâchons alors de suivre cette piste : le terme latin <em>cura</em> présente un double sens : celui d’« effort anxieux » et de « soin ». Dans cette structure empirique <em>a priori</em> toujours déjà donnée, le sens même du mot allemand <em>Sorge</em> exprime ici l’unité de l’être homme, à la fois matière corporelle et forme spirituelle qui « présente une articulation structurale » dont l’expression trouve sa place dans « le concept existential de souci<a href="#_ftn13" name="_ftnref13">[13]</a> ». Si donc l’homme tire son origine fondamentale de la terre, c’est Saturne qui décide de l’être originaire de l’homme : ce sera le <em>temps</em>. Or, à la différence des dieux qui sont immortels, l’homme en revanche, est un être voué à la mort. La portée herméneutique de cette fable nous conduit à ne plus considérer désormais le Souci comme une simple abstraction, mais à le considérer comme ce qui guide l’homme dans sa perfectibilité naturelle ; l’homme est projet, c’est-à-dire qu’il est « en son être libre pour ses possibilités » (SuZ, 196, trad. Martineau) capable de parvenir au bout de ses projets, mené par le Souci. Toutes ses conduites étant ontiquement guidées par le « souci de la vie » et le « dévouement ». Or, par cette condition existentiale de possibilité, on peut désormais mieux saisir pourquoi le <em>Dasein</em> a le souci de comprendre la vie, de lui conférer un sens, dans un mouvement qui va de l’auto-interprétation spontanée de la vie à la conceptualité ontologique.</span></p><p style="text-align: justify;"> </p><p style="text-align: justify;"><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 12pt;">Ceci étant désormais établi, tâchons de reprendre cette idée vue plus haut concernant le <em>Dasein</em> qui serait toujours déjà « hors de soi », auprès du monde. Continuons à partir de cela notre enquête pour établir le rôle du souci dans l’expérience de l’angoisse, la délivrance du <em>Dasein</em> et la révélation de son « être authentique ». </span></p><p style="text-align: justify;"> </p><p style="text-align: justify;"><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 12pt;"> Il est significatif de constater que l’existence du monde est préalable au <em>Dasein</em> et à son questionnement. « L’<em>être</em> reçoit le sens de la <em>réalité</em><a href="#_ftn14" name="_ftnref14">[14]</a>. » Mais c’est le souci qui l’interprète, ce qui signifie clairement que le sens de la réalité est choisit par le souci lui-même, – décidant de ce que veut dire cette réalité résistante. La compréhension du réel n’est pas possible sans le souci. La significativité du monde n’est alors effective qu’à condition qu’un étant soit doué d’une capacité suprême de « compréhension d’être ».</span></p><p style="text-align: justify;"> </p><p style="text-align: justify;"><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 12pt;">Vouloir prouver l’existence du monde serait alors une entreprise vaine, car « le réel n’est jamais dévoilable que sur la base d’un monde déjà découvert<a href="#_ftn15" name="_ftnref15">[15]</a> ». Inutile désormais de préciser que l’existence du monde ne fait pas question. En soi, c’est le terme même de réalité, à dégager de toute alternative classique, réalisme ou idéalisme, qu’il s’agit de prendre ici en compte. Le caractère phénoménologique de l’expérience de l’angoisse implique la conception heideggérienne de la perception qui, d’une part, comprend une « significativité déficiente », d’autre part, une proposition qui emboite le pas à la résistance du réel. Expérience authentiquement phénoménologique, à la fois conscience (<em>Bewusstsein</em>) et à la conscience de soi (<em>Selbstbewusstein</em>). Il nous faut donc comprendre qu’exister, c’est toujours se préoccuper de cette existence, c’est s’en soucier. Soulignons ici que la notion de compréhension de l’existence est le pivot de la problématique concernant notre analyse. Dans ce souci de l’existence humaine, il nous faut voir se dessiner à l’horizon, le souci de l’être en général, et la responsabilité du <em>Dasein</em> d’assumer son existence en en prenant souci. Tâchons désormais de suivre cette piste.</span></p><p style="text-align: justify;"> </p><p><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 14pt;"><strong>2. Le temps de l’éclaircie</strong></span></p><p> </p><p style="text-align: justify;"><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 12pt;">Voilà qu’il nous faut à présent aborder le problème de la vérité. Ecoutons Heidegger à ce propos : « Le découvrir est une guise d’être de l’être-au-monde. La préoccupation, qu’elle soit circon-specte, ou même qu’elle a-vise en séjournant, découvre de l’étant intramondain. Celui advient comme ce qui est découvert. Il est « vrai » en un second sens. Est primairement « vrai », c’est-à-dire découvrant, le <em>Dasein</em>. La vérité au
Marc Alpozzo
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Le temps et la mort. Heidegger et Lévinas
tag:marcalpozzo.blogspirit.com,2020-04-13:3149088
2020-04-13T06:00:00+02:00
2020-04-13T06:00:00+02:00
Si l’on fait en permanence l’épreuve de l’existence, en l’éprouvant dans...
<p style="text-align: justify;"><strong><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 12pt;">Si l’on fait en permanence l’épreuve de l’existence, en l’éprouvant dans notre chair, rien en revanche ne prouve sa nécessité ; menacée par le temps, elle est par là même inséparable de la possibilité de sa fin, et de la <em>possibilité de la mort</em>. Voici donc, pour l'<span style="color: #800000;"><em>Ouvroir</em></span>, une petite réflexion mêlant <span style="color: #800000;"><a style="color: #800000;" href="http://marcalpozzo.blogspirit.com/emmanuel-levinas/" target="_blank" rel="noopener">Levinas</a></span> et <span style="color: #800000;"><a style="color: #800000;" href="http://marcalpozzo.blogspirit.com/martin-heidegger/" target="_blank" rel="noopener">Heidegger</a></span>. </span></strong></p><p><img src="http://marcalpozzo.blogspirit.com/media/00/00/1640746178.jpg" id="media-1088608" alt="" /></p><p style="text-align: justify;"> </p><p style="text-align: justify;"><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 12pt;"><img id="media-1088713" style="float: left; margin: 0.2em 1.4em 0.7em 0;" title="" src="http://marcalpozzo.blogspirit.com/media/02/00/3578458253.jpg" alt="heidegger,lévinas" />En dessinant une <span style="color: #800000;"><a style="color: #800000;" href="http://marcalpozzo.blogspirit.com/archive/2018/01/25/phenomenologie-de-la-mort-note-sur-heidegger-3101489.html" target="_blank" rel="noopener">phénoménologie de la mort</a></span>, <span style="color: #800000;"><a style="color: #800000;" href="http://marcalpozzo.blogspirit.com/martin-heidegger/" target="_blank" rel="noopener">Heidegger</a></span> a particulièrement mis en relief ce point. La mort n’est pas ou pas seulement un phénomène biologique pour l’homme. Soulignant une objectivité de la mort, Heidegger montre que c’est par la mort d’autrui que j’acquière cette connaissance de la mort, car celle-ci a lieu dans le monde comme un événement. J’y assiste, je l’éprouve d’une certaine manière. La mort m’apparaît dans sa cruelle vérité.</span></p><p style="text-align: justify;"> </p><p style="text-align: justify;"><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 12pt;">Il est toutefois à noter que Heidegger souligne qu’au moment où j’assiste à la mort d’autrui, je ne meurs pas. C’est « On » qui meurt. On est dans le domaine du « <em>on meurt</em><strong> </strong>». Et si la mort ne nous surprend pas, nous savons qu’elle arrive à chacun et qu’elle arrivera un jour à nous-même, nous savons aussi qu’elle n’aura pas lieu dans l’immédiat.</span></p><p style="text-align: justify;"> </p><p style="text-align: justify;"><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 12pt;">Mais à ce « on meurt », Heidegger veut opposer la <em>mort authentique</em>. Celle-ci n’est pas un événement ; elle un rapport que l’homme entretient avec la mort. Voilà pourquoi dans l<span style="color: #ff0000;"><span style="color: #000000;">a</span><a style="color: #ff0000;" href="http://marcalpozzo.blogspirit.com/archive/2018/03/01/elements-pour-une-premiere-lecture-heidegger-1925-1930-3101558.html" target="_blank" rel="noopener"> <span style="color: #800000;">philosophie du maître de Fribourg</span></a> </span>l’<em>être-pour-la-mort </em>est une dimension essentielle de l’homme.</span></p><p style="text-align: justify;"> </p><p style="text-align: justify;"><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 12pt;">Autrement dit, ma mort n’est pas un événement, car je ne puis en être le témoin. Elle demeure néanmoins au plus haut point <em>ma</em> mort, la <em>mienne</em>. Elle reste ma mort selon Heidegger, car c’est bien la seule chose que je ne peux pas déléguer à l'autre : autrui ne peut se substituer à moi dans ma propre mort. Il ne peut même me seconder.</span></p><p style="text-align: justify;"> </p><p style="text-align: justify;"><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 12pt;">En 1927, Heidegger publie un ouvrage majeur, l’un des plus importants de toute l’histoire de la philosophie, dont le titre est <em>Être et temps</em>. Son idée majeure : les questions de l’Être et du Temps sont inséparables.</span></p><p style="text-align: justify;"> </p><p style="text-align: justify;"><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 12pt;">Une autre idée majeure de Heidegger est celle que, depuis les Grecs, l’Être a été compris comme « essence » ou « présence », c’est-à-dire à partir du présent. Mais au fur et à mesure, l’Être a été entièrement figé dans le présent comme une multiplicité de « maintenant » qui se succèdent les uns aux autres.</span></p><p style="text-align: justify;"> </p><p style="text-align: justify;"><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 12pt;">Enfermé dans l’existence quotidienne, dans l’impersonnalité, dans le <em>on</em> (« on dit que », « on pense que ») l’homme a défini l’être comme <strong>être-présent</strong>. La conséquence : l’homme a manqué à la fois sa propre essence, ce que Heidegger appelle son pouvoir être le plus propre, et l’essence du temps.</span></p><p style="text-align: justify;"> </p><p style="text-align: justify;"><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 12pt;">Mais par ailleurs, le <span style="color: #800000;"><a style="color: #800000;" href="http://marcalpozzo.blogspirit.com/archive/2018/02/02/le-dasein-au-milieu-du-monde-une-experience-de-l-appartenanc-3101493.html" target="_blank" rel="noopener"><em>Dasein</em></a></span> (mot utilisé par le philosophe allemand pour penser l’essence de l’homme comme <em>existence</em>) est sans cesse en quête de ses possibles, il se soucie toujours de ce qu’il peut être (c’est-à-dire qu’il est lié à son futur). Mais il est tout autant attaché à son passé en permanence, car il est « jeté » dans le monde sans être libre de choisir ce début.</span></p><p style="text-align: justify;"> </p><p style="text-align: justify;"><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 12pt;">Lié au présent par sa <em>facticité</em>, par le fait brut de son existence, le temps n’est aucunement ce <em>dans</em> quoi vient se situer l’existence de l’homme comme se situe par exemple un cahier dans un tiroir. La temporalité est plutôt une dimension essentielle et inhérente de l’existence. Notons que c’est le Dasein lui-même qui est temporel. Il est donc le lieu de l’unité extatique (extase, sortie hors de soi) du passé, du présent et du futur.</span></p><p style="text-align: center;"><img id="media-1088609" style="margin: 0.7em 0;" title="" src="http://marcalpozzo.blogspirit.com/media/00/01/2295728293.jpg" alt="heidegger7.jpg" /></p><p style="text-align: center;"><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 10pt;">Martin Heidegger</span></p><p style="text-align: center;"> </p><p style="text-align: justify;"><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 12pt;"><img id="media-1088677" style="float: left; margin: 0.2em 1.4em 0.7em 0;" title="" src="http://marcalpozzo.blogspirit.com/media/00/01/254272230.jpg" alt="heidegger,emmanuel levinas" />Pour le philosophe français <span style="color: #800000;"><a style="color: #800000;" href="http://marcalpozzo.blogspirit.com/emmanuel-levinas/" target="_blank" rel="noopener">Emmanuel Levinas</a></span>, dont la philosophie du visage ne doit pas être négligée, le temps est pensé à partir de la mort. Dans <em>Le Temps et l’Autre</em>, qui sont des cours que Levinas a donné à la Sorbonne et qui ont été publiés peu de temps après, Levinas développe une conception du temps comme <em>transcendance vers l’autre</em>.</span></p><p style="text-align: justify;"> </p><p style="text-align: justify;"><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 12pt;">La transcendance vers l’autre, nous dit Levinas, n’est pas un acte intentionnel commun, puisque l’altérité de l’Autre le porte au-delà du pouvoir constitutif de la conscience. L’Autre est radicalement autre.</span></p><p style="text-align: justify;"> </p><p style="text-align: justify;"><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 12pt;">Levinas développe une pensée originale sur le temps à partir de la conception développée par Heidegger dans <em>Être et Temps</em>. C’est aussi grâce au temps que l’on peut considérer comme transcendance vers l’Autre, que l’on va pouvoir penser un dépassement de l’existant de sa solitude, tout en gardant son altérité.</span></p><p style="text-align: justify;"> </p><p style="text-align: justify;"><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 12pt;">Comme moi, mon <em>alter ego</em> n’est pas éternel : il va mourir, et c’est à partir de la mort de l’autre que nous pouvons construire notre réflexion sur le temps. La difficulté qu’il faut alors relever, c’est que, ni le temps ni la mort ne sont des idées objectives ou inhabités, d’où les sentiments d’inquiétude et d’angoisse qu’elles inspirent.</span></p><p style="text-align: justify;"> </p><blockquote><p style="text-align: justify;"><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 12pt;">« Devant la mort qui sera mystère et non pas nécessairement néant, ne se produit pas l’absorption d’un terme par l’autre. Nous montrerons enfin comment la dualité qui s’annonce dans la mort devient relation avec l’autre et le temps.», écrit Lévinas.</span></p></blockquote><p style="text-align: justify;"> </p><p style="text-align: justify;"><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 12pt;">Dans la mort de l’autre, je fais l’expérience de l’anéantissement d’autrui, mais je prends aussi conscience que la mort d’autrui porte un sens qui me dépasse, et que je ne peux limiter au néant ; qui est même tout sauf le néant, et qui est plutôt du côté du mystère.</span></p><p style="text-align: justify;"> </p><p style="text-align: justify;"><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 12pt;">La compréhension que l’on peut avoir du temps, de la durée du temps, est celle de la durée qui s’avance avec l’être, et lorsque Levinas dit que le sujet advient par la responsabilité, dans le face-à-face avec le visage de l’autre, c’est une responsabilité infinie, au-delà de toute limite. C’est la mort de l’autre qui m’éveille dans la responsabilité sans fin qui est la mienne, je n’en ai jamais fini avec l’autre. Je dois ainsi accepter que la mort de l’autre est mon affaire, mon problème. Et c’est dans ma responsabilité pour autrui, que je trouve l’essence même du sujet. Pour terminer cet exposé, écoutons Levinas nous tendre une proposition qui fonde l’éthique et le temps :</span></p><p style="text-align: justify;"> </p><blockquote><p style="text-align: justify;"><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 12pt;">« Je suis responsable de l’autre en tant qu’il est mortel. » (<em>La Mort et le Temps</em>, 47).</span></p><p style="text-align: justify;"> </p></blockquote><p style="text-align: center;"><img id="media-1088610" style="margin: 0.7em 0;" title="" src="http://marcalpozzo.blogspirit.com/media/00/00/361566534.jpg" alt="levinas.jpg" /></p><p style="text-align: center;"><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 10pt;">Emmanuel Levinas (1906-1995)</span></p>
Marc Alpozzo
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Les ambiguïtés de la conscience sartrienne
tag:marcalpozzo.blogspirit.com,2020-04-09:3148532
2020-04-09T09:18:00+02:00
2020-04-09T09:18:00+02:00
La « vraie vie », nous dit Sartre , n’est pas ailleurs ; elle est dans...
<p style="text-align: justify;"><strong><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 12pt;">La « vraie vie », nous dit <span style="color: #800000;"><a style="color: #800000;" href="http://marcalpozzo.blogspirit.com/tag/heidegger" target="_blank" rel="noopener">Sartre</a></span>, n’est pas ailleurs ; elle est dans la conscience ; elle est dans notre rapport aux autres ; elle est dans cette liberté inconditionnée que l’on reçoit en héritage dès notre <em>arrivée</em> au monde. </span></strong></p><p><img src="http://marcalpozzo.blogspirit.com/media/01/02/3718171029.jpg" id="media-1087140" alt="" /></p><p style="text-align: justify;"><strong> </strong></p><p style="text-align: justify;"><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 12pt;"><strong> </strong></span></p><p style="text-align: justify;"><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 12pt;"><strong>1– La conscience et sa nudité</strong></span></p><p style="text-align: justify;"> </p><p style="text-align: justify;"><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 12pt;">Il n’existe pas d’arrières-mondes. En posant d’emblée ce principe moderne, Sartre entend libérer la philosophie de l’illusion métaphysique, et ainsi affirmer une philosophie du concret et de la contingence, mettant désormais fin aux grands dualismes classiques<a href="#_ftn1" name="_ftnref1">[1]</a>, par exemple, être/paraître, intérieur/extérieur, acte/puissance. Mais l’originalité spécifique sartrienne, se réclamant d’une phénoménologie de l’objet concret, montre que le paraître exprime l’« être d’un existant », en radicalisant ainsi <em>le retour vers les choses mêmes<a href="#_ftn2" name="_ftnref2"><strong>[2]</strong></a></em>. Dès les premières lignes de l’introduction de <em>L’Être et le Néant</em>, Sartre souligne avec zèle le poids du réel, son urgence<a href="#_ftn3" name="_ftnref3">[3]</a>, en abordant directement, et frontalement, l’être du phénomène.</span></p><p style="text-align: justify;"><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 12pt;">Le phénomène, nous dit Sartre, se dévoile tel qu’il est<a href="#_ftn4" name="_ftnref4">[4]</a>. C’en sera d’autant plus facile de le décrire dans sa nudité absolue. À cela, Sartre tentant le pas, réduit la philosophie de l’être à l’acte même, et ainsi efface toute possibilité de puissance pré-existante. Écoutons-le : « Tout est acte. Derrière l’acte il n’y a ni puissance, ni « <em>exis</em> », ni vertu. Nous refuserons, par exemple, d’entendre par « génie » – au sens où l’on dit que Proust « avait du génie » ou qu’il « était » un génie – une puissance singulière de produire certaines œuvres, qui ne s’épuiserait pas, justement dans la production de celle-ci. <em>Le génie de Proust, ce n’est ni l’œuvre considérée isolément, ni le pouvoir subjectif de la produire : c’est l’œuvre considérée comme l’ensemble des manifestations de la personne</em>. »<a href="#_ftn5" name="_ftnref5">[5]</a> L’Être est ainsi réduit à son apparition. La description phénoménologique sartrienne se refusant désormais de recourir à l’hypothèse d’une réalité transcendante, comme si, soudain, Sartre trouvait là le moyen d’enfin rendre le monde à sa vérité. C’est tout du moins la démarche qu’il entend suivre, faisant de la recherche de l’être, probablement l’unique « argument ontologique » de tout son livre <em>L’Être et le Néant</em>. Une recherche de l’être qui débouche sur l’être de l’apparition, c’est-à-dire l’être du phénomène. Or, cette présence de l’être dans le phénomène, – ayant pour fonction première de désenchanter le monde, – n’est pas à proprement parler un renversement du platonisme, mais son surpassement, dans un mouvement qui réconcilie l’être et l’apparence<a href="#_ftn6" name="_ftnref6">[6]</a>.</span></p><p style="text-align: justify;"> </p><p style="text-align: justify;"><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 12pt;"> Cependant, ne nous y trompons pas : à la différence de Heidegger qui fait du <em>Dasein</em> un berger de l’être, cette recherche de l’être sartrienne a pour seul objectif de fonder un principe d’identité qui, de manière tautologique, exprime l’idée que le phénomène <em>est</em> phénomène. Un monisme phénoménal exigeant alors nécessairement un dépassement, parce que plongé dans le monde, je n’ai pas de rapport direct à ce dernier. On trouve alors une distance entre la conscience et le monde<a href="#_ftn7" name="_ftnref7">[7]</a> à la manière d’un écart. En effet, l’être qui m’<em>apparaît</em> n’est pas l’être de l’existant. Ce dépassement aura donc lieu, et ce sera dans l’opposition entre être et paraître<a href="#_ftn8" name="_ftnref8">[8]</a>. Les premières pages de l’introduction, dont le but est de clarifier cette « Recherche », opposent le phénomène à l’apparaître, en posant comme principe que le phénomène est pour nous uniquement ce qui nous apparaît<a href="#_ftn9" name="_ftnref9">[9]</a>. Étant essentiellement en soi, le Phénomène est tel qu’il est, et s’oppose à nous dès son apparition.</span></p><p style="text-align: justify;"> </p><p style="text-align: justify;"><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 12pt;">La philosophie de Sartre est à la fois une philosophie du phénomène, mais également une phénoménologie essentialiste. En affirmant ainsi que « l’apparence <em>est</em> l’essence »<a href="#_ftn10" name="_ftnref10">[10]</a>, Sartre introduit là le concept husserlien d’intentionnalité<a href="#_ftn11" name="_ftnref11">[11]</a>, et met désormais en question les rapports entre l’objet et la perception. Pour comprendre, prenons son exemple de l’apparition de la tasse. Elle est posée là, mais elle n’est pas moi. Comment vais-je être affecté par elle ? C’est le jeu du fini et de l’infini, ou plutôt le jeu « fini dans l’infini », ce nouveau dualisme sartrien, qu’il s’agit de questionner. Suivons-le pas-à-pas. La tasse est cette « apparition » finie, prise dans le flux des possibilités « infinies ». Lorsque je perçois la tasse que j’intentionne, l’objet déborde ma perception ; je dois affronter la richesse de ses déterminations, et accepter de ne pouvoir le saisir dans sa totalité. Pourquoi ? Parce qu’affrontant l’objet, j’exclus chaque fois une infinité d’autres points qui m’attendent<a href="#_ftn12" name="_ftnref12">[12]</a>. L’être étant la <em>condition</em> de tout dévoilement. Parce que Sartre veut montrer que le phénomène est tel qu’il apparaît, nous ne devons pas chercher derrière ou au-delà du phénomène qui s’identifie à l’être. Il n’y a aucune essence cachée derrière l’apparence. Elles se révèlent d’un coup ensemble. Et en étant déjà dans le phénomène, l’être s’annonce comme <em>transphénoménal<a href="#_ftn13" name="_ftnref13"><strong>[13]</strong></a></em>. Ce qui appelle un dépassement du phénomène vers un être non-phénoménal<a href="#_ftn14" name="_ftnref14">[14]</a>.Voyons désormais comment cela affecte principalement la conscience.</span></p><p style="text-align: justify;"> </p><ol style="text-align: justify;" start="2"><li><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 12pt;"><strong> La proximité et la distance de la conscience</strong></span></li></ol><p style="text-align: justify;"><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 12pt;"><strong> </strong></span></p><p style="text-align: justify;"><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 12pt;"><strong>α. La conscience n’a pas de contenu</strong></span></p><p style="text-align: justify;"><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 12pt;"><strong> </strong></span></p><p style="text-align: justify;"><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 12pt;">La conscience est vide. Elle n’est ni une faculté, ni une propriété, ni même un contenant, mais elle est <em>relation à</em>, intentionnalité. C’est-à-dire que « la conscience est conscience positionnelle <em>du</em> monde » (EN, p. 18.) La conscience, n’ayant pas de dedans, s’élance vers l’extérieur, est dirigée vers le « dehors ». De fait, lorsque la conscience est connaissance, elle est connaissance de son objet, en tant qu’elle est conscience d’elle-même d’être connaissance de <em>son</em> objet. Que faut-il alors comprendre ? D’une part, que Sartre rejette toute possibilité d’intériorité de la conscience<a href="#_ftn15" name="_ftnref15">[15]</a>. D’autre part, que la conscience est pure spontanéité<a href="#_ftn16" name="_ftnref16">[16]</a> et, qu’ainsi, elle s’engendre elle-même<a href="#_ftn17" name="_ftnref17">[17]</a>, c’est-à-dire qu’elle se distingue d’une chose en ce sens que, n’étant pas une présence à soi, elle implique une distance à soi, un rien ou un néant qui, la séparant d’elle-même, creusent à la fois la réflexion et la temporalisation<a href="#_ftn18" name="_ftnref18">[18]</a>.</span></p><p style="text-align: justify;"> </p><p style="text-align: justify;"><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 12pt;">Aussi Sartre, faisant de l’acte intentionnel un inconditionné immotivé, doit à la fois résoudre, dans cette introduction, le problème du monisme que l’être du phénomène a soulevé, – puisque le phénomène n’est, en lui-même, pour nous, rien d’autre que ce qu’il présente de lui –, en donnant une réponse au monisme phénoménal que cela suppose, grâce au dépassement de l’opposition être et paraître par l’apparaître de l’être<a href="#_ftn19" name="_ftnref19">[19]</a>. Le tour de force phénoménologique sartrien étant là de refuser la réduction de l’<em>esse</em> du phénomène à son <em>percipi<a href="#_ftn20" name="_ftnref20"><strong>[20]</strong></a></em> et d’ainsi montrer que, par le négatif, l’existence est constituable. On voit désormais, qu’avec Sartre, le <em>cogito</em>, ne pouvant aller jusqu’à l’essence, demeure au niveau de la perception. C’est d’ailleurs « une condition suffisante : il suffit que j’aie conscience d’avoir conscience de cette table pour que j’en aie en effet conscience. Cela ne suffit certes pas pour me permettre d’affirmer que cette table existe <em>en soi</em> – mais bien qu’elle existe <em>pour moi</em>. »<a href="#_ftn21" name="_ftnref21">[21]</a> De fait, quand la conscience se dirige vers quelque chose, elle se transcende, c’est-à-dire qu’elle se porte au-delà d’elle-même<a href="#_ftn22" name="_ftnref22">[22]</a>.</span></p><p style="text-align: justify;"> </p><p style="text-align: justify;"><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 12pt;">Cela tient de l’idée principale : la conscience sartrienne est vide. De fait, la voilà contrainte de se porter vers le dehors, parce qu’elle est conscience non positionnelle d’elle-même comme conscience positionnelle. C’est ainsi que Sartre conçoit la notion d’intentionnalité : une conscience qui ne peut ni avoir honte, ni être fière, ni vouloir, ni juger si elle ne se porte pas au-delà d’elle-même, c’est-à-dire si elle ne se projette pas « vers le dehors, vers le monde » (EN, p. 19.)</span></p><p style="text-align: justify;"> </p><p style="text-align: justify;"><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 12pt;">En fait, on trouve deux consciences chez Sartre : la première qui est conscience existante comme consciente d’exister (conscience positionnelle) – c’est l’attitude préréflexive, irréfléchi de la conscience tournée vers un objet distraitement, on parlera de conscience thétique ou positionnel – et de la même manière que Descartes doit douter pour avoir conscience de penser, lorsque je compte, selon Sartre, la conscience non-positionnelle et non-thétique de compter me permet d’avoir conscience de compter – c’est l’attitude réflexive ou réfléchie, c’est-à-dire le moment où la conscience peut se tourner sur elle-même et non plus sur un objet extérieur<a href="#_ftn23" name="_ftnref23">[23]</a>.</span></p><p style="text-align: justify;"> </p><p style="text-align: justify;"><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 12pt;">Pour comprendre, écoutons le philosophe français : « Cette conscience (de) soi, nous ne devons pas la considérer comme une nouvelle conscience, mais comme <em>le seul mode d’existence qui soit possible pour une conscience de quelque chose</em>. »<a href="#_ftn24" name="_ftnref24">[24]</a> Considérons d’abord que la conscience sartrienne s’offre d’emblée sous une double dimension : Toute conscience est conscience de quelque chose<a href="#_ftn25" name="_ftnref25">[25]</a> (c’est-à-dire qu’elle est <em>projet de</em>, <em>projet vers</em>) ; ce qui veut donc dire qu’il ne pourrait y avoir de conscience qui ne soit conscience de quelque chose, <em>et</em> Toute conscience est conscience (de) soi, (c’est-à-dire cette conscience non préréflexive qui se prend elle-même comme objet, et qui ne vise donc plus aucun objet du monde, se saisissant elle-même, dans un moment de mise au point, de compréhension d’une situation passé.) Ne visant pas ce qui fait précisément de la conscience une transcendance. Or, cela veut précisément dire qu’à la fois la conscience échappe à toute définition par l’être, mais que, ne dérivant d’aucune essence, elle ne saurait être pensable à partir d’un futur antérieur. C’est le jeu de parenthèses qui nous renseigne sur la question. Le « de » de « conscience de soi » étant mis entre parenthèses, car toute conscience de soi authentique est, selon Sartre, toujours « conscience non-positionnelle de soi » (EN, p. 20)<a href="#_ftn26" name="_ftnref26">[26]</a>.</span></p><p style="text-align: justify;"> </p><p style="text-align: justify;"><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 12pt;">Ceci étant désormais établi, continuons avec cette précision très importante que Sartre formule ainsi : « Toute conscience est conscience <em>de</em> quelque chose. Cette définition de la conscience peut être prise en deux sens bien distincts : ou bien nous entendons par là que la conscience est constitutive de l’être de son objet, ou bien cela signifie que la conscience en sa nature la plus profonde est rapport à un être transcendant. »<a href="#_ftn27" name="_ftnref27">[27]</a> Nous trouvons dans cette affirmation l’ambiguïté même de la conscience sartrienne : l’être d’une intention veut que toute conscience est à la fois conscience de quelque chose et conscience de soi comme étant conscience de quelque chose. Or, cela veut précisément dire que la conscience n’est jamais <em>in</em>consciente de soi. L’intention dans la conscience s’exprime dans son double caractère phénoménal : à la fois l’objet intentionné, et à la fois le sujet qui ne peut l’intentionner qu’en lui étant irréductiblement transcendant<a href="#_ftn28" name="_ftnref28">[28]</a>. La conscience n’existe qu’à condition qu’elle apparaisse, ce qui signifie, en d’autres termes, que la conscience existe par elle-même, et n’est pas tirée du néant, ceci impliquant dans l’être de la conscience un être non-conscient et transphénoménal. L’être est au fondement de la conscience, au sens où la conscience est antérieure au néant, et ce, même si elle est cause de sa manière d’être.</span></p><p style="text-align: justify;"> </p><p style="text-align: justify;"><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 12pt;"><strong>β. La conscience est « manque »</strong></span></p><p style="text-align: justify;"><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 12pt;">Considérons désormais que « La réduction de la conscience à la connaissance, en effet, implique qu’on introduit dans la conscience la dualité sujet-objet. »<a href="#_ftn29" name="_ftnref29">[29]</a> Considérons également que le <em>cogito préréflexif</em> <a href="#_ftn30" name="_ftnref30">[30]</a> est cette conscience de soi qui est « rapport immédiat et non cognitif de soi à soi » : la conscience est conscience <em>de</em> quelque chose. C’est-à-dire que c’est la conscience elle-même qui se produit comme révélation-révélée d’un être qui n’est pas elle, mais qui se donne immédiatement en tant qu’existant dès lors qu’elle est révélée. Voilà à présent que la thèse de Sartre s’éclaire : « être conscience de quelque chose c’est être en face d’une présence concrète et pleine qui <em>n’est pas</em> la conscience. »<a href="#_ftn31" name="_ftnref31">[31]</a> Entendons qu’il n’y a pas que le phénomène. Il y a également le monde. Et ce monde, avant nous, <em>est</em>. Irréductible à la conscience, ce monde est en-soi<a href="#_ftn32" name="_ftnref32">[32]</a>. Il est <em>plénitude</em>. De la même manière, la conscience est une subjectivité absolue, et est irréductible au mode d’être du monde. Elle est <em>manque</em>.</span></p><p style="text-align: justify;"> </p><p style="text-align: justify;"><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 12pt;">De fait, si l’on veut considérer l’être du phénomène comme dépendant de la conscience, il nous faut admettre la part de non-être inhérent à l’objet dans la conscience. Car ça n’est pas sur le mode de la présence que les phénomènes dépendent de la conscience, mais sur le mode de l’absence. Un objet se donne à ma subjectivé par « apparition ». Et même si une apparition renvoie déjà à une autre, « chacune d’elles est déjà à elle toute seule un <em>être transcendant</em>, non une matière impressionnelle subjective – une <em>plénitude d’être</em>, non un manque – une <em>présence</em>, non une absence. »<a href="#_ftn33" name="_ftnref33">[33]</a> Cela relève du principe du « fini dans l’infini » tel que nous l’avons vu plus haut. En prenant ici le même chemin que Heidegger, Sartre introduit l’idée de non-être en philosophie, et en affirme la crédibilité. Nous ne reviendrons pas sur les vives critiques que l’idée de non-être ont suscité jusqu’au maître de Fribourg<a href="#_ftn34" name="_ftnref34">[34]</a>, mais il est intéressant de constater là, que si l’être est<a href="#_ftn35" name="_ftnref35">[35]</a>, il appelle nécessairement l’être du non-être. Plus précisément, pour Sartre, le non-être est le <em>fondement</em> de l’être, à la manière du néant qui précèderait l’être au point d’en être la condition d’existence. On pourrait d’ailleurs légitimement croire que la thèse est ici paradoxale, voire <em>provocatrice</em>. Il n’en est rien. Mais continuons.</span></p><p style="text-align: justify;"> </p><p style="text-align: justify;"><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 12pt;">Négligeant d’emblée le retour à l’être heideggérien, la philosophie de Sartre se veut une philosophie de la subjectivité, c’est-à-dire une philosophie du sujet, ou plus justement une philosophie de la conscience<a href="#_ftn36" name="_ftnref36">[36]</a> en tant que, continuant le dualisme kantien, son intuition phénoménologique présente le sujet selon deux angles: un être-au-delà-du-phénomène : <em>l’être-en-soi</em> (qui nous échappe), et un être (ne pouvant saisir de l’être que ce qui lui apparaît) : <em>l’être-pour-soi<a href="#_ftn37" name="_ftnref37"><strong>[37]</strong></a></em>.</span></p><p style="text-align: justify;">&nb
Marc Alpozzo
http://marcalpozzo.blogspirit.com/about.html
La proximité et la distance de la conscience. Note sur Sartre
tag:marcalpozzo.blogspirit.com,2020-03-30:3148556
2020-03-30T10:34:00+02:00
2020-03-30T10:34:00+02:00
Parce que Sartre veut montrer que le phénomène est tel qu’il apparaît,...
<p style="text-align: justify;"><strong><span style="font-size: 12pt; font-family: georgia, palatino, serif;">Parce que <span style="color: #800000;"><a style="color: #800000;" href="http://marcalpozzo.blogspirit.com/tag/heidegger" target="_blank" rel="noopener">Sartre</a></span> veut montrer que le phénomène est tel qu’il apparaît, nous ne devons pas chercher derrière ou au-delà du phénomène qui s’identifie à l’être. Il n’y a aucune essence cachée derrière l’apparence. Elles se révèlent d’un coup ensemble. Et, en étant déjà dans le phénomène, l’être s’annonce comme <em>transphénoménal.</em> Ce qui appelle un dépassement du phénomène vers un être non-phénoménal</span></strong></p><p> </p><p><a href="#_ftnref1" name="_ftn1"></a></p><p><img src="http://marcalpozzo.blogspirit.com/media/01/01/227322713.jpg" id="media-1087196" alt="" /></p><p><strong> </strong></p><p style="text-align: justify;"><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 12pt;"><strong>α. La conscience n’a pas de contenu</strong></span></p><p style="text-align: justify;"><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 12pt;"><strong> </strong></span></p><p style="text-align: justify;"><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 12pt;">La conscience est vide. Elle n’est ni une faculté ni une propriété ni même un contenant mais elle est <em>relation à</em>, intentionnalité. C’est-à-dire que « la conscience est conscience positionnelle <em>du</em> monde » (EN, p. 18.) La conscience n’ayant pas de dedans, s’élance vers l’extérieur et est dirigée vers le « dehors ». De fait, lorsque la conscience est connaissance, elle est connaissance de son objet, en tant qu’elle est conscience d’elle-même d’être connaissance de <em>son</em> objet. Que faut-il alors comprendre ? D’une part, que Sartre rejette toute possibilité d’intériorité de la conscience<a href="#_ftn1" name="_ftnref1">[1]</a>. D’autre part, que la conscience est pure spontanéité<a href="#_ftn2" name="_ftnref2">[2]</a> et, qu’ainsi, elle s’engendre elle-même<a href="#_ftn3" name="_ftnref3">[3]</a>, c’est-à-dire qu’elle se distingue d’une chose en ce sens que, n’étant pas une présence à soi, elle implique une distance à soi, un rien ou un néant qui, la séparant d’elle-même, creusent à la fois la réflexion et la temporalisation<a href="#_ftn4" name="_ftnref4">[4]</a>.</span></p><p style="text-align: justify;"> </p><p style="text-align: justify;"><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 12pt;">Aussi Sartre, faisant de l’acte intentionnel un inconditionné immotivé, doit à la fois résoudre, dans cette introduction, le problème du monisme que l’être du phénomène a soulevé, – puisque le phénomène n’est, en lui-même, pour nous, rien d’autre que ce qu’il présente de lui –, en donnant une réponse au monisme phénoménal que cela suppose, grâce au dépassement de l’opposition être et paraître par l’apparaître de l’être<a href="#_ftn5" name="_ftnref5">[5]</a>. Le tour de force phénoménologique sartrien étant là de refuser la réduction de l’<em>esse</em> du phénomène à son <em>percipi<a href="#_ftn6" name="_ftnref6"><strong>[6]</strong></a></em> et, d’ainsi montrer que, par le négatif, l’existence est constituable. On voit désormais, qu’avec Sartre, le <em>cogito</em>, ne pouvant aller jusqu’à l’essence, demeure au niveau de la perception. C’est d’ailleurs « une condition suffisante : il suffit que j’aie conscience d’avoir conscience de cette table pour que j’en aie en effet conscience. Cela ne suffit certes pas pour me permettre d’affirmer que cette table existe <em>en soi</em> – mais bien qu’elle existe <em>pour moi</em>. »<a href="#_ftn7" name="_ftnref7">[7]</a> De fait, quand la conscience se dirige vers quelque chose, elle se transcende, c’est-à-dire qu’elle se porte au-delà d’elle-même<a href="#_ftn8" name="_ftnref8">[8]</a>.</span></p><p style="text-align: justify;"> </p><p style="text-align: justify;"><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 12pt;">Cela tient de l’idée principale : la conscience sartrienne est vide. De fait, la voilà contrainte de se porter vers le dehors, parce qu’elle est conscience non-positionnelle d’elle-même comme conscience positionnelle. C’est ainsi que Sartre conçoit la notion d’intentionnalité : une conscience qui ne peut ni avoir honte, ni être fière, ni vouloir, ni juger si elle ne se porte pas au-delà d’elle-même, c’est-à-dire si elle ne se projette pas « vers le dehors, vers le monde » (EN, p. 19.)</span></p><p style="text-align: justify;"> </p><p style="text-align: justify;"><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 12pt;">En fait, on trouve deux consciences chez Sartre : la première qui est conscience existante comme consciente d’exister (conscience positionnelle) – c’est l’attitude préréflexive, irréfléchi de la conscience tournée vers un objet distraitement, on parlera de conscience thétique ou positionnel – et, de la même manière que Descartes doit douter pour avoir conscience de penser, lorsque je compte, selon Sartre, la conscience non-positionnelle et non-thétique de compter me permet d’avoir conscience de compter – c’est l’attitude réflexive ou réfléchie c’est-à-dire le moment où la conscience peut se tourner sur elle-même et non plus sur un objet extérieur<a href="#_ftn9" name="_ftnref9">[9]</a>.</span></p><p style="text-align: justify;"> </p><p style="text-align: justify;"><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 12pt;">Pour comprendre, écoutons le philosophe français : « Cette conscience (de) soi, nous ne devons pas la considérer comme une nouvelle conscience, mais comme <em>le seul mode d’existence qui soit possible pour une conscience de quelque chose</em>. »<a href="#_ftn10" name="_ftnref10">[10]</a> Considérons d’abord que la conscience sartrienne s’offre d’emblée sous une double dimension : Toute conscience est conscience de quelque chose<a href="#_ftn11" name="_ftnref11">[11]</a> (c’est-à-dire qu’elle est <em>projet de</em>, <em>projet vers</em>) ; ce qui veut donc dire qu’il ne pourrait y avoir de conscience qui ne soit conscience de quelque chose, <em>et</em> Toute conscience est conscience (de) soi, (c’est-à-dire cette conscience non préréflexive qui se prend elle-même comme objet, et qui ne vise donc plus aucun objet du monde, se saisissant elle-même, dans un moment de mise au point, de compréhension d’une situation passé.) Ne visant pas ce qui fait précisément de la conscience une transcendance. Or, cela veut précisément dire qu’à la fois la conscience échappe à toute définition par l’être, mais que, ne dérivant d’aucune essence, elle ne saurait être pensable à partir d’un futur antérieur. C’est le jeu de parenthèses qui nous renseigne sur la question. Le « de » de « conscience de soi » étant mis entre parenthèses, car toute conscience de soi authentique est, selon Sartre, toujours « conscience non-positionnelle de soi » (EN, p. 20)<a href="#_ftn12" name="_ftnref12">[12]</a>.</span></p><p style="text-align: justify;"> </p><p style="text-align: justify;"><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 12pt;">Ceci étant désormais établi, continuons avec cette précision très importante que Sartre formule ainsi : « Toute conscience est conscience <em>de</em> quelque chose. Cette définition de la conscience peut être prise en deux sens bien distincts : ou bien nous entendons par là que la conscience est constitutive de l’être de son objet, ou bien cela signifie que la conscience en sa nature la plus profonde est rapport à un être transcendant. »<a href="#_ftn13" name="_ftnref13">[13]</a> Nous trouvons dans cette affirmation l’ambiguïté même de la conscience sartrienne : l’être d’une intention veut que toute conscience est à la fois conscience de quelque chose et conscience de soi comme étant conscience de quelque chose. Or, cela veut précisément dire que la conscience n’est jamais <em>in</em>consciente de soi. L’intention dans la conscience s’exprime dans son double caractère phénoménal : à la fois l’objet intentionné, et à la fois le sujet qui ne peut l’intentionner qu’en lui étant irréductiblement transcendant<a href="#_ftn14" name="_ftnref14">[14]</a>. La conscience n’existe qu’à condition qu’elle apparaisse, ce qui signifie, en d’autres termes, que la conscience existe par elle-même, et n’est pas tirée du néant, ceci impliquant dans l’être de la conscience un être non conscient et transphénoménal. L’être est au fondement de la conscience, au sens où la conscience est antérieure au néant, et ce, même si elle est cause de sa manière d’être.</span></p><p style="text-align: justify;"> </p><p style="text-align: justify;"><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 12pt;"><strong>β. La conscience est « manque »</strong></span></p><p style="text-align: justify;"><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 12pt;">Considérons désormais que « La réduction de la conscience à la connaissance, en effet, implique qu’on introduit dans la conscience la dualité sujet-objet. »<a href="#_ftn15" name="_ftnref15">[15]</a> Considérons également que le <em>cogito préréflexif</em> <a href="#_ftn16" name="_ftnref16">[16]</a> est cette conscience de soi qui est « rapport immédiat et non cognitif de soi à soi » : la conscience est conscience <em>de</em> quelque chose. C’est-à-dire que c’est la conscience elle-même qui se produit comme révélation-révélée d’un être qui n’est pas elle, mais qui se donne immédiatement en tant qu’existant dès lors qu’elle est révélée. Voilà à présent que la thèse de Sartre s’éclaire : « être conscience de quelque chose c’est être en face d’une présence concrète et pleine qui <em>n’est pas</em> la conscience. »<a href="#_ftn17" name="_ftnref17">[17]</a> Entendons qu’il n’y a pas que le phénomène. Il y a également le monde. Et ce monde, avant nous, <em>est</em>. Irréductible à la conscience, ce monde est en-soi<a href="#_ftn18" name="_ftnref18">[18]</a>. Il est <em>plénitude</em>. De la même manière, la conscience est une subjectivité absolue, et est irréductible au mode d’être du monde. Elle est <em>manque</em>.</span></p><p style="text-align: justify;"> </p><p style="text-align: justify;"><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 12pt;">De fait, si l’on veut considérer l’être du phénomène comme dépendant de la conscience, il nous faut admettre la part de non-être inhérent à l’objet dans la conscience. Car, ça n’est pas sur le mode de la présence que les phénomènes dépendent de la conscience, mais sur le mode de l’absence. Un objet se donne à ma subjectivé par « apparition ». Et même si une apparition renvoie déjà à une autre, « chacune d’elles est déjà à elle toute seule un <em>être transcendant</em>, non une matière impressionnelle subjective – une <em>plénitude d’être</em>, non un manque – une <em>présence</em>, non une absence. »<a href="#_ftn19" name="_ftnref19">[19]</a> Cela relève du principe du « fini dans l’infini » tel que nous l’avons exposé plus haut. En prenant ici le même chemin que Heidegger, Sartre introduit l’idée de non-être en philosophie, et en affirme la crédibilité. Nous ne reviendrons pas sur les vives critiques que l’idée de non-être ont suscité jusqu’au maître de Fribourg<a href="#_ftn20" name="_ftnref20">[20]</a>, mais il est intéressant de constater là, que si l’être est<a href="#_ftn21" name="_ftnref21">[21]</a>, il appelle nécessairement l’être du non-être. Plus précisément, pour Sartre, le non-être est le <em>fondement</em> de l’être, à la manière du néant qui précèderait l’être au point d’en être la condition d’existence. On pourrait d’ailleurs légitimement croire que la thèse est ici paradoxale, voire <em>provocatrice</em>. Il n’en est rien. Mais continuons.</span></p><p style="text-align: justify;"> </p><p style="text-align: justify;"><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 12pt;">Négligeant d’emblée le retour à l’être heideggérien, la philosophie de Sartre se veut une philosophie de la subjectivité, c’est-à-dire une philosophie du sujet, ou plus justement une philosophie de la conscience<a href="#_ftn22" name="_ftnref22">[22]</a> en tant que, continuant le dualisme kantien, son intuition phénoménologique présente le sujet selon deux angles: un être-au-delà-du-phénomène : <em>l’être-en-soi</em> (qui nous échappe), et un être (ne pouvant saisir de l’être que ce qui lui apparaît) : <em>l’être-pour-soi<a href="#_ftn23" name="_ftnref23"><strong>[23]</strong></a></em>.</span></p><p style="text-align: justify;"> </p><p style="text-align: justify;"><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 12pt;">Sartre appelle donc <em>en-soi</em> ce qui est pure identité à soi. A la différence de la conscience (de) soi, l’être est en-soi, non parce qu’il renvoie à soi, mais parce qu’il est. Entendons, sous la plume de notre auteur, que l’être-en-soi ne comporte pas la moindre distance, en comparaison avec l’être-pour-soi (la conscience (de) soi) qui, nous l’avons dit, est essentiellement fondé sur le manque, donc la distance à soi. L’être-en-soi est pure densité, « opaque à lui-même » car précisément plein de lui-même. Pour exprimer cette absence de distance ou ce manque de rapport à soi, Sartre emploie cette expression : « <em>l’être est ce qu’il est</em> »<a href="#_ftn24" name="_ftnref24">[24]</a>. Traduisons : isolé en son être, l’être ne peut s’écarter de son être, incapable de tout devenir, de tout arrachement à soi, de tout rapport à ce qui n’est pas lui. Contingent, l’être-en-soi, en tant qu’il est ni possible ni nécessaire, <em>est</em> tout simplement.</span></p><p style="text-align: justify;"> </p><p style="text-align: justify;"><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 12pt;">L’être du pour-soi se définit en revanche comme manque, et comme distance à soi. C’est ce que Sartre exprime par la formule, devenue depuis célèbre : « l’être <em>pour soi</em> se définit au contraire comme étant ce qu’il n’est pas et n’étant pas ce qu’il est. »<a href="#_ftn25" name="_ftnref25">[25]</a> Qu’est-ce à dire ? Contrairement à l’être en soi qui n’a ni secret, ni opacité, ni « dedans qui s’opposerait à un dehors », qui est brut, monolithique, « être […] et, en dehors de cela, <em>rien</em> » (EN, p. 40), le pour-soi est incapable de coïncider avec soi, car il est dévoilement de l’être, transcendant, hanté par le néant. </span></p><p style="text-align: justify;"><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 12pt;"> </span></p><p style="text-align: center;"><img id="media-1087197" style="margin: 0.7em 0;" title="" src="http://marcalpozzo.blogspirit.com/media/02/02/545514607.jpg" alt="Jean-Paul Sartre, R. Breeur, Isabelle Stal, George Berkeley, Edmund Husserl, heidegger, " /></p><p style="text-align: center;"><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 10pt;">Jean-Paul Sartre écrivant au café Flore, à Paris</span></p><p style="text-align: justify;"> </p><p style="text-align: justify;">_________________________________________</p><p style="text-align: justify;"><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 12pt;"><a href="#_ftnref1" name="_ftn1">[1]</a> R. Breeur accuse Sartre pour sa part, de laisser ainsi libre cours à sa « haine de toute intimité et de la mièvrerie de l’intériorité ou de la psychologie d’introspection ». <em>Op. cit.</em>, p. 234.</span></p><p style="text-align: justify;"><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 12pt;"><a href="#_ftnref2" name="_ftn2">[2]</a> Précisons que dans des œuvres antérieures à <em>L’Être et le Néant</em>, nous ne sommes maîtres ni de nos pensée ni de nos actes qui, créés ex nihilo, nous débordent car ils sont spontanés. (Cf. <em>La Transcendance de l’Ego</em> (1936) et <em>La nausée</em> (1938).)</span></p><p style="text-align: justify;"><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 12pt;"><a href="#_ftnref3" name="_ftn3">[3]</a> I. Stal apporte un éclairage intéressant sur les deux théories de la conscience sartrienne. A la fois celle de la maturité, que nous étudierons ici, officielle et lumineuse, et une seconde plus clandestine et souterraine que nous avons choisi d’ignorer ici. Voir à ce propos I. Stal, <em>op. cit.</em>, p. 18 sq.</span></p><p style="text-align: justify;"><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 12pt;"><a href="#_ftnref4" name="_ftn4">[4]</a> Nous reviendrons plus loin sur cette notion et nous verrons le rôle crucial que celle-ci joue dans la phénoménologie de l’angoisse sartrienne.</span></p><p style="text-align: justify;"><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 12pt;"><a href="#_ftnref5" name="_ftn5">[5]</a> Cf. EN, Introduction, II, « Le phénomène d’être et l’être du phénomène », p. 14 sq. Notons tout de même que la description de la conscience par Sartre, réconcilie le phénomène et le noumène, en rejetant ainsi le dualisme de l’apparence et de l’essence.</span></p><p style="text-align: justify;"><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 12pt;"><a href="#_ftnref6" name="_ftn6">[6]</a> Nous savons que l’empiriste anglais George Berkeley avait écrit une théorie de la vision et portait un intérêt à la nature de la sensation, concluant que tout ce qui existe n’existe qu’en tant que perçu par un sujet percevant. Aussi, aboutit-il à cette constatation : « <em>esse est percipi</em> » (être, c’est être perçu) et « <em>esse est percipere</em> » (être, c’est percevoir). Ce qui signifie clairement qu’un être n’existe pas en soi, mais doit être perçu par un autre être percevant pour exister, d’où la seconde formule : <em>être, c’est percevoir</em>. Cette réflexion féconde et très stimulante peut nous amener à en déduire que la cause des idées n’est pas dans les choses, mais dans l’esprit qui les perçoit. Néanmoins, ces formules de Berkeley ne sauront satisfaire Sartre, car selon le phénoménologue français : « l’être de la connaissance ne peut être mesuré par la connaissance ; il échappe au « <em>percipi</em> ». Ainsi l’être-fondement du <em>percipere</em> et du <em>percipi</em> doit échapper lui-même au <em>percipi</em> : il doit être transphénoménal. » EN, p. 17.</span></p><p style="text-align: justify;"><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 12pt;"><a href="#_ftnref7" name="_ftn7">[7]</a> EN, p. 18.</span></p><p style="text-align: justify;"><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 12pt;"><a href="#_ftnref8" name="_ftn8">[8]</a> On voit là apparaître le problème de la dualité sujet-objet fondée à partir du <em>cogito</em> cartésien. Nous reviendrons dans la seconde partie de ce travail de recherche sur cette limite phénoménologique dont Sartre n’a su sortir.</span></p><p style="text-align: justify;"><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 12pt;"><a href="#_ftnref9" name="_ftn9">[9]</a> « Toute conscience positionnelle d’objet est en même temps conscience non positionnelle d’elle-même. » EN, p. 19. </span></p><p style="text-align: justify;"><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 12pt;"><a href="#_ftnref10" name="_ftn10">[10]</a> EN, p. 20.</span></p><p style="text-align: justify;"><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 12pt;"><a href="#_ftnref1
Marc Alpozzo
http://marcalpozzo.blogspirit.com/about.html
Le « Sartre » d’Annie Cohen-Solal ou une conscience critique de son temps
tag:marcalpozzo.blogspirit.com,2020-01-06:3139748
2020-01-06T06:00:00+01:00
2020-01-06T06:00:00+01:00
Publié pour la première fois en 1985, puis une deuxième fois en 1999,...
<p style="text-align: justify;"><span style="font-family: georgia, palatino, serif;"><strong><span style="font-size: 12pt;">Publié pour la première fois en 1985, puis une deuxième fois en 1999, augmenté d’une postface, et désormais d’une préface datant de février 2019, la biographie monumentale d’Annie Cohen-Solal, continuant de nous impressionner encore aujourd’hui, et qui demeure une biographie incontournable, ce texte, trentre-trois ans plus tard, est toujours aussi invraisemblable et remarquable à propos de l’odyssée philosophique d’une sorte d’Etna de la philosophie, d’un volcan littéraire, d’un personnage prédominant et chef de file d’une génération. Cette chronique est parue dans la revue en ligne <span style="color: #800000;"><em>Boojum</em></span>. Elle est désormais en accès libre dans l<em>'<span style="color: #800000;">Ouvroir</span></em>. </span></strong></span></p><p><img src="http://marcalpozzo.blogspirit.com/media/02/00/159765744.jpg" id="media-1070429" alt="" /></p><p style="text-align: center;"> </p><p style="text-align: justify;"><span style="font-size: 12pt; font-family: georgia, palatino, serif;"><img id="media-1146942" style="float: left; margin: 0.2em 1.4em 0.7em 0;" title="" src="http://marcalpozzo.blogspirit.com/media/00/01/1378108617.jpeg" alt="annie cohen-solal,jean-paul sartre,raymond aron,heidegger,lévinas,paulhan,jean-jacques rousseau,charles schweitzer,anne-marie scweitzer,henri iv,paul nizan,simone de beauvoir,edmund husserl,andré gide,gustave flaubert,mao,sartre" />On doit interroger cette histoire, revenir à ce « grand » écrivain, dont l’importance et le charisme seront sûrement plus retentissants que ne sera son œuvre en elle-même, formidable à certains endroits et sûrement faible à d’autres. Impossible d’écrire à propos de Sartre sans prendre parti. On peut être militant actif, et défendre les combats du philosophe pour le peuple, avec une forme de dévotion sans bornes, mais l’on sait bien que sa révolution fut plus littéraire et médiatique que réelle. On peut se souvenir du <a href="http://marcalpozzo.blogspirit.com/tag/sartre" target="_blank" rel="noopener"><span style="color: #800000;">Sartre</span></a> des causes importantes, de ses <em>Mots</em>, dont la forme classique, traditionnelle, prise sous un certain angle, se marie au récit étonnant d’un Sartre, déjà « intouchable » et « sulfureux ambassadeur » à la fois, et dont le travail d’orfèvre ne peut qu’éblouir. </span></p><p style="text-align: justify;"><span style="font-size: 12pt; font-family: georgia, palatino, serif;"> <br /></span><strong style="font-family: georgia, palatino, serif;"><span style="font-size: 12pt;">Sartre n’est pas Heidegger</span></strong></p><p style="text-align: justify;"><span style="font-size: 12pt; font-family: georgia, palatino, serif;">Dans sa postface, datant de 1999, sa méticuleuse biographe écrivait la chose suivante : « Dès le départ, Sartre se dérobait plus que nul autre à l’entreprise biographique. Son œuvre – foisonnante, protéiforme, inachevée, ouverte – semblait vouloir échapper à toute tentative d’approche globale, et avait suscité une littérature secondaire considérable, savante ou anecdotique mais le plus souvent sectorielle. »</span></p><p style="text-align: justify;"><span style="font-size: 12pt; font-family: georgia, palatino, serif;"> </span></p><p style="text-align: justify;"><span style="font-size: 12pt; font-family: georgia, palatino, serif;">Ce qui, curieusement, se passe à la mort de Jean-Paul Sartre en avril 1980, c’est le contraste entre sa longue et nécessaire traversée du désert, que je ne crois pas finie aujourd’hui au moment où j’écris ces lignes en juillet 2019, et le phénomène qu’il devient à l’étranger, où il est reconnu comme une référence obligée et incontournable. Alors qu’en France, Sartre a longtemps été un philosophe en danger de mode, au-delà de nos frontières, il est plutôt considéré comme un phénoménologue à part entière, dont la philosophie est sérieuse et demande à ce qu’on s’applique à l’étudier. Ce phénomène d’ostracisme est sûrement dû à ses erreurs politiques, aux critiques provenant surtout de Raymond Aron, qui ont grandement contribué à entacher son image publique, et dont Annie Cohen-Solal parle beaucoup dans ce livre. Mais aussi, je pense, à une philosophie qui n’atteint pas le niveau d’un <span style="color: #800000;"><a style="color: #800000;" href="http://marcalpozzo.blogspirit.com/archive/2015/11/05/martin-heidegger-retour-sur-l-ombre-d-une-pensee-3059346.html" target="_blank" rel="noopener">Heidegger</a></span> ou d’un <span style="color: #800000;"><a style="color: #800000;" href="http://marcalpozzo.blogspirit.com/archive/2020/05/07/de-l-intentionnalite-a-la-responsabilite-note-sur-levinas-3149998.html" target="_blank" rel="noopener">Levinas</a></span>, malgré ses qualités indéniables, son grand œuvre <em>L’Être et le néant</em>, dont j’entendais de la part de quelques mauvaises langues à la fac de philo, dire qu’il suffisait de remplacer « néant » par « temps » et on avait Heidegger, alors même que ces personnes n’avaient pas lu Sartre et n’y auraient de toute manière rien compris. On lui reproche à cet ouvrage, <em>L’Être et le néant</em>, de n’avoir pas la <span style="color: #800000;"><a style="color: #800000;" href="http://marcalpozzo.blogspirit.com/archive/2020/03/29/l-emergence-du-dasein-ou-de-l-absence-a-la-presence-dans-etr-3148542.html" target="_blank" rel="noopener">taille philosophique du grand œuvre de Heidegger,</a></span> ou de <em>Totalité et infini</em> d’Emmanuel Levinas. Son grand œuvre, dont il parle ainsi, dans une lettre au Castor, alors qu’il est encore à l’état d’embryon : « Il y aura des passages emmerdants. Mais il commence à y en avoir un ou deux de croustillants, par contre : un sur les trous en général et un autre tout particulièrement sur l’anus et l’amour à l’italienne. Ceci compensera cela... » Cette œuvre qui avait « pris forme dans l’ennui et le froid de la drôle de guerre » commente Annie-Cohen Solal, était une œuvre parfaitement phénoménologique, qui s’intéresse aux phénomènes même, dépouillés de tout autre qualité que leur être propre, et s’intéressant à des formes esthétiques émergentes perçues comme moins nobles, comme le cinéma. Ce « kilo de papier dira Paulhan » sera pourtant un formidable succès durant la guerre, car il pesait un kilo et permettait de mesurer des quantités exactes de fruits et légumes ».<br /><br /></span></p><p style="text-align: center;"><img id="media-1071103" style="margin: 0.7em 0;" title="" src="http://marcalpozzo.blogspirit.com/media/00/00/152315644.jpg" alt="annie cohen-solal,jean-paul sartre,raymond aron,heidegger,lévinas,paulhan,jean-jacques rousseau,charles schweitzer,anne-marie scweitzer,henri iv,paul nizan,simone de beauvoir,edmund husserl,andré gide,gustave flaubert,mao" /></p><p style="text-align: center;"><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 10pt;">Les mots de Sartre, paru 1964</span><br /><br /></p><p style="text-align: justify;"><span style="font-size: 12pt; font-family: georgia, palatino, serif;">Sartre aura écrit son autobiographie, pleine de trous, forcément subjective, exposant sa vérité de profil pour reprendre le bon mot de Rousseau à son propos, Simone de Beauvoir a longuement parlé de Sartre dans ses mémoires, et notamment dans la <em>Cérémonie des adieux</em>, mais là encore, en occultant certaines choses. Sartre, incapable de parler de son enfance, ni de son père. Le meurtre du père aura lieu deux fois, la seconde lorsqu’il en niera l’existence, disant qu’il n’avait qu’une mère. Ne pas oublier <em>Les Mots</em>, cette « ode à Anne-Marie, mais une ode pudique et parfois masquée. » Le grand-père Charles Schweitzer aura également compté. Et sa bibliothèque de « plus de mille livres », dont il « passa près de quatre ans à ranger tous ses livres, après le déménagement de Meudon à Paris ». Tous ces livres ont de quoi faire rêver, et même, les moyens de transformer Sartre, puisque « l’enfant lecteur dérapa vite, et devint du même coup un enfant écrivain ».<br /><br /></span></p><p style="text-align: center;"><img id="media-1070430" style="margin: 0.7em 0;" title="" src="http://marcalpozzo.blogspirit.com/media/02/02/1115020934.jpg" alt="Sartre (2).jpg" /></p><p style="text-align: center;"><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 10pt;">Sartre, jeune</span></p><p style="text-align: justify;"><span style="font-size: 12pt; font-family: georgia, palatino, serif;"> </span></p><p style="text-align: justify;"><span style="font-family: georgia, palatino, serif;"><strong><span style="font-size: 12pt;">Mais qui est ce Jean-Paul ?</span></strong></span></p><p style="text-align: justify;"><span style="font-size: 12pt; font-family: georgia, palatino, serif;">Une fois adulte, une seule adresse : le 45, rue d’Ulm. Après Henri IV, où il côtoya Paul Nizan, qui l’entrainera dans le monde littéraire, « leurs enfances, d’enfant-adulte, teintées de morbide, leurs précoces boulimies de lecture, leurs ambitions d’écrivain », entre les deux garçons la fraternité règne, « l’adolescent affabulateur », le « fils unique », le génie de la famille entre à Normale sup’, où il y fut « le redoutable instigateur de toutes les revues, de toutes les plaisanteries, de tous les chahuts ». Instigateur de la chute de Lanson, le directeur de l’École Normale, « l’édifice Nitre-Sarzan » se fissurant bientôt sans drame ; les « jeux philosophiques de haut vol » avec Raymond Aron ; ses lectures « à toute allure de plus de trois cents ouvrages par an » ; puis c’est la « rencontre devenue presque mythique » avec Simone de Beauvoir, dit le Castor, s’engageant dans un idylle plus contractuel que passionnel, (« pacte » prosaïque : bail de deux ans, pacte de liberté et possibilité d’infidélités nombreuses, – surtout de la part de Sartre !) formant « un « nous » qui confond(ait) les deux individus en un personnage siamois indiscernable ». </span></p><p style="text-align: justify;"><span style="font-size: 12pt; font-family: georgia, palatino, serif;"> </span></p><p style="text-align: justify;"><span style="font-size: 12pt; font-family: georgia, palatino, serif;">Coup de foudre pour <span style="color: #800000;"><a style="color: #800000;" href="http://marcalpozzo.blogspirit.com/archive/2020/02/23/qu-est-ce-qu-une-crise-3147192.html" target="_blank" rel="noopener">Husserl</a></span>, dont il découvre, enthousiaste, la phénoménologie. « Sartre découvrait, dans la phénoménologie de Husserl, une démarche intellectuelle dont chaque étape, chaque thème, chaque détour le reportait à la sienne propre », commente sa biographe. S’en suivra le « pèlerinage essentiel » outre-Rhin, la Maison académique de Berlin où le jeune Sartre étudiera l’œuvre de père de la phénoménologie dans le texte, « affamé de Husserl ». On est en 1933, Hitler est le chancelier du IIIe Reich, et durant ce que Sartre appellera ses « vacances berlinoises », il ne prendra jamais conscience de ce qui est en train de se passer autour de lui, et de la gravité extrême de la situation politique de l’Allemagne. D’où vient cet aveuglement ? Annie Cohen-Solal a raison d’insister. Ce serait un défi d’essayer de comprendre comment ce fut possible. </span></p><p style="text-align: justify;"><span style="font-size: 12pt; font-family: georgia, palatino, serif;"> </span></p><p style="text-align: justify;"><span style="font-size: 12pt; font-family: georgia, palatino, serif;">Gallimard refuse son premier roman <em>Melancholia</em>, au retour de Berlin. Difficile passe, pour celui qui n’hésitait pas à dire que, « celui qui n’est pas célèbre à vingt-huit ans doit renoncer pour toujours à la gloire ». Il ne sortira de l’ombre néanmoins qu’à trente-trois.</span></p><p style="text-align: justify;"><span style="font-size: 12pt; font-family: georgia, palatino, serif;"> </span></p><p style="text-align: justify;"><span style="font-size: 12pt; font-family: georgia, palatino, serif;">« Les années 30, pour tant d’autres âges d’or de la littérature française, seraient son calvaire, son grand trou, sa traversée du désert, ses années de désespoir, de doute d’isolement. » </span></p><p style="text-align: justify;"><span style="font-size: 12pt; font-family: georgia, palatino, serif;"> </span></p><p style="text-align: justify;"><span style="font-size: 12pt; font-family: georgia, palatino, serif;">Sartre, romancier nouvelliste gagnant sa vie comme professeur de philosophie, fera dire à Gide, questionnant Paulhan : « Qui est ce nouveau Jean-Paul ? »</span></p><p style="text-align: center;"><img id="media-1070433" style="margin: 0.7em 0;" title="" src="http://marcalpozzo.blogspirit.com/media/02/00/2196130626.jpg" alt="sartre1.jpg" /></p><p style="text-align: center;"><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 10pt;">Jean-Paul Sartre vers la fin de sa vie</span></p><p style="text-align: justify;"><span style="font-size: 12pt; font-family: georgia, palatino, serif;"> </span></p><p style="text-align: justify;"><span style="font-family: georgia, palatino, serif;"><strong><span style="font-size: 12pt;">Le Sartre de la maturité</span></strong></span></p><p style="text-align: justify;"><span style="font-family: georgia, palatino, serif;"><strong><span style="font-size: 12pt;"> </span></strong></span></p><p style="text-align: justify;"><span style="font-size: 12pt; font-family: georgia, palatino, serif;">Existentialiste de Saint-Germain-des Près, après une « captivité altière », comme la nomme l’auteur, et un <em>journal de la drôle de guerre</em>, <span style="color: #800000;"><a style="color: #800000;" href="http://marcalpozzo.blogspirit.com/archive/2016/08/31/sartre-ou-la-liberte-angoissante-3078895.html" target="_blank" rel="noopener">auquel il faut ajouter son grand œuvre <em>L’Être et le néant</em></a>,</span> paru en 1943 et où l’« on découvre en ces années-là, un Sartre souterrain que ses contemporains ne peuvent pas connaître, et qui fait médire certains de ceux qui lui reprochent son absentéisme » au lycée Condorcet, où il était toujours professeur de philosophie.</span></p><p style="text-align: justify;"><span style="font-size: 12pt; font-family: georgia, palatino, serif;"> </span></p><p style="text-align: justify;"><span style="font-size: 12pt; font-family: georgia, palatino, serif;">Les années d’après-guerre jusqu’à mai 68, où Sartre est considéré comme un <em>has been</em>, sont décrits avec une rigueur et une minutie par Annie Cohen-Solal plus qu’’éclairant, Sartre multipliera les publications, « entre Flaubert et les Maos ».</span></p><p style="text-align: center;"><img id="media-1070434" style="margin: 0.7em 0;" title="" src="http://marcalpozzo.blogspirit.com/media/01/00/810662914.2.jpg" alt="populisme2.jpg" /></p><p style="text-align: center;"><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 10pt;">Sartre et la cause du peuple</span></p><p style="text-align: justify;"><span style="font-size: 12pt; font-family: georgia, palatino, serif;"> </span></p><p style="text-align: justify;"><span style="font-size: 12pt; font-family: georgia, palatino, serif;">Il exista et existera toujours finalement, dans ce Sartre des années d'après-guerre, jusqu’à sa mort, survenue le 15 avril 1980, un saisissant contraste d’ombre et de lumière. Il nous paraît explicite, alors que cette biographie ne cache rien des ambiguïtés que le penseur français laissa derrière lui, en nous quittant, comme s’il « avait délibérément oublié d’éteindre la lumière » avant de partir, que les nombreuses zones obscures, la face cachée de cet homme aux mille destinées, ce penseur incandescent, sacré de son vivant puis crucifié jusqu'avant sa mort, puis depuis déjà 40 ans, il est bien impossible de voir Sartre autrement que dans des contrastes aux interrogations sans nombre. Au moment de refermer ce livre épais, le lecteur ne peut que s’interroger sur l’envers troublant qui gêne dans la stature du héros des lettres et <span style="color: #800000;"><a style="color: #800000;" href="http://marcalpozzo.blogspirit.com/archive/2020/04/09/les-ambiguites-de-la-conscience-sartrienne-3148532.html" target="_blank" rel="noopener">le philosophe phénoménologue</a></span>, tant en ce qui touche à sa moralité qu’à son engagement, aux multiples faces du vieillard, sur le tard aveugle, dont on disait au lendemain de sa mort, qu’on préfèrerait toujours avoir tort avec lui que raison avec Aron. </span></p><p style="text-align: justify;"><span style="font-size: 12pt; font-family: georgia, palatino, serif;"> </span></p><p style="text-align: justify;"><span style="font-size: 12pt; font-family: georgia, palatino, serif;">Aujourd’hui, en 2019, on ne sait plus si l’on ne préfèrerait pas avoir raison avec Raymond Aron tout de même...</span></p><p style="text-align: center;"><img id="media-1070431" style="margin: 0.7em 0;" title="" src="http://marcalpozzo.blogspirit.com/media/00/00/671186414.jpg" alt="sartre54.jpg" /></p><p style="text-align: center;"><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 10pt;">Quand Sartre et Aron se réconciliaient pour aider les réfugiés (1979)</span></p><p style="text-align: center;"> </p><p style="text-align: justify;"><span style="color: #800000; font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 12pt;"><strong>À suivre dans l'Ouvroir : </strong></span></p><p style="text-align: justify;"><a href="http://marcalpozzo.blogspirit.com/archive/2013/09/17/l-humanisme-de-sartre-2978158.html"><strong><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 12pt; color: #800000;">L’humanisme de Sartre</span></strong></a><br /><strong><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 12pt; color: #800000;"><a style="color: #800000;" href="http://marcalpozzo.blogspirit.com/archive/2008/03/12/le-fardeau-de-la-liberte-note-sur-sartre.html">Le fardeau de la liberté, note sur Sartre</a><br /></span></strong><a href="http://marcalpozzo.blogspirit.com/archive/2016/08/31/sartre-ou-la-liberte-angoissante-3078895.html"><span style="color: #800000;"><strong><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 12pt;">Sartre ou la liberté angoissante</span></strong></span></a><br /><a href="http://marcalpozzo.blogspirit.com/archive/2011/11/03/l-angoisse-de-l-homme-libre-ou-l-absence-de-dieu-dans-la-phi.html"><strong><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 12pt; color: #800000;">L’angoisse de l’homme libre ou l’absence de Dieu dans la philosophie de Sartre</span></strong></a></p><p style="text-align: justify;"> </p><p style="text-align: justify;"><strong><span style="font-size: 12pt; font-family: georgia, palatino, serif;">Annie Cohen-Solal, <em>Sartre, 1905-1980</em>, Folio, Gallimard, mars 2019.</span><span style="font-family: georgia, palatino, serif;"><em><span style="font-size: 12pt;"> </span></em></span></strong></p>
Tania
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Questions
tag:textespretextes.blogspirit.com,2019-06-01:3138229
2019-06-01T08:30:00+02:00
2019-06-01T08:30:00+02:00
« En avril [1965] , Heinrich échappe, par miracle, à la...
<p><span style="font-size: 12pt;"><em><span style="font-family: 'Times New Roman','serif';"><a href="http://textespretextes.blogspirit.com/media/02/00/1970973727.jpg" target="_blank" rel="noopener noreferrer"><img id="media-1067553" style="float: right; margin: 0.2em 0 1.4em 0.7em;" title="" src="http://textespretextes.blogspirit.com/media/02/00/863019720.jpg" alt="adler,dans les pas de hannah arendt,essai,pensée,vie,oeuvre,hannah arendt,heidegger,jaspers,blücher,philosophie,nazisme,engagement,politique,antisémitisme,juifs,culture" /></a>« En avril </span></em><span style="font-family: 'Times New Roman','serif';">[1965]</span><em><span style="font-family: 'Times New Roman','serif';">, Heinrich échappe, par miracle, à la mort. Il rentrait avec des collègues de Bard College dans un taxi, sur l’autoroute, quand le chauffeur à ses côtés s’est effondré sur lui, mort : crise cardiaque. Heinrich a eu la présence d’esprit d’appuyer sur le frein. Hannah en tremble encore. Elle se réfugie avec lui en juin dans sa maison d’été pour nager et marcher dans la forêt. « Rester loyal envers le réel à travers vents et marées, c’est bien ce que réclame l’amour de la vérité ainsi que la gratitude d’avoir été mis au monde », écrit-elle à Jaspers. Elle travaille magnifiquement et transforme deux conférences en essais. La vérité et la politique, depuis l’aube de l’humanité, n’ont jamais fait bon ménage. Est-il de l’essence même de la vérité d’être impuissante et de l’essence même du pouvoir d’être trompeur ? Et une vérité impuissante n’est-elle pas aussi méprisable qu’un pouvoir insoucieux de la vérité ?</span></em></span></p><p><span style="font-size: 12pt;"><em><span style="font-family: 'Times New Roman','serif';">Hannah Arendt formule avec acuité des questions fort embarrassantes que nous nous posons tous à un moment ou à un autre de notre existence. »</span></em></span></p><p><span style="font-size: 12pt;"><span style="font-family: 'Times New Roman','serif';">Laure Adler,</span><a title="Suivre Hannah Arendt (T&P)" href="http://textespretextes.blogspirit.com/archive/2019/05/21/suivre-hannah-arendt-3138228.html" target="_blank" rel="noopener"><em><span style="font-family: 'Times New Roman','serif';"> Dans les pas de Hannah Arendt</span></em></a></span></p>
Marc Alpozzo
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Hannah Arendt, une pensée politique pour notre temps
tag:marcalpozzo.blogspirit.com,2019-04-22:3135163
2019-04-22T07:37:00+02:00
2019-04-22T07:37:00+02:00
Les éditions Calmann-Lévy rééditent dans leur collection « Liberté de...
<p style="text-align: justify;"><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 12pt;"><strong>Les éditions Calmann-Lévy rééditent dans leur collection « Liberté de l’esprit » un des ouvrages majeurs d’<span style="color: #800000;"><a style="color: #800000;" href="http://marcalpozzo.blogspirit.com/hannah-arendt/" target="_blank" rel="noopener">Hannah Arendt</a></span>, <em>Condition de l’homme moderne</em>. Cet essai semble avoir été écrit pour notre temps présent, tant il est actuel, moderne, chargé de concepts pour comprendre le XXI<sup>e</sup> siècle naissant.</strong></span></p><p><img src="http://marcalpozzo.blogspirit.com/media/02/01/3080103686.jpg" id="media-1070082" alt="" /></p><p style="text-align: justify;"><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 12pt;"><img id="media-1062500" style="float: left; margin: 0.2em 1.4em 0.7em 0;" title="" src="http://marcalpozzo.blogspirit.com/media/02/01/3694515369.jpg" alt="condition.jpg" />À la sortie de ce livre, <span style="color: #800000;"><a style="color: #800000;" href="http://marcalpozzo.blogspirit.com/hannah-arendt/" target="_blank" rel="noopener">Hannah Arendt</a></span> était essentiellement connue pour ses trois tomes sur le totalitarisme qui avaient fait sensation, et avait irradié la petite communauté philosophique. Or, visiblement, nous sommes à des lieux de la thématique précédente, lorsque nous ouvrons ce nouveau livre, datant de 1958. Divisée en six chapitres, cette œuvre impensable, opère le changement de front, car, « si la possibilité du monde totalitaire est à chercher dans une méditation sur le mal radicale, la possibilité du monde non-totalitaire est à chercher dans les ressources de résistance et de renaissances contenues dans la condition humaine en tant que telle », comme l’écrit fort justement Paul Ricœur dans sa belle préface à cette réédition.<br /><br /></span></p><p style="text-align: justify;"><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 12pt;">À la différence des philosophies contemplatives, comme le stoïcisme, celle d’Hannah Arendt est une philosophie de l’action. Juive réfugiée à New York, ancienne maîtresse du maître de Fribourg, penseur de la forêt-noire, elle eut une vie hors norme à l’image de sa pensée. Lorsque paraît <em>Condition de l’homme moderne</em>, cette pensée s’inspire fortement des doctrines allemandes (la phénoménologie d’Edmund Husserl et de Martin Heidegger, ou de Karl Jaspers), mais également grecques et latines (notamment la théologie de saint Augustin). Penseur politique indiscutablement, la méthodologie d’Hannah Arendt n’est pas indifférente à celle de la phénoménologie.<br /><br /></span></p><p style="text-align: justify;"><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 12pt;">Dans <em>Condition de l’homme moderne</em>, le livre, composé de deux parties, met en œuvre une étude systématique, assise sur la distinction conceptuelle entre le domaine public (le monde commun) et le domaine privé (dans lequel l’homme dépasse le confinement biologique de la famille et l’isolement du soi), et une hiérarchie de concepts — travail, œuvre, action — qui lui permet de préciser la signification politique des trois principales activités de la <em>vita activa</em>, du travail, de l’œuvre et de l’action. Or, l’action est avant tout politique, et c’est dans ce monde commun qui est la condition de notre accès au réel, que nous pouvons, contre la <em>vita contemplativa</em> de Platon, la <em>vita activa</em> que nous pouvons vivre une vie pleine qui ne sera pas le refus du monde.<br /><br /></span></p><p style="text-align: center;"><img id="media-1070083" style="margin: 0.7em 0;" title="" src="http://marcalpozzo.blogspirit.com/media/02/01/38396180.jpg" alt="paul ricoeur,hannah arendt,heidegger,edmund husserl,saint augustin,karl jaspers,phénoménologie,platon,homo faber" /></p><p style="text-align: center;"><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 10pt;">Une usine Ford en 1924<br /><br /></span></p><blockquote class="wp-block-quote"><p style="text-align: justify;"><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 12pt;">« Les actions des hommes ressemblent à des gestes de pantins manœuvrés par une main invisible derrière le décor, de sorte que l’homme est comme le jouet d’un dieu. Il est remarquable que ce soit Platon, qui n’avait aucune idée du concept moderne d’Histoire, qui ait inventé la métaphore de l’acteur en coulisse qui, dans le dos des hommes agissant, tire les ficelles et est responsable de l’histoire. Le dieu de Platon ne fait que symboliser le fait que les histoires vraies, par opposition à celles que nous inventons, n’ont point d’auteur ; comme tel c’est le véritable précurseur de la providence, de la “main invisible”, de la nature, de “l’esprit du monde”, de l’intérêt de classe, etc., qui ont servi aux philosophes de l’histoire, chrétiens et modernes, pour tenter de résoudre le problème d’une histoire qui doit bien son existence aux hommes mais qui n’est évidemment pas “faite” par eux. » <br /><br /></span></p></blockquote><p style="text-align: justify;"><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 12pt;">D’une étude historique au progrès scientifique jusqu’à la condition humaine, en passant par l’avenir de l’homme, du travail et la quête de l’immortalité. Hannah Arendt étudie notre modernité, notre action en commun, et la condition même de l’homme moderne, ses prouesses, ses excès, ses folies.<br /><br /></span></p><blockquote class="wp-block-quote"><p style="text-align: justify;"><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 12pt;">« Si on laisse les normes de l’homo faber gouverner le monde fini comme elles gouvernent, il le faut bien, la création de ce monde, l’homo faber se servira un jour de tout et considérera tout ce qui existe comme un simple moyen à son usage. »<br /><br /></span></p></blockquote><p style="text-align: justify;"><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 12pt;">Dialectique de la raison critique de l’Homo faber, Hannah Arendt montre un pessimisme similaire à celui de son maître et amant Heidegger, condamnant la technique, la religion du progrès, en mettant en garde contre la crise des sciences européennes, à l’origine de la dérive de la modernité. Si l’homme connait aujourd’hui une dangereuse décadence, ce n’est pas sans lien avec l’évolution des sciences et des techniques, dont elle se méfie, d’autant que ce progressisme purement scientifique ne profite guère à la pensée et à la méditation.<br /><br /></span></p><p style="text-align: justify;"><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 12pt;">Nous voilà prévenus !</span></p><p style="text-align: justify;"> </p><p style="text-align: center;"><img id="media-1070086" style="margin: 0.7em 0;" title="" src="http://marcalpozzo.blogspirit.com/media/00/00/428770470.jpg" alt="paul ricoeur,hannah arendt,heidegger,edmund husserl,saint augustin,karl jaspers,phénoménologie,platon,homo faber" /></p><p style="text-align: center;"><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 10pt;">Laboratoire secret de Ford</span></p><p style="text-align: justify;"><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 12pt;"><br /><br /></span></p><p style="text-align: justify;"><strong><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 12pt;"><br />Hannah Arendt, <em>Condition de l’homme moderne</em>, préface de Paul Ricœur, Calmann-Lévy, octobre 2018.</span></strong></p><p style="text-align: justify;"> </p><p style="text-align: center;"><strong><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 12pt;"><span style="color: #800000;">À voir aussi :</span><br /><iframe width="360" height="270" src="https://www.youtube.com/embed/cK3TMi9GqwE?feature=oembed" frameborder="0" allow="accelerometer; autoplay; encrypted-media; gyroscope; picture-in-picture" allowfullscreen="allowfullscreen"></iframe></span></strong></p><p style="text-align: center;"><strong><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 12pt;">Entretien entre Hannah Arendt et Roger Errera, New York, 1973</span></strong></p>
Marc Alpozzo
http://marcalpozzo.blogspirit.com/about.html
De la poésie - Entretien avec Marc Alpozzo
tag:marcalpozzo.blogspirit.com,2019-01-17:3127854
2019-01-17T06:34:00+01:00
2019-01-17T06:34:00+01:00
Le C ercle François Villon , exclusivement consacré à la poésie,...
<p style="text-align: justify;"><span style="font-size: 12pt; font-family: georgia, palatino, serif;"><strong>Le <span style="color: #800000;"><em>C</em><em>ercle François Villon</em></span>, exclusivement consacré à la poésie, partage un poème par jour sur sa page <em>Facebook</em>, organise quelques événements (dont une séance de déclamation de Baudelaire dans les catacombes...) et propose des séries d'entretiens sur la poésie. J'ai accepté de répondre à quelques-unes de leurs questions. L'entretien est désormais disponible dans l'<em><span style="color: #800000;">Ouvroir</span></em>.</strong></span></p><p><img src="http://marcalpozzo.blogspirit.com/media/01/01/2659231362.jpg" id="media-1056684" alt="" /></p><p style="text-align: justify;"><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 12pt;"><strong><em><br />Francis Venciton : Existe-t-il une incompatibilité complète entre la poésie et la philosophie ?<br /><br /></em></strong></span></p><p style="text-align: justify;"><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 12pt;">Marc Alpozzo : Si l’on prend Heidegger par exemple, on voit qu’après la <em>Kehre</em>, le tournant, il marque clairement une rupture avec l'ontologie fondamentale de 1927, et dans ce dépassement de la métaphysique, il soutient que l’œuvre d’art est la mise en œuvre de la vérité. Or, l’œuvre d’art, ce sera surtout la poésie et non le roman. Il fera de la vérité et la mise en œuvre par le poème un horizon qui tranche avec la description d’un objet en termes de vérification. On sait qu’il voyait la vérité comme ouverture, au sens d’ouverture originaire de l’ouverture. Une éclaircie. Une éclosion. On connait d’ailleurs bien la proximité de Heidegger et de Hölderlin, à laquelle, mon maître, le regretté <span style="color: #800000;"><a style="color: #800000;" href="http://marcalpozzo.blogspirit.com/archive/2009/10/24/entretien-avec-le-philosophe-jean-francois-mattei.html" target="_blank" rel="noopener">Jean-François Mattei</a></span>, avait consacré un livre, <em>Heidegger et Hölderlin. Le Quadriparti</em>, paru chez PUF. Or, quand Heidegger soutient que l’œuvre d’art est la mise en œuvre de la vérité, et une ouverture au monde, que fait-il sinon renouer finalement avec le bon vieux discours issu de la tradition esthétique. Alors oui, il y eut une vaste contestation, on a dit qu’il détruisait la pensée par la poésie. J’ai même lu qu’il introduisait le nazisme en philosophie par le biais de la poésie. Enfin tout un tas de sottises. À la lecture du <em>Zarathoustra</em> de Nietzsche, on est troublé, parce qu’on ne sait jamais s’il s’agit d’un poème qui exprime des idées philosophiques ou s’il s’agit d’un ouvrage philosophique qui trouve son expression dans une forme poétique. La polémique est allée bon train à son sujet, et, certains, lui dénièrent le statut de philosophe. Je trouve cela navrant. C’est un parti-pris esthétique qui cherche à dépasser les distinctions d’ordre théorique et philosophique trop rigides. Je vois mal Nietzsche écrire dans le style froid et rigoriste d’un Kant. Ça me parait impensable ! Vous avez également le long poème de Lucrèce, ou celui de Parménide auquel Jean Beaufret a consacré un très beau livre chez PUF. Donc, vous voyez, personnellement je ne crois pas à une incompatibilité de la poésie et de la philosophie, cette idée ne me paraît pas tenable, mais je sais que dans les rangs de la philosophie on entend souvent le contraire.<br /><br /></span></p><p style="text-align: justify;"><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 12pt;"> <strong>F.V. : </strong><strong><em>Est-ce que la poésie ouvre à un mode de connaissance spécifique ?<br /><br /></em></strong></span></p><p style="text-align: justify;"><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 12pt;">M.A. : On ne compte plus les poètes qui ont tendu vers la philosophie. Je vous en cite quelques-uns, conscient d’en oublier un grand nombre : Parménide et Lucrèce, que j’ai cités plus haut, ont donné des modèles de poésie philosophique. Mais il y a également Dante, Milton, Hölderlin, Gœthe, Rilke, Vigny, Mallarmé, Paul Valéry, Yves Bonnefoy, etc. La question est surtout à quoi sert la poésie ? N’étant pas poète moi-même, il va m’être peut-être difficile de répondre à votre question sans entrer dans des considérations générales. Je me demande si ces poètes ne recherchaient pas quelques affinités avec les philosophes, probablement parce qu’ils étaient fascinés par un certain modèle de vérité, et inversement. Les philosophes ressentirent des proximités avec la poésie et avec ses modes d’expression, parce que, peut-être, comme Marcel Conche, ils ressentaient que, dans beaucoup d’ouvrages trop conceptuels et théoriques, la vie y était absente. Cette connivence dans l’affinité est merveilleusement exprimée par Conche dans ses réponses à Conte-Sponville. Je le cite : « Si nombre d’ouvrages de philosophie distillent l’ennui, c’est que la vie en est absente... Le simple jeu des concepts n’apporte pas la vie... Il y a différentes façons de faire vivre un ouvrage. La poésie en est une. » Alors, bien sûr, si une proximité, une connivence est possible entre poésie et philosophie, et, je ne pense pas que l’on puisse y voir d’impossibilité ou d’incompatibilité, on doit toujours avoir en tête que la vérité de la poésie n’est pas celle de la philosophie. En réalité, chacune nous donne des perspectives différentes sur l’homme et sur le monde, mais lorsque la philosophie peine à exprimer les vicissitudes de la réalité humaine, la poésie peut lui porter secours. Platon par exemple, chasse les poètes de la Cité, mais il a régulièrement recours à des mythes dans ses dialogues. Or, le mythe est relatif à la naissance de la poésie. J’ai cité également Heidegger plus haut, qui recherchait par la poésie l’éclaircie, or, comment la définir sinon par la plénitude de l’être. Je reste intimement convaincu, comme Marcel Conche d’ailleurs, que les choses cachées s’ouvrent d’elles-mêmes à la lumière de la vérité <em>dans</em> la poésie, alors que la philosophie peine à parvenir à ce résultat. Et puis ne soyons pas naïf, il y a peut-être aussi quelque chose dans la poésie qui nous fait dire qu’il n’y a rien à comprendre, qu’il ne faut même rien comprendre. Car, peut-être que la poésie est plus du côté de l’émotion que de la compréhension.<br /></span></p><p style="text-align: center;"><img id="media-1127675" style="margin: 0.7em 0;" title="" src="http://marcalpozzo.blogspirit.com/media/00/01/578205331.png" alt="heidegger,adorno,jean-françois mattéi,nietzsche,jean beaufret,marcel conche,holderlin,armel guerne,marc alpozzo,francis venciton" /></p><p style="text-align: center;"><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 10pt;">Cet entretien, dans la revue du <em>Cercle François Villon</em></span></p><p style="text-align: justify;"><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 12pt;"> </span></p><p style="text-align: justify;"><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 12pt;"><strong>F.V. : <em>S'il y en a un, est-ce que celui-ci relève d'une intention de l'auteur ou d'une sorte de méprise ?<br /><br /></em></strong></span></p><p style="text-align: justify;"><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 12pt;">M.A. : Pour vous répondre, il suffit de se questionner. Qu’est-ce que la philosophie ? C’est l’amour de la sagesse. Et la poésie ? L’intuition et la contemplation. Je ne pense pas qu’il y ait de méprise. Vous souvenez-vous de Heidegger et de « l’oubli de l’être » ou, mieux, « l’oubli de la question de l’être ». Or, nous savons bien, nous philosophes, que s’étonner de l’être est le début de l’acte de philosopher. C’est le début. Mais quelle est la fin ? Peut-être est-ce l’instant poétique. Que dit Marcel Conche à ce sujet. Parce qu’il faut lire son <em>Essai sur Homère</em> paru aux PUF. Il dit la chose suivante : « Le Poème, en dévoilant les êtres en leur être, le monde en son être-là... instaure l’éclaircie qui est aussi le lien que la pensée habite. Car, la lumière de l’éclaircie, où les choses se montrent elles-mêmes, est la lumière de la vérité, celle dont nul, selon Héraclite, ne peut se cacher. » Il ne faut pas oublier non plus que la poésie est une démarche intérieure.<br /><br /></span></p><p style="text-align: justify;"><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 12pt;"> <strong>F.V. : </strong><strong><em>Existe-t-il une communicabilité de l'expérience poétique ?<br /><br /></em></strong></span></p><p style="text-align: justify;"><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 12pt;">M.A: Je ne sais pas. Mais s’il devait en exister une, je pense qu’elle ne pourrait être que mystique. Georges Bataille a tenté des expériences intérieures en faisant appel à ce qu’il appelait la « communication », et qui désignait des actes non médiatisés par le langage. Il ne faut pas l’entendre au sens trivial du terme, dans sa fonction sociale. Cela sortait du processus cumulatif et spéculatif du discours, pour être une sorte de perte de conscience. C’était comme des expériences, mais des expériences non-médiatisés par le langage, ou plutôt par le discours. Cela passait plutôt par le rire, l’extase, ou la supplication. C’était probablement une forme de communicabilité de l’expérience poétique. Et puis il y avait aussi Rimbaud, qui voulait que la poésie soit capable de changer la vie. Il parlait, je crois, d’une « poésie objective », qui lui permettrait de comprendre le monde et d'agir sur le réel. Interpréter un poème de Rimbaud demande que l’on décode, afin de déceler les allusions à l'expérience vécue. À sa sœur Isabelle, il répond : « J'ai voulu dire ce que ça dit, littéralement et dans tous les sens ! », ce qui signifie bien qu’il y a dans l’expérience poétique une vérité à trouver, une vérité multiple, complexe, et peut-être même fuyante. Probablement est-ce là une expérience partageable. C’est fort possible. Il y a également l’oscillation entre le silence et la parole. « J’écrivais des silences » Aller au-delà d’une limite de la parole. On voit que la question de la communicabilité n’est pas simple.<br /><br /></span></p><p style="text-align: justify;"><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 12pt;"><strong>F.V. : <em>La poésie est-elle nécessaire à toute société humaine ?<br /><br /></em></strong></span></p><p style="text-align: justify;"><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 12pt;">M.A.: Vous connaissez cette question de Hölderlin : « À quoi bon des poètes en temps de détresse ? » Il s’adresse aux abandonnés de Dieu. On pourrait aujourd’hui se reposer cette question en ces temps troublés. Est-ce que les poètes peuvent encore quelque chose pour nous ? La poésie disons-le, ça remue la cervelle. Il est vrai que Théodore Adorno pensait qu'on ne saurait écrire de poésie après Auschwitz. Mais je crois qu’il a tort. Où irait une société sans poésie ? Où irions-nous sans la poésie ? À notre perte. Inévitablement. Nul n’ignore que Hugo considérait que le poète était éclairé par Dieu, qu’il devait profiter de ce privilège afin d'œuvrer pour le bien de l'humanité, qu’il était tenu d’agir, d’assurer la création d’un monde meilleur. Le poète jouait alors un grand rôle. Bref, le poète tenu d’agir. C’est ça qui m’intéresse. Mais je me demande si le plus important dans la poésie n’est pas la contemplation. Nous amener à nous transformer en contemplatifs. La société s’agite beaucoup, c’est beaucoup de bruit et de fureur. Or, peut-être que la poésie nous invite à un saisissement. Se saisir de quelque chose. Et c’est sûrement dans ce saisissement que la poésie nous sauve de tout. Car elle nous amène à nous saisir de l’être. Mais ce saisissement n’est possible que dans un retrait. Si l’on reprend Rimbaud, on voit qu’il cherche le nouveau. Ce qui n’a pas encore été vu. Je pense à cette tentative de déconstruire les formes anciennes pour créer de nouvelles formes, et recherche une lumière nouvelle. Donc, le poète, si je m’en tiens à Rimbaud, cherche la lumière dans une modernité qui a été frappée du sceau des ténèbres. On voit bien que, sans les poètes, cette tentative n’est pas possible. J’aurais plutôt le sentiment que la mystique peut véritablement sauver la société humaine, mais, le propre de la poésie, c’est tout de même de dire les choses, alors que la mystique requiert le silence. Eh bien, c’est probablement dans ces oscillations que tout se joue. Toujours rechercher à aller au-delà d’une limite de la parole, je l’ai déjà dit. Enfin, surtout, c’est à noter, je pense, la poésie est une traversée de la douleur qui donne du sens. Qui peut-être même fait émerger le sens. Voilà sûrement pourquoi nous ne pourrions pas nous passer de la poésie, en plus qu’elle est une forme d’exploration de tous les possibles. Parce qu’elle peut faire appel aux symboles, aux métaphores, parce qu’elle peut dire l’indicible, dire ce qu’on ne peut dire. Cela lui donne les moyens de lever des mystères. Je vous avoue, je ne suis pas sûr que la philosophie puisse sauver la société ou le monde, mais je pense que la poésie le peut. Tout le monde connait l’affirmation du prince Mychkine : « La beauté sauvera le monde. » Or, votre question me fait soudainement penser à Armel Guerne : « [...] jamais depuis l’origine du monde, [...] la poésie n’a été aussi nécessaire – quel que puisse être le nombre de ceux qui ne le savent pas – ni réclamé dans une urgence aussi abrupte et absolue l’indispensable chant secret de cette pauvresse splendide, fille sauvage de la Providence et seule héritière directe des hautes évidences premières, qui fait la honte du monde dit « civilisé » – et singulièrement de la France où elle est méprisée, ignorée, rejetée de nos jours plus et mieux que partout ailleurs. Parce qu’elle est l’enfant surnaturel du verbe et naturellement l’avocate de l’âme insurgée, [...] la poésie est par essence le seul langage encore assez vivant, encore assez armé, encore assez puissant et entier, assez près du mystère aussi de la parole, pour emporter d’assaut les forteresses de l’inertie et crever le béton des citadelles du mensonge, portant en elle un grain de vérité humaine qui peut germer encore, une semence de beauté qui fleurira dans la hideur, de saints pollens de l’immortelle simplicité et même, pour certains, l’amande du noyau du fruit intemporel qui fait lever dans l’âme, puissamment, un arbre superbe avec le bruissement vivant de son feuillage, le creusement très doux du bleu des ombres et la visite claire des oiseaux qui le feront sourire. » J’extrais ce passage de <em>L’âme insurgée</em>. Je crois que tout est dit.</span></p>
Marc Alpozzo
http://marcalpozzo.blogspirit.com/about.html
Heidegger et la conférence de 29, 3ème partie
tag:marcalpozzo.blogspirit.com,2018-03-22:3102751
2018-03-22T07:46:00+01:00
2018-03-22T07:46:00+01:00
Nous avons vu jusqu’ici que le Dasein, à la différence de tous les autres...
<p style="text-align: justify;"><span style="font-size: 12pt;"><strong><span style="font-family: georgia, palatino, serif;">Nous avons vu jusqu’ici que le Dasein, à la différence de tous les autres étants, existait. Il existe facticement, et il est déchéant. Vivant de manière inauthentique dans le bruit de fond du « ils », il lui faut faire une expérience de soi pour espérer se tirer de cette fuite en avant qui, en tant qu’évasion, fuite devant soi, n’est en réalité qu’une vaine échappée, dans laquelle il transporte l’ennemi qu’il cherche à fuir avec lui-même, c’est-à-dire « (s)on propre soi ». Voici la suite et la fin de cette<span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 12pt;"> longue étude, parue dans le numéro 11 des<em> <span style="color: #800000;">Carnets de la philosophie</span></em>, d'avril 2010, proposée en trois parties en accès libre dans l'<span style="color: #800000;"><em>Ouvroir</em></span>.</span></span></strong></span></p><p><img src="http://marcalpozzo.blogspirit.com/media/01/00/2286005439.jpeg" id="media-985469" alt="" /></p><p><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 12pt;"><strong><br />La « claire nuit du Néant de l’angoisse »</strong></span></p><blockquote><p style="text-align: right;"><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 10pt;">« Au milieu du chemin de notre vie</span><br /><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 10pt;">je me retrouvais dans une forêt obscure,</span><br /><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 10pt;">car j’avais perdu la voie droite. »</span><br /><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 10pt;">Dante Alighieri, <em>La Divina Commedia</em>[1]</span></p></blockquote><p> </p><p style="text-align: justify;"><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 12pt;"><img id="media-1071190" style="float: left; margin: 0.2em 1.4em 0.7em 0;" title="" src="http://marcalpozzo.blogspirit.com/media/01/02/3578458253.jpg" alt="dante alighieri, heidegger,qu'est-ce que la métaphysique,andré masseron,maurice blanchot,marlène zarader,françois vézin,jean-luc marion,jean greisch,roger munier,henri corbin,christian dubois" />Cette tonalité fondamentale c’est l’<em>angoisse</em> (<em>Angst</em>)[2]. Nous avons vu jusqu’ici que le <em>Dasein</em> à la différence de tous les autres étants existait. Il existe facticement, et il est déchéant. Vivant de manière inauthentique dans le bruit de fond du « ils », il lui faut faire une expérience de soi pour espérer se tirer de cette fuite en avant qui, en tant qu’évasion, fuite devant soi, n’est en réalité qu’une vaine fuite dans laquelle, il transporte l’ennemi qu’il cherche à fuir avec lui-même, c’est-à-dire « (s)on propre soi »[3]. Le phénomène de l’angoisse est ce qui va rendre mon existence réglée, conforme au dictat du <em>Man</em>, problématique. L’<em>Angst</em> est le premier signe de la <em>différenciation.</em> Jusqu’ici, le <em>Dasein</em>, fuyant devant lui-même, n’avait d’autres choix que de se mettre « à ses propres trousses ». L’<em>Angst</em> est ce moment fondamental où le <em>Dasein</em> dans un mouvement de « recul » ontique propre au divertissement peut amener la raison de sa fuite au « concept ».<br /><br /></span></p><p style="text-align: justify;"><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 12pt;">Mais qu’est-ce que l’angoisse précisément ? <span style="color: #800000;"><a style="color: #800000;" href="http://marcalpozzo.blogspirit.com/martin-heidegger/" target="_blank" rel="noopener">Heidegger</a></span> nous répond que pour l’analyser « nous ne sommes pas dépourvus de toute préparation »[4]. Mais peut-on en parler comme d’un « phénomène unitaire » ? Et peut-on le saisir ? Nous parlons souvent de l’angoisse, nous l’expérimentons parfois, mais nous ne savons pas vraiment ce que c’est. Voire nous la confondons avec la peur (l’anxiété ou la crainte). De fait, elle en devient absurde et insignifiante. Tâchons de comprendre : quelle « relation ontologique » l’<em>Angst </em>entretient-elle avec la peur ? Heidegger lui découvre une « parenté phénoménale ». D’où la confusion si fréquente avec la peur. Or, contrairement à la peur, l’angoisse n’a pas d’objet. La peur est toujours peur devant quelque chose, elle concerne ce qui est trouvable dans le monde, elle est proche de quelque chose de « déterminé »[5]. Voici donc ce qui distingue la peur[6] de l’angoisse ou l’ennui. Lorsque j’ai peur, je crains une chose, un étant intérieur au monde. C’est-à-dire un étant que je peux circonscrire, identifier et que je sais « menaçant ». Je connais donc l’<em>objet</em> de la menace qui pèse sur moi. Or, à sa différence, ce qui m’angoisse m’est inconnu, non familier, « indéterminé ». Nous pourrons ainsi dire à la suite de J.-L. Marion : « L’indétermination de ce devant quoi je m’angoisse ne marque pas un défaut d’information, mais bien la définition propre de l’angoisse : l’angoisse m’assaille non pas malgré son indétermination, mais bien à cause d’elle. »[7] Par-là, nous pouvons désormais dire que faire l’expérience de l’<em>Angst</em>, c’est faire une expérience du <em>rien</em> et du <em>nulle part</em>. « Dans l’angoisse, nous dit Heidegger, on se sent ˝étrangé˝ »[8].<br /><br /></span></p><p style="text-align: justify;"><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 12pt;">Le terme « étrangé » est à comprendre au sens d’« isolé »[9]. L’angoisse <em>isole</em> le <em>Dasein </em>du reste du monde. Il se voit soudain jeté <em>hors de son sort</em>, hors-de-chez-soi. Le <em>Dasein </em>est soudain atteint de <em>solipsisme</em>. Qu’est-ce à dire ? Dans la peur, j’ai peur d’un étant intra-mondain. Dans l’angoisse, je suis soudain submergé d’un sentiment d’<em>inquiétante étrangeté</em>[10] (<em>Unheimlichkeit</em>). Dans cet état, le menaçant ne se trouve ni « ne vient de » nulle part, n’est pas « localisable »[11] ; toute identification du monde à partir de moi-même devient impossible ; je suis singularisé, isolé au point que le <em>Man</em> ne puisse rien dire d’autre que « ce n’est rien ». <em>Was ist Metaphysik ?</em> va radicaliser l’analyse de l’<em>Angst</em>. L’angoisse est l’expérience que nous faisons du Néant[12]. Certes, le Néant n’est pas une chose, ou un étant. Ça n’est pas non plus le <em>nihil negativum</em>, c’est-à-dire une « expérience négative » de la vacuité des choses. L’angoisse nous oppresse. Elle nous oblige au silence. Elle nous fait taire, malgré nos efforts de recourir à la parole pour évacuer le « vide du silence », car le silence dit l’« être »[13].<br /><br /></span></p><p style="text-align: justify;"><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 12pt;">« Avec les objets « intramondains » sombrés dans le néant, le <em>Dasein</em> angoissé ne perd pas sa constitution d’être-dans-le-monde. Bien au contraire, l’angoisse ramène le <em>Dasein </em>au monde en tant que monde – à la possibilité d’être en vue de soi-même – elle ne l’arrache qu’au monde en tant qu’ensemble des choses, des ustensiles maniables. »[14]Certes, le malaise qui me gagne dans l’angoisse fait imploser la parfaite tranquillité de mes habitudes, rend mes activités quotidiennes insignifiantes, répudie le « ils ». Mais, tel que nous venons de le lire sous la plume de E. Levinas, l’angoisse ne m’a pas rendu « étranger » au monde. Je ne suis pas, par l’angoisse, <em>répudié</em> du monde. Il ne s’agit donc pas de parler d’anéantissement ou de négation « de l’existant dans son ensemble »[15]. Pour Heidegger, « le Rien [… ] néantit »[16]. Or, le verbe <em>néantir</em> a ici un sens très précis qu’il s’agit de mettre au jour. Ecoutons à ce propos G. Steiner : « Heidegger fait du « néant » un verbe : <em>nichten</em>, néantir. Le néologisme va beaucoup plus loin que <em>vernichten</em>, qui signifie « détruire », « anéantir ». Il laisse pressentir comme à travers un voile – la notion d’« ombre » est ici cruciale – l’anéantissement de ce qui existe. La physique des particules théorise une collision annihilatrice entre la matière et l’antimatière symétrique. La transgression heideggérienne de la langue est, d’une certaine manière, analogue. Elle sonde l’abolition de la fameuse différence ontologique entre l’Être et ce qui est (l’existant particulier. […] Heidegger tourne avec insistance autour de ce tourbillon de « zéroïté ». »[17] L’angoisse est donc ce moment crucial, cette tonalité fondamentale qui me met en présence du « Rien lui-même », qui me permet d’aller à la rencontre de ce Rien. Heidegger déplace le Néant théorique, qui n’est plus ici qu’une modalité de l’angoisse, vers l’angoisse elle-même qui devient « révélatrice » du Néant dans un « repos fasciné »[18]. Cette fascination joue le rôle de « répulsif » qui « expulse » le <em>Dasein</em> hors de la familiarité de l’<em>Umwelt</em>, de la banalité quotidienne pour lui révéler – une révélation qui n’est rendue possible que par cette rupture – l’existant dans sa « parfaite étrangeté »[19].<br /><br /></span></p><p style="text-align: justify;"><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 12pt;">Dans « la claire nuit du rien de l’angoisse »[20] une triple révélation apparaît au <em>Dasein</em> : révélation du monde, révélation du Dasein lui-même, et révélation de leur rapport.</span></p><p style="text-align: justify;"><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 12pt;"> </span></p><p style="text-align: justify;"><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 12pt;"><strong>L’</strong><em><strong>Angst</strong></em> <strong>comme compréhension</strong></span></p><p style="text-align: justify;"><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 12pt;">Le <em>Dasein</em> inauthentique ne vit jamais par lui-même. Il vit comme le <em>Man</em> vit. « À le considérer rigoureusement, (d’ailleurs) c’est à peine s’il vit. Il « est vécu » à travers un échafaudage vide de valeurs imposées et anonymes. »[21] Le Néant, ou le Rien, est le lieu d’une révélation. Certes, la <em>crise</em> d’angoisse passée, On cherche à calmer la personne angoissée en lui disant « ce n’est <em>rien</em> ». Mais le <em>Rien</em> dans le langage ordinaire tient à signifier l’insignifiant de l’angoisse. C’est « l’énoncé d’un <em>Non</em> au sujet de « ce qu’il n’y a <em>pas</em> ». »[22] D’où une double erreur : l’angoisse n’est pas un état d’âme ou un vécu qui ne porterait sur Rien, mais un phénomène. En ce sens, l’angoisse n’a pas pour objet de révéler quoi que ce soit. Par ailleurs, ce sentiment soudain d’étrangeté qui apparaît dans le phénomène de l’angoisse a pour objet d’isoler le <em>Dasein</em>, de l’esseuler, de l’arracher à la déchéance, de lui soustraire la familiarité lui rendant « manifeste l’authenticité et l’inauthenticité en tant que celles-ci sont des possibilités de son être. »[23]<br /><br /></span></p><p style="text-align: justify;"><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 12pt;">L’irruption de l’angoisse dans notre vie est aussi rare qu’imprévisible, et elle n’a pas de motif propre. « Aussi profonde est l’assise de son règne, aussi futile peut être le motif qui l’occasionne. »[24] Rien ne prédétermine la donation du Rien. Et il ne peut pas plus se fonder en sens. Écoutons à ce propos Marlène Zarader : « Lorsque le rien se donne (puisqu’on a admis que, dans certaines expériences, il se donnait ou que nous en faisons l’épreuve), il n’y a rien « en » lui ni « derrière » lui qui pourrait pallier sa pure vacuité : ni promesse ni réserve, et pas même cette unité que lui supposait Heidegger. Il est plutôt ce qui se joue quand tout le reste s’effondre ou se déchire : pure béance sans horizon. De ce fait, il n’est porteur d’aucun sens et ne témoigne de rien, sinon de lui-même. On peut, assurément, le charger de bien des significations ; mais celles-ci, outre qu’elles ne relèvent pas d’une simple description de ce qui se donne, ne sont pas même fondées <em>dans</em> ce qui se donne. »[25] Si donc le Néant ne nous est pas <em>donné</em> par les sciences théoriques, c’est parce que sa mise en « présence originelle » n’est possible que par l’<em>Angst</em>, ce que nous ne pouvons délibérément vouloir. Et prolongeant, voire radicalisant les thèses de <em>Sein und Zeit</em> à propos de la tonalité fondamentale de l’angoisse qu’il renvoyait à l’être-dans-le-monde, <em>Was ist Metaphysik ?</em> montre le plus souvent que l’angoisse est directement liée au Rien. Ce qui veut dire que jusqu’à Heidegger, la science ne voulait rien dire du « Rien », considérant que ce n’était rien, désormais, au Rien est dévolu une fonction essentielle « L’angoisse manifeste le Rien. […] Être « là » signifie : instance dans le rien. »[26] La formule peut surprendre. L’angoisse ramène le <em>Dasein</em> à soi-même. Elle lui donne la possibilité d’enfin se comprendre. Et si c’est par l’angoisse que l’on peut vivre authentiquement, ça n’est pas seulement parce qu’elle est compréhension, mais comme le dit fort à propos J.-L. Marion parce que le Rien est dans l’être[27].</span></p><p style="text-align: justify;"><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 12pt;"> </span></p><p style="text-align: center;"><img id="media-1127216" style="margin: 0.7em 0;" title="" src="http://marcalpozzo.blogspirit.com/media/02/00/624591731.png" alt="heidegger,qu'est-ce que la métaphysique,andré masseron,maurice blanchot,marlène zarader,françois vézin,jean-luc marion,jean greisch,roger munier,henri corbin,christian dubois,dante alighieri" /></p><p style="text-align: center;"><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 10pt;">Paru dans la revue <em>Philosophie pratique</em>, n°8, sept-nov. 2011</span></p><p style="text-align: center;"> </p><p style="text-align: justify;"><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 12pt;"><strong>L’</strong><em><strong>Angst</strong></em> <strong>et la question du néant</strong></span></p><p style="text-align: justify;"><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 12pt;">C’est dans sa propre « transcendance » que le <em>Dasein</em> éprouve son être-soi et sa liberté. C’est-à-dire que la transcendance est cet accès par lequel le <em>Dasein</em> peut dépasser l’étant dans son ensemble. Comment est-ce possible ? Si l’on doit noter la rareté de l’« angoisse primordiale », il est utile de préciser également que c’est seulement lorsque nous sommes soumis à l’angoisse, que nous « flottons » en elle, que nous pouvons « exsister ».[28] Par l’expérience rare et subite du Néant, le <em>Dasein</em> est placé face à l’étant dans sa totalité. La question de la métaphysique est la question première, la question primordiale qui nous permet, en la posant, de pénétrer l’ensemble des questions métaphysiques.<br /><br /></span></p><p style="text-align: justify;"><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 12pt;">La question du Néant ne doit pas être occultée par la philosophie. Au contraire, elle nous permet de traverser et d’embrasser toutes les questions de la métaphysique ; elle « nous met <em>nous-mêmes</em> en question, nous qui questionnons. »[29] Certes, le coup d’envoi de la question métaphysique fut grec, mais il manquait son objet en dépassant l’étant lui-même. Elle ne posait pas, faute d’avoir circonscrit la <em>réalité-humaine</em>, la question de l’appartenance de l’être pur et du Néant pur. Elle ne s’interrogeait d’ailleurs pas sur le Néant, car elle considérait que du rien, rien ne pouvait se faire (<em>ex nihilo nihil fit</em>). Pourtant, Heidegger est explicite : le Néant n’est pas la « négation » de l’étant. La métaphysique est l’autre de l’étant à partir duquel l’étant se manifeste. Elle est re-positionnée donc, comme la reine des sciences, car elle permet d’ouvrir, « par une révélation toujours renouvelée, <em>l’espace total de la Vérité</em> de la Nature et de l’Histoire »[30].<br /><br /></span></p><p style="text-align: justify;"><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 12pt;">La question même de la métaphysique permet de trouver dans son fondement concret, la transcendance du <em>Dasein</em>. Nous pouvons donc dire avec C. Dubois : « L’advenue à soi du <em>Dasein</em> dans l’angoisse est sa rencontre avec le néant : le vers quoi de la transcendance est le néant. Mais le néant appartient à l’être, qui n’est rien d’étant. La métaphysique, comme performance explicite et saisie de la transcendance est donc question de l’être de l’étant, dans sa donation au <em>Dasein</em> et dans sa différence avec l’étant : question de l’étant comme tel (en son être), et en totalité (totalité mondiale antérieure au concept ontique de la totalité, et ne renvoyant pas à la question suprême). »[31] Nous comprenons désormais mieux le détournement de la formule leibnizienne à la fin de la conférence de 29, qui demandera d’ailleurs un éclaircissement, trouvé dans l’introduction de 1949 et qui vient indiquer la nécessité de penser l’être, le rien d’étant hors de toute perspective théologique. La question principielle de la métaphysique, qui vient montrer qu’en toute métaphysique l’être se fait comprendre, d’où le fait que la philosophie ne soit en fin de compte, que la « mise en marche de la métaphysique »[32], montre qu’en conséquence la compréhension du Néant est plus facile que l’étant lui-même. La question métaphysique du Néant doit donc venir nous réveiller de notre sommeil.<br /></span></p><p style="text-align: center;"><img id="media-1071185" style="margin: 0.7em 0;" title="" src="http://marcalpozzo.blogspirit.com/media/02/01/4110233713.jpg" alt="heidegger,qu'est-ce que la métaphysique, marlène zarader" /></p><p style="text-align: center;"><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 10pt;">Martin Heidegger chez lui</span></p><p style="text-align: justify;"><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 12pt;"> </span></p><p style="text-align: right;"><strong><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 12pt;"><img id="media-1133559" style="float: left; margin: 0.2em 1.4em 0.7em 0;" title="" src="http://marcalpozzo.blogspirit.com/media/01/02/335890816.jpeg" alt="heidegger,qu'est-ce que la métaphysique,andré masseron,maurice blanchot,marlène zarader,françois vézin,jean-luc marion,jean greisch,roger munier,henri corbin,christian dubois,dante alighieri" />(Paru dans <span style="color: #800000;"><em>Les carnets de la philosophie</em></span>, n°11, Avr-mai-juin 2010 <br />et dans <span style="color: #800000;"><em>Philosophie pratique</em></span>, n°8, sept-nov. 2011.</span></strong><strong><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 12pt;">)</span></strong></p><p style="text-align: justify;"><span sty
Marc Alpozzo
http://marcalpozzo.blogspirit.com/about.html
Heidegger et la conférence de 29, 2è partie
tag:marcalpozzo.blogspirit.com,2018-03-21:3102749
2018-03-21T07:43:00+01:00
2018-03-21T07:43:00+01:00
Il nous faut donc partir en quête de l’existence du Néant. Projet...
<p style="text-align: justify;"><span style="font-size: 12pt;"><strong><span style="font-family: georgia, palatino, serif;">Il nous faut donc partir en quête de l’existence du Néant. Projet éminemment paradoxal si nous considérons que le Néant, ou le Rien, est ce qui « n’est pas ». <span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 12pt;">Voici la suite de cette longue étude, parue dans le numéro 11, des<em> <span style="color: #800000;">Carnets de la philosophie</span></em>, d'avril 2010.</span></span></strong></span></p><p><img src="http://marcalpozzo.blogspirit.com/media/01/01/1126006554.jpeg" id="media-985468" alt="" /></p><p style="text-align: justify;"><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 12pt;"><strong><br /><br />Le dépassement de la métaphysique</strong></span></p><p style="text-align: justify;"><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 12pt;"><img id="media-1071189" style="float: left; margin: 0.2em 1.4em 0.7em 0;" title="" src="http://marcalpozzo.blogspirit.com/media/02/00/2503385019.jpg" alt="heidegger,qu'est-ce que la métaphysique,françois vézin,lévinas,edmund husserl,georges steiner,jean-luc marion,dasein,etienne gilson,maxence caron" />Il nous faut donc partir en quête de l’<em>existence</em> du Néant. Projet éminemment paradoxal si nous considérons que le Néant, ou le Rien, est ce qui « n’est pas ». Or, nous ne pourrons résoudre ce paradoxe philosophique, que si nous identifions le Néant à l’être. Plus précisément, si nous considérons, tel que le dit J.-L. Marion, que « le Rien n’établira sa primauté qu’en précédant la négation, donc la logique ; ce qui ne se peut qu’en se donnant en personne, originairement et intuitivement, donc – selon le « principe de tous les principes » – et en se légitimant en droit. »[1] Certes, le néant n’est pas une chose. Nous venons de le dire, nous ne pouvons parler du Néant, ou du Rien, qu’en l’associant à une « expression d’un sentiment de la vie »[2]. Qu’est-ce à dire ? Cela signifie que nous pouvons faire l’<em>expérience</em> du néant.<br /><br /></span></p><p style="text-align: justify;"><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 12pt;">Essayons de comprendre. Nous l’avons vu plus haut, si l’on remonte au fondement de la métaphysique, celle-ci nous dit ce qu’est l’étant en tant qu’étant[3]. Certes, la métaphysique « nomme l’Être » mais en réalité, elle ne vise que l’étant en tant qu’étant. Dans son « destin essentiel », elle manque son objet parce que son propre fondement « se dérobe à elle »[4]. Dans son « oubli de l’Être », la métaphysique abandonne l’homme au seul étant, lui ôtant tout espoir de <em>relier</em> l’Être à son essence. Pourtant, aussi longtemps que l’homme sera <em>animal rationale</em>, il demeurera <em>animal metaphysicum</em>[5]. Il s’agit donc de revenir, pour Heidegger, à dire de l’étant ce qu’il est. Mais cela suppose un effort : celui de <em>dépasser</em> la métaphysique. Ou plus précisément, il s’agit de dépasser, tel que le précise E. Gilson, « cette science de l’étant ainsi conçue, et parce qu’en fait c’est ce qu’elle est, qu’il s’agit précisément de dépasser »[6]. Parce que nous essayons de tenir un <em>discours</em> sur l’étant, nous revenons à son propos à une <em>philosophie première</em>, c’est-à-dire à une <em>ontologie</em>. Et c’est précisément parce qu’elle est une <em>ontologie</em>, que nous pouvons nous interroger à propos de la métaphysique. Il s’agit donc de questionner ce qu’est l’objet de la métaphysique pour la <em>surpasser</em> en tant qu’obstacle à la relation de l’Être à l’essence de l’homme[7]. Certes, cette démarche présente deux inconvénients majeurs : le premier, est de faire courir le risque à l’homme, en réussissant à saisir la racine de la métaphysique, de subir un changement d’essence, et le second, c’est le profond brouillard qui enveloppe l’être heideggérien, qui ne trouve jamais le moindre sens précis au mot[8]. Invités à chercher l’être « au-delà de la métaphysique, nous ne savons de quel côté nous tourner ». Pis, « quand le moment est venu de dire ce qu’est l’être, il se tait. »[9]</span></p><p style="text-align: justify;"><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 12pt;"> </span></p><p style="text-align: justify;"><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 12pt;"><strong>La mondanéité du monde</strong></span></p><p style="text-align: justify;"><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 12pt;">Donc, résumons. Qu’en est-il du Néant ? Le Néant peut-il être donné ? Et comment le serait-il ? Avons-nous seulement <em>accès</em> au Néant ?<br /><br /></span></p><p style="text-align: justify;"><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 12pt;"><span style="color: #800000;"><a style="color: #800000;" href="http://marcalpozzo.blogspirit.com/martin-heidegger/" target="_blank" rel="noopener">Heidegger</a></span>, distinguant le Néant <em>imaginé</em> du Néant <em>réel</em>, affirme que nous pouvons faire « une <em>expérience fondamentale du Néant</em> »[10]. Tâchons de comprendre en apportant tout d’abord une première précision : l’étant peut nous être <em>donné</em> en totalité, moins, il faut le préciser, sous forme d’objet de connaissance, que dans une disposition, un sentiment, une tonalité[11]. « La disposition révèle « comment on se sent », « comment on va ». En ce « comment on va » l’être disposé place l’être en son « là ». »[12]L’ouverture de l’être-au-monde, le surgissement des étants, dans leur donation au Dasein, se trouve enfermé dans la dispersion propre à la « préoccupation ». Et pourtant, « bien qu’elle ait ainsi l’apparence de se disperser, la <em>banalité quotidienne</em> n’en assure pas moins toujours la cohérence de l’existant en son ensemble, bien qu’une ombre la dissimule. »[13] Afin de bien embrasser la compréhension de ce moment de la conférence, tâchons d’abord de dire un mot de la « banalité quotidienne » à laquelle Heidegger fait référence ici. Dans son ouvrage majeur, <em>SuZ</em>, Heidegger s’est efforcé de penser la quotidienneté (<em>Alltäglichkeit</em>)[14]. Quel est donc le nœud du problème ? Exister, c’est pour moi faire l’expérience du monde. Exister, c’est vivre dans le « règne des ustensiles », c’est faire l’expérience de ses possibilités, « la possibilité fondamentale d’être-dans-le-monde », c’est faire l’expérience d’une « existence (qui) se devance elle-même »[15]. C’est donc habiter un monde de mes possibilités et de mes potentialités. C’est habiter la <em>familiarité</em>[16] du monde dans laquelle je me rapporte aux choses. C’est faire l’expérience de la banalité, c’est-à-dire vivre au niveau de l’immanence de la quotidienneté, ce qui permet au questionnement philosophique de faire de l’être le problème le plus concret. Nous pouvons donc dire derrière G. Steiner, qui a manifestement raison d’écrire : « le « là » est le monde : le monde concret, positif, réel, quotidien. » Et écoutons-le continuer : « Être humain, c’est être immergé, implanté, enraciné dans la terre, dans la quotidienneté terre-à-terre du monde (« humain » comprend <em>humus</em>, le latin pour la « terre »). »[17]<br /><br /></span></p><p style="text-align: justify;"><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 12pt;">Le monde de la familiarité, c’est donc le monde du « on-dit »[18], de la curiosité[19] et de l’équivoque[20]. « On-dit, curiosité et équivoque caractérisent les manières qu’à le <em>Dasein</em> d’être quotidiennement son « là », l’ouverture de l’être-au-monde »[21]. Mais alors que le Dasein montre l’extrême prétention de vivre une vie <em>pleine</em> et <em>authentique</em>, ce qui le rassure et le conforte dans l’idée que tout « va bien », « être-jeté » dans le monde, « le Dasein existe factivement. »[21] Qu’est-ce à dire ? Le <em>Dasein</em> vit une existence impropre, précipité dans le tourbillon de la quotidienneté, soumis à l’emprise du <em>On</em>, il a lâché prise avec son être-propre pour se laisser submerger par les <em>vapeurs</em> du monde de la préoccupation quotidienne. Nous pouvons alors parler de déchéance (<em>Verfallen</em>), qui est le mode sur lequel le <em>Dasein</em> est quotidiennement au monde, même si ce terme ne doit en aucune manière être entendu selon une signification négative, ou théologique comme le seraient les termes de « chute » ou de « défaut ». Nous pouvons dès lors parler sans mal d’existence <em>inauthentique</em>.<br /><br /></span></p><p style="text-align: justify;"><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 12pt;">Aussi, le Dasein est le seul étant capable de se poser la question du sens de l’existence, de la mort, et de la vérité de l’Être. À la fois conscience (<em>Bewusstsein</em>) et conscience de soi (<em>Selbstbewusstein</em>), le chemin que doit entreprendre le <em>Dasein</em> « qui conduit de la métaphysique à l’essence extatico-existentiale de l’homme doit passer par la détermination métaphysique de l’«en-soi » de l’homme »[22]. De fait, il dispose de la possibilité de fuir la déchéance ; une fuite devant le hors-de-chez-soi, à opposer à la fuite dans le chez-soi de la quotidienneté, devant l’inquiétante étrangeté (<em>Unkeimlichkeit</em>) de l’être-au-monde jeté et remis à lui-même. </span></p><p style="text-align: justify;"><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 12pt;"> </span></p><p style="text-align: justify;"><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 12pt;"><strong>Curiosité, ennui, equivoque : la déchéance</strong></span></p><p style="text-align: justify;"><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 12pt;"> </span></p><p style="text-align: justify;"><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 12pt;">L’analyse de la déchéance n’est en réalité qu’une « première tentative, encore « locale », de dépasser une vision purement « partielle » du <em>Dasein</em> et d’appréhender l’unité structurelle qui sous-tend les phénomènes du bavardage, de la curiosité et de l’équivoque »[23]. Dans l’existence, nous avançons, sans savoir ce qui nous attend, ni vers quoi l’on va, excepté notre propre mort, que personne ne peut endosser à notre place, et qui est notre <em>seule</em> certitude. « Jetés », nous sommes « livrés »[24]. Nous dirons plutôt que nous sommes « embarqués », avec la nette référence pascalienne que ce terme comporte aujourd’hui. Nous vivons parmi les autres, et comprendre leur présence veut dire pour Heidegger « exister ». Puisque « être-au-monde » signifie littéralement dire dans un langage heideggérien être un « être-avec ». Pourrions-nous aller jusqu’à affirmer avec J. Greich que « l’être-au-monde » est « en lui-même tentateur »[25] ? Il est clairement établi aujourd’hui que les descriptions pénétrantes du maître à propos de la familiarité mettent en scène l’homme jeté parmi les choses du monde et des autres êtres vivants, actualisant et réalisant par-là son propre <em>Dasein </em>comme un « être-avec-autrui » quotidien qui l’empêche de <em>venir à lui-même</em>. « Bien qu’elle ait ainsi l’apparence de se disperser, la <em>banalité quotidienne</em> n’en assure pas moins toujours la cohérence de l’existant dans son ensemble, bien qu’une ombre la dissimule. »[26]<br /><br /></span></p><p style="text-align: justify;"><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 12pt;">Soit nous sommes pris dans le mouvement perpétuel du monde, du bavardage, et du quotidien, soit nous sommes tiraillés par l’<em>ennui</em>. « Ennui encore lointain, dans le cas où c’est simplement tel livre, tel spectacle, tel travail ou telle distraction qui nous ennuie ; mais ennui qui éclôt lorsque « l’<em>on</em> s’ennuie ». »[27] Dans la « mondanité-du-monde » nous ne sommes plus nous-mêmes, nous sommes « factices ». Le <em>Dasein</em> est aliéné. Une aliénation sociale au <em>On</em> qu’exprime le terme allemand <em>Man</em> que G. Steiner se propose plutôt de traduire par <em>Ils</em>[28]. Impersonnalité, neutralité, nous nous livrons à une existence sans forme, <em>inauthentique</em>[29]. « Ontologiquement, cela veut dire : tant que le <em>Dasein</em> s’en tient au on-dit, il est coupé en tant qu’être-au-monde des rapports primitifs et véritablement originaux à l’égard du monde, de la coexistence et de l’être-au lui-même. »[30] Cette vie inauthentique correspond à vivre non par nous-mêmes, mais comme « ils » vivent. C’est donc à peine si le <em>Dasein</em> vit. Le « ils » ici, cela n’est ni moi, ni toi, ni nous. C’est un « ils » impersonnel qui retire au <em>Dasein</em> sa singularité, sa responsabilité. Ce qu’il pense, c’est à travers le « ils. Ce qu’il dit, c’est tout autant à travers le « ils ». Et ce qu’il fait également. Nous pouvons donc en conclure que le « ils » fait le <em>Dasein</em>, et en sa qualité de « ils, ça n’est « personne ».<br /></span></p><p style="text-align: center;"><img id="media-1127215" style="margin: 0.7em 0;" title="" src="http://marcalpozzo.blogspirit.com/media/02/00/520203066.png" alt="heidegger,qu'est-ce que la métaphysique,françois vézin,lévinas,edmund husserl,georges steiner,jean-luc marion,dasein,etienne gilson,maxence caron" /></p><p style="text-align: center;"><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 10pt;">Paru dans la revue <em>Philosophie pratique</em>, n°8, sept-nov. 2011</span></p><p style="text-align: justify;"><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 12pt;"> </span></p><p style="text-align: justify;"><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 12pt;">Aussi, dans la vie inauthentique, nous avons peur (<em>Furcht</em>). De l’ennui, des opinions des autres, de ne pas être à la hauteur des critères du succès matériel ou psychologique. Cette peur fait partie du flux banal, pré-fabriqué du sentiment collectif. Elle se nourrit et se fuit par les bavardages inconséquents, le flot ininterrompu des banalités, des nouveautés, des clichés, du jargon, de la fausse grandiloquence[31]. Heidegger s’est employé à penser l’agitation du monde en propre. Cet « ennui profond, essaimant comme un brouillard silencieux dans les abîmes de la réalité-humaine »[32] est à rapprocher de la curiosité[33], ou de la joie. En choisissant ces tonalités affectives (<em>Stimmungen</em>) du <em>Dasein</em>, Heidegger entend montrer que l’expérience renouvelée de chacune de ces « situation-affective » (<em>Befindlichkeit</em>) nous permet de lever le voile (<em>Άλήθεία</em>) sur l’étant dans sa totalité[34].<br /><br /></span></p><p style="text-align: justify;"><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 12pt;">La conférence de 29 distingue l’ennui qui nous saisit durant un spectacle ou un travail insipide, et l’ennui véritable qui « révèle l’existant dans son ensemble ». Il s’agit donc de bien distinguer, tel que le remarque J.-L. Marion, l’ennui de quelque chose, de s’ennuyer soi-même de soi-même à propos d’une chose, d’un troisième et essentiel ennui : « l’« ennui profond » (qui) met en cause le « soi » en personne : on s’ennuie de soi en soi, en sorte que tout l’étant comme tel entre en suspension. […] Ainsi, par la tonalité de l’ennui, le <em>Dasein</em> accède-t-il à l’étant dans son ensemble comme un phénomène donné en personne, sans réserve ni condition ; l’étant en totalité se donne à voir, précisément parce que l’ennui rend indifférentes les différences qualitatives et quantitatives entre les étants. Le <em>Dasein</em> se trouve donc bien jeté comme tel au milieu de l’étant dans son ensemble. »[35] <br /><br /></span></p><p style="text-align: justify;"><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 12pt;">Néanmoins, Heidegger dans sa conférence nous met en garde : les tonalités-affectives de la joie ou de l’ennui ont beau nous mettre en présence de « l’<em>existant</em> en son <em>ensemble</em>, elles nous dérobent le Néant que nous cherchons »[36]. Est-ce donc une aporie apparaissant dans son raisonnement, ou existe-t-il une tonalité plus fondamentale encore ?<br /></span></p><p style="text-align: center;"><img id="media-1071186" style="margin: 0.7em 0;" title="" src="http://marcalpozzo.blogspirit.com/media/01/01/1978591319.jpg" alt="françois vézin, lévinas, edmund husserl, georges steiner, heidegger,qu'est-ce que la métaphysique, jean-luc marion, dasein, Etienne gilson, maxence caron, " /></p><p style="text-align: center;"><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 10pt;">Martin Heidegger (Photo: François Fédier)</span></p><p style="text-align: left;"><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 12pt;">(<span style="color: #800000;"><a style="color: #800000;" href="http://marcalpozzo.blogspirit.com/archive/2018/03/22/heidegger-et-la-conference-de-29-3eme-partie-3102751.html">Passez à la troisième partie</a></span>)<br /></span><br /><br /><br /><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 12pt;"><strong><em> <span style="color: #800000;">En ouverture :</span></em><br /></strong><span style="color: #800000;"><strong> © Hengki Koentjoro 2008</strong></span></span></p><p style="text-align: justify;"><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 12pt;">________________________________________</span></p><div><p class="" style="text-align: justify;"><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 12pt;"><a href="https://l.facebook.com/l.php?u=http%3A%2F%2Fwww.blogspirit.com%2Fadmin%2Fposts%2F%23sdfootnote1anc&h=ATPmULZDNgKSrUhDUFjGbpIlhrkQgSYhPUHldBx7exgJUOo_JznWyg-p0uymL7wbo0MqOgZIIMBNR6fQw_BIfwcCIhcjR6bJhC89JxcbALcb65fF41OU0HR34k9UgSS-snCWTvLI" target="_blank" rel="nofollow noopener noreferrer" data-lynx-mode="asynclazy">1</a> J.-L. Marion, <em>op. cit.</em>, p. 257.</span><br /><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 12pt;"><a href="https://l.facebook.com/l.php?u=http%3A%2F%2Fwww.blogspirit.com%2Fadmin%2Fposts%2F%23sdfootnote2anc&h=ATM7QMil4OTQWpA4Z28Cm7LIMod2uysr0W3A5kt0wtN_yHW7kpNgUm-Pt8vwnIL8_LzOFwN0sKFYSSjBhVJ2BNeCmj3r0IvjesZ6GWzZ4mpx5ujzqcF6ALpXPnKVHI43SSEtEWse" target="_blank" rel="nofollow noopener noreferrer" data-lynx-mode="asynclazy">2</a> C. Tiercelin, « La métaphysique » in <em>Notions de philosophie II</em>, coll. « Folio-Essai », Paris Gallimard, 1995, p. 460.</span><br /><span style
Marc Alpozzo
http://marcalpozzo.blogspirit.com/about.html
Heidegger et la conférence de 29, 1ère partie
tag:marcalpozzo.blogspirit.com,2018-03-20:3102747
2018-03-20T07:39:00+01:00
2018-03-20T07:39:00+01:00
L’introduction (1949) à la conférence de 1929 intitulée Was ist...
<p style="text-align: justify;"><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 12pt;"><strong>L’introduction (1949) à la conférence de 1929 intitulée <em>Was ist Metaphysik ?</em> commence par circonscrire la métaphysique vue de son fondement. Pourquoi ? Une réponse détaillée et développée, dans cette longue étude parue dans le numéro 11 des<em> <span style="color: #800000;">Carnets de la philosophie</span></em>, d'avril 2010. Je vous la propose désormais en accès libre dans l'<span style="color: #800000;"><em>Ouvroir</em></span>, en trois parties.</strong></span></p><p><img src="http://marcalpozzo.blogspirit.com/media/00/01/2443310103.jpeg" id="media-985467" alt="" /></p><blockquote><p style="text-align: right;"><span style="font-family: georgia, palatino, serif;"><br /><br /><span style="font-size: 10pt;">« Partout en route faisant expérience, inexpert sans issue, il arrive au rien. »</span></span></p><p style="text-align: right;"><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 10pt;">Sophocle, <em>Antigone</em>[1].</span></p><p style="text-align: right;"> </p></blockquote><p style="text-align: justify;"> </p><p style="text-align: justify;"><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 12pt;"><strong>La remontée au fondement de la métaphysique</strong></span></p><p style="text-align: justify;"><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 12pt;">L’introduction (1949) à la conférence de 1929 intitulée <em>Was ist Metaphysik ?</em> commence par circonscrire la métaphysique vue de son fondement. Pourquoi ? Parce que depuis Platon, le destin de la métaphysique à conduit cette dernière dans l’impasse[2], peut-être parce qu’elle n’a jamais relevé le défi de dévoiler (<em>Άλήθεία</em>) la vérité de l’être, moins en le décelant qu’en en disant quelque chose à son propos. En fait, elle est tombée dans le « discrédit général » selon les mots mêmes de Kant, parce qu’on a bien trop attendu d’elle[3]. Mais nous pouvons aussi trouver une raison supplémentaire, c’est parce que questionner philosophiquement la métaphysique entend précisément, et avant tout, fixer ses conditions de possibilités et ses limites. C’est tout du moins ce que nous voudrions montrer en suivant de près la perspective fondamentaliste qui anime la pensée de Heidegger tout au long de cette célèbre conférence.</span></p><p style="text-align: justify;"><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 12pt;"> </span></p><p style="text-align: center;"><img id="media-1071187" style="margin: 0.7em 0;" title="" src="http://marcalpozzo.blogspirit.com/media/01/02/1296373591.png" alt="heidegger,qu'est-ce que la métaphysique" /></p><p style="text-align: justify;"><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 12pt;"> </span></p><p style="text-align: justify;"><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 12pt;">Vue de son fondement, la métaphysique « pense l’étant en tant qu’étant »[4]. Mais l’Être lui-même est resté oublié[5]. Le destin de la métaphysique est l’histoire de cet oubli[6]. Aussi, si <span style="color: #800000;"><a style="color: #800000;" href="http://marcalpozzo.blogspirit.com/martin-heidegger/" target="_blank" rel="noopener">Heidegger</a></span> revient à la question fondamentale de la métaphysique, c’est parce que depuis Platon, la tradition philosophique a travaillé à « effacer ou sublimer la différence fondamentale entre l’être et les étants, entre <em>Sein</em> et <em>Seiende</em> » tel que nous le dit G. Steiner[7]. D’où la question inaugurale : « Qu’est-ce que la Métaphysique ? <<em>Was its Metaphysik ?></em> » à laquelle Heidegger répond que : « L’attente à laquelle cette question donne l’éveil est celle d’un discours <em>sur</em> la métaphysique. »[8] Or, renoncer à ce discours, ce que fera cette conférence de 1929, c’est conduire les auditeurs ou les lecteurs, à revenir au cœur de la métaphysique. C’est amener le <em>questionner </em>philosophique à n’être plus « <em>pris dans la question</em> ».<br /><br /></span></p><p style="text-align: justify;"><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 12pt;">Il s’agit pour Heidegger de remonter la généalogie de l’histoire de la vérité et sa « mutation en certitude[9] » afin d’à présent réfléchir à une pensée de la philosophie qui n’est plus justement philosophique ou mieux « métaphysique ». Trouvant un sens nouveau à partir de la Postface de 1943 et de l’introduction de 1949, la leçon inaugurale de 1929 dont l’objet jusque-là était d’assigner à l’ontologie fondamentale une fin, celle de fonder la métaphysique, se voit maintenant comprise comme cette tâche de fonder à partir de l’être, la vérité de l’étant sans égard pour la vérité, c’est-à-dire de l’être lui-même. Et si, tel que le souligne fort à propos Jean-François Courtine, la leçon de 1929 « ne souffle mot de la phénoménologie[10] », c’est précisément parce que la métaphysique ne saurait être <em>réduite</em> à l’idée de science. Qu’est-ce à dire ? La question métaphysique, contrairement à la question scientifique portant essentiellement sur les objets, implique le <em>questionnant</em> lui-même qui est littéralement « pris dans la question ». On peut d’autant mieux comprendre dès lors pourquoi, selon les mots mêmes de J.-F. Courtine <em>Was ist Metaphysik</em> est « une étape importante dans le développement de la <em>Seinsfrage</em>. »[11]</span></p><p style="text-align: justify;"> </p><p style="text-align: justify;"><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 12pt;"><strong>Le phénomène et l’être</strong></span></p><p style="text-align: justify;"><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 12pt;">Qu’est-ce qui caractérise <em>Was ist Metaphysik</em> ? Donnée en 1929 à l’université de Fribourg, devant l’ensemble des facultés réunies, cette conférence répond à un défi philosophique majeur : comment circonscrire la métaphysique en la possibilité d’une expérience, propre au Dasein, qui la définit dans sa saisie de lui-même ? L’effort de Heidegger est de re-penser la métaphysique à partir du <em>Dasein</em>, c’est-à-dire en fondant les deux. Avec la leçon de 1929, la métaphysique est présentée comme confondue avec le <em>Dasein</em> lui-même, tant est si bien que nous ne pourrions pas « nous transposer en elle, car du fait que nous existons, <em>nous sommes d’ores et déjà toujours en elle</em> »[12]. Il s’agit donc de dire, selon la formule heureuse de C. Dubois, que « la métaphysique <em>est</em> le<em>Dasein</em> lui-même, et elle est comme l’advenir fondamental, en lui, de lui-même »[13]. Pourquoi ? Le <em>Dasein</em> vit sur le mode de « l’être-au-monde », c’est-à-dire qu’il est un « être-jeté » (<em>Geworfenheit</em>)[14]. Or, c’est précisément ce que la spéculation métaphysique a longtemps négligé. Nous sommes « jetés » (<em>Geworfen</em>) dans le monde qui était là avant nous et qui sera là après nous. Inséparable de ce monde, le <em>Dasein</em> est le seul « étant » qui existe et ainsi, est capable de questionner ce monde[15] qui tient de la signification de ce <em>Dasein</em>. Cette idée est résumée dans la formule, si mal comprise en son temps, « <em>L’« essence » du Dasein tient dans son existence. </em>»[16] Certes, si nous ne savons pas où nous allons, si nous ne savons pas non plus pourquoi nous sommes là, pas plus qu’un autre étant hormis nous n’est en mesure de penser le sens de l’existence, cela ne fait pas de l’homme un être réel dans un monde apparent. Heidegger prend la précaution de nous mettre en garde : « La proposition : « L’homme existe » signifie : l’homme est cet étant dont l’être est signalé dans l’Être, à partir de l’Être, par l’ins-tance maintenue ouverte dans le décèlement de l’Être. »[17] Aussi, pouvons-nous affirmer à la suite de J.-L. Marion que « l’analytique du <em>Dasein</em> rend caduc le soupçon d’anthropologie, sitôt qu’on voit qu’elle répond à l’injonction radicale selon laquelle « la question en vue de l’être doit être construite (<em>gestelt</em>) » »[18]. L’homme[19], en tant que<em>Dasein</em>, n’est pas un « réceptacle contenant son être »[20]. Pas plus que nous pourrions confondre l’être avec une substance quelconque qui résiderait au centre de l’étant, et que nous pourrions ainsi matériellement découvrir grâce à un quelconque instrument. L’être doit être en réalité considéré comme étant la « condition originelle » par laquelle l’intervention du phénomène peut être rendue possible « dans le monde ».<br /><br /></span></p><p style="text-align: justify;"><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 12pt;">Aussi, si la leçon de 1929 représente, tel que nous le dit J.-F. Courtine, « un « pas » décisif hors de la phénoménologie dans sa détermination husserlienne »[21], la phénoménologie de Heidegger dans sa méthode, n’avance plus sa recherche jusqu’à établir l’étant, s’arrêtant ainsi par là à cette frontière, visant et interprétant l’étant, elle s’accomplit au-delà de lui pour établir ce qui est en rapport avec lui, c’est-à-dire l’être lui-même. Par conséquent, puisque les sciences tendent, dans leur <em>rapport avec le monde</em>, à systématiquement se rapporter à l’étant, le chemin devenant alors bien balisé, ce sera la métaphysique qui interrogera le sens de l’être.</span></p><p style="text-align: center;"><img id="media-1127214" style="margin: 0.7em 0;" title="" src="http://marcalpozzo.blogspirit.com/media/02/00/3520595250.png" alt="heidegger,qu'est-ce que la métaphysique,jean-luc delamarre,françois marty,jean barni,françois vézin,christian dubois,antonia soulez,claudine tiercelin,denis kambouchner,kant,henri bergson,jean-françois courtine,jean-luc marion" /></p><p style="text-align: center;"><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 10pt;">Paru dans la revue <em>Philosophie pratique</em>, n°8, sept-nov. 2011</span></p><p style="text-align: justify;"><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 12pt;"> </span></p><p style="text-align: justify;"><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 12pt;"><strong>Le rien et l’être</strong></span></p><p style="text-align: justify;"><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 12pt;">Dans son projet d’accéder au « phénomène d’être », en 1927, <em>SuZ</em> était parvenu à une aporie. Ecoutons à ce sujet J.-L. Marion : « En privilégiant un chemin indirect – par le <em>Dasein</em> – vers l’être, l’entreprise de 1927 n’a pu parvenir à mettre directement en scène l’être comme phénomène, donc à libérer la différence ontologique comme telle. »[22]Aussi, dès son point de départ, la conférence de 1929 n’entend s’attacher à aucune considération disciplinaire particulière, mais à radicaliser ce que demande <em>SuZ</em>, c’est-à-dire la mise en question du questionnant lui-même, le <em>Dasein</em>. Dans le rapport que le <em>Dasein</em> entretient avec l’être, la métaphysique joue un rôle fondamental, car elle s’enracine dans l’existence[23] elle-même. Ce qui la distingue des autres sciences, ne s’attachant qu’à étudier les objets dans un « <em>mouvement d’approche vers l’essentiel de toutes choses</em> »[24], tout en oubliant de creuser pour prendre les choses à la racine, ce qui signifie accéder directement au « phénomène d’être ». Cette mise au jour phénoménologique de l’être, tentée une première fois en 1927 par <em>SuZ</em>, est ici renouvelée avec la conférence de 1929.</span></p><p style="text-align: justify;"><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 12pt;">Mais le chemin choisi par Heidegger n’est pas celui jusqu’ici usité par la métaphysique traditionnelle depuis Platon, dont la grande erreur fut de fonder les sciences en l’être. En caractérisant le comportement scientifique selon un triple aspect : un rapport au monde qui dans une libre attitude permet l’irruption de l’existence humaine découverte au sein de l’étant :<br /><br /></span></p><blockquote><p><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 12pt;">« Ce à quoi est relative la relation au monde, c’est l’<em>existant lui-même</em> – et rien d’autre.</span></p><p><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 12pt;">« Ce dont toute attitude reçoit sa conduite directive, c’est l’<em>existant lui-même</em> – et rien de plus.</span></p><p><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 12pt;">« Ce avec quoi s’historialise, dans l’irruption, l’analyse qui recherche et confronte, c’est l’<em>existant lui-même</em> et rien au-delà »[25]<br /><br /></span></p></blockquote><p style="text-align: justify;"><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 12pt;">Heidegger montre que là où la science prétend qu’il n’y a plus rien à dire, elle laisse délibérément de côté le rien (ou le néant, le rien d’étant). Pourquoi ? Parce que « ce que la recherche doit pénétrer, c’est simplement « ce qui est », et en dehors de cela – <em>rien :</em>uniquement « ce qui est », outre cela – <em>rien :</em> exclusivement « ce qui est », et au-delà –<em>rien.</em> »[26] Le discours heideggérien est ainsi très clair, et comment par conséquent ne pas en déduire ici du <em>rien</em> qu’il n’y a donc rien à en dire.<br /><br /></span></p><p style="text-align: justify;"><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 12pt;">D’ailleurs, la science n’a rien à dire du <em>Rien</em>, mais la philosophie jusqu’à Heidegger n’en a pas plus à dire. Henri Bergson dans sa célèbre conférence de 1920 "<em>Le possible et le réel" </em>note à propos du <em>Rien</em> qu’il désigne en réalité l’absence de ce que nous recherchons, de ce que nous désirons, de ce que nous attendons. Ce ne serait donc, en termes bergsoniens, qu’un problème de mots que l’on confondrait avec un problème d’idées[27]. Par conséquent, c’est parce que la philosophie, suite à des problèmes métaphysiques mal résolus, persiste à confondre l’idée de néant avec son champ linguistico-logique, que ce <em>Rien</em>, prononcé par la pensée fabricatrice de l’homme, ne trouvera jamais un autre sens que le sens expressément langagier, et que, pour conclure avec Bergson, le « Rien » ne désignera jamais un néant mais seulement l’absence de l’objet recherché[28].</span></p><p style="text-align: justify;"><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 12pt;"> </span></p><p style="text-align: justify;"><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 12pt;"><strong>Le néant et sa donation</strong></span></p><p style="text-align: justify;"><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 12pt;"><em>Mais qu’en est-il donc de ce Rien ?</em> La question est explicitement posée par Heidegger dans sa conférence. Pour la science, ni le Rien, ni le Néant[29] ne peuvent être connus. Exprimerions-nous alors ces mots par hasard et tout naturellement, faisant par là une confusion langagière comme le prétend Bergson, disqualifiant ainsi la donation effective ? D’autant que la science ne veut rien savoir du néant car c’est une sorte de repoussoir pour sa définition positive. Mais n’est-ce pas en réalité un prétexte ? Dans son déni du néant, la science s’en sert comme d’un <em>outil</em>, un moyen « là où elle cherche à exprimer son essence propre »[30]. Elle se sert du néant pour exprimer le contraire de « ce qui est ».<br /><br /></span></p><p style="text-align: justify;"><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 12pt;">Soit. Acceptons la remarque. Mais quel est le problème philosophique fondamental qu’il s’agit de soulever avec Heidegger ? Qu’en est-il de ce néant énigmatique ? Comment en élaborer la question ?<br /><br /></span></p><p style="text-align: justify;"><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 12pt;">La première Critique de Kant (<em>Critique de la Raison pure</em>) en cherchant à instaurer le fondement de la métaphysique, en avait dénoncé l’<em>illusion</em>, lorsque la raison humaine essayait de s’imaginer qu’elle pouvait atteindre l’Être, Dieu, l’âme, le monde. La métaphysique classique ayant fondé sur toutes ces réalités des « pseudo-connaissances », des « apparences transcendantales » qui nous induisent en erreur, la question du champ des connaissances accessibles à la science demeure d’autant plus ouverte. La science n’est pas l’ontologie, nous dit Kant, l’objet n’est pas l’être, et toute connaissance est relative au sujet. L’idée de Dieu « ne fait que nous renvoyer à une certaine perfection inaccessible » et « sert à limiter l’entendement plutôt qu’à l’étendre à de nouveaux objets »[31]. Or, lorsque la science interroge le néant, elle en fait le fondement de la négation. Soit. Tel que le souligne fort à propos J.-L. Marion, « c’est un fait, admis même et surtout par les critiques du Rien, <em>que</em> nous reconnaissons la puissance du Rien à partir de la négation, supposée simple et intelligible ; c’est un fait que nous produisons le Rien (du moins comme « idée de néant ») par le seul secours de la négation ; qu’il s’agisse ou non d’un délire, peu importe, puisque ce délire de négation engendre bel et bien le Rien. »[32] Or, Heidegger, sans encore pouvoir le justifier, s’inspire de cette position kantienne en nous proposant de montrer la condition positive, et qui est proprement phénoménologique, donnant ainsi sens à la condition négative : « Qu’est-ce que le Néant ? Dès le premier contact, la question trahit quelque chose d’insolite. En interrogeant ainsi, nous posons d’ores et déjà le <em>Néant</em> comme quelque chose qui « est » ceci et cela, comme un <em>existant</em>. »[33] Par la question, le néant nous est donné.<br /><br /></span></p><p style="text-align: justify;"><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 12pt;">De la philosophie première grecque, sa cosmologie, à la science occidentale, la nature a horreur du vide. Il faudra attendre Hegel et sa logique pour comprendre le néant et l’être en un ce qu’il <em>est</em>. Le néant et l’être deviennent dès lors indissolubles[34]. Mais Heidegger va encore plus loin. Il s’agit, pour comprendre, de considérer la <em>question</em>. La question du néant se propose d’en remonter à l’origine, à l’essence. Or, le paradoxe, c’est que le fondement de la métaphysique est le néant lui-même[35]. Qu’est-ce à dire ? Nous avons vu plus haut, avec Bergson, que le Néant, ou le Rien, n’était qu’un vain mot qui, au moment même où je le prononçais, disait soudain « quelque c
JMOlivier
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Dans la lumière grecque (Philippe Sollers)
tag:jolivier.blogspirit.com,2017-03-16:3327890
2017-03-16T08:20:00+01:00
2017-03-16T08:20:00+01:00
Les puristes diront : ce n'est pas un roman. Il n'y a pas de...
<p style="text-align: justify;"><span style="font-size: 14pt; font-family: georgia, palatino, serif;"><a href="http://jolivier.blogspirit.com/media/00/01/946592196.jpeg" target="_blank"><img id="media-222172" style="float: left; margin: 0.2em 1.4em 0.7em 0;" title="" src="http://jolivier.blogspirit.com/media/00/00/3494049547.jpeg" alt="images.jpeg" /></a>Les puristes diront : ce n'est pas un roman. Il n'y a pas de personnages, pas d'intrigue, pas de début, pas de fin. Ils auront raison. Mais, bien sûr, ils seront passés à côté du livre, sans entrer dans son jeu, ni en saisir l'enjeu. </span></p><p style="text-align: justify;"><span style="font-size: 14pt; font-family: georgia, palatino, serif;">Comme tous les « romans » de Philippe Sollers, <em>La Beauté</em>* commence par une invitation au voyage. Le narrateur (dont on ne connaîtra ni l'âge, ni le nom) retrouve Lisa, une jeune pianiste grecque, sur une île d'Égine, au sud-ouest d'Athènes. Débute alors un voyage dans le temps et l'espace. On sait que pour les écrivains la mort n'existe pas. Bien vite, autour du couple d'amoureux, c'est la ronde des fantômes. Les déesses et les dieux de la mythologie s'invitent dans leur voyage, avec leurs aventures très peu politiquement correctes. La belle lumière grecque aimantent d'autres fantômes : le philosophe Martin Heidegger, puis le poète Hölderlin. <a href="http://jolivier.blogspirit.com/media/02/00/1773938884.jpeg" target="_blank"><img id="media-222174" style="float: right; margin: 0.2em 0 1.4em 0.7em;" title="" src="http://jolivier.blogspirit.com/media/00/00/3814216152.jpeg" alt="Unknown-2.jpeg" /></a>Celui-ci permet à l'écrivain de faire le lien avec sa ville natale, Bordeaux, où le poète allemand a séjourné, avant sa lente plongée dans la folie. </span></p><p style="text-align: justify;"><span style="font-size: 14pt; font-family: georgia, palatino, serif;">Autres temps, autre ville, mais même lumière. </span></p><p style="text-align: justify;"><span style="font-size: 14pt; font-family: georgia, palatino, serif;"><a href="http://jolivier.blogspirit.com/media/02/02/3777080947.jpeg" target="_blank"><img id="media-222173" style="float: left; margin: 0.2em 1.4em 0.7em 0;" title="" src="http://jolivier.blogspirit.com/media/01/02/1096406031.jpeg" alt="Unknown-1.jpeg" /></a>On suit les pérégrinations de ce couple amoureux qui se sépare pour mieux se retrouver, parcourt le monde, se donne rendez-vous dans les endroits les plus improbables. L'amour, ici, vibre au rythme de la musique, forme souveraine de la beauté. On croise Anton Webern juste avant que le compositeur viennois, sorti sur sa terrasse pour fumer un cigare, ne soit abattu par un soldat américain. Tragique méprise ! On croise aussi Bach, bien sûr, autre héraut de la beauté.</span></p><p style="text-align: justify;"><span style="font-size: 14pt; font-family: georgia, palatino, serif;">La beauté traverse toutes les époques : c'est pourquoi nous sommes toujours bouleversés, aujourd'hui, par un tableau de Carpaccio, un poème de Hölderlin ou un roman de Joyce, les <em>Variations Goldberg</em> de Bach ou les<em> lieder</em> de Webern. Le temps n'a pas d'emprise sur elle. La beauté est souveraine et nous parle toujours, dans une langue que Sollers transcrit au plus près de ses vibrations musicales. Sans véritable commencement, ni vraie fin, ce roman se déploie comme une fugue avec ses diverses variations (le plaisir, la terreur, l'érotisme, etc.) Certes, l'épilogue fait défaut, répèteront les puristes. Mais tout le livre baigne dans une lumière à la fois douce et fraîche qui imprègne longtemps le lecteur.</span></p><p style="text-align: justify;"><strong><span style="font-size: 14pt; font-family: georgia, palatino, serif;">* Philippe Sollers, <em>La Beauté</em>, roman, Gallimard, 2017.</span></strong></p>
Marc Alpozzo
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Peut-on parler de la fin de la métaphysique ? (Heidegger & Nietzsche)
tag:marcalpozzo.blogspirit.com,2016-10-05:3078540
2016-10-05T11:02:00+02:00
2016-10-05T11:02:00+02:00
Heidegger n’en aura jamais fini d’écrire sur Nietzsche . Après son...
<p style="text-align: justify;"><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 12pt;"><strong><span style="color: #800000;"><a style="color: #800000;" href="http://marcalpozzo.blogspirit.com/martin-heidegger/" target="_blank" rel="noopener">Heidegger</a></span> n’en aura jamais fini d’écrire sur <span style="color: #800000;"><a style="color: #800000;" href="http://marcalpozzo.blogspirit.com/friedrich_nietzsche/" target="_blank" rel="noopener">Nietzsche</a></span>. Après son mémorable ouvrage sobrement intitulé Nietzsche, voici une édition inédite autour de la très problématique question de la métaphysique dans l’oeuvre de l’auteur du Zarathoustra.</strong></span></p><p><img src="http://marcalpozzo.blogspirit.com/media/01/02/1013161504.jpg" id="media-930980" alt="" /></p><p style="text-align: justify;"><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 12pt;"><img id="media-1084843" style="float: left; margin: 0.2em 1.4em 0.7em 0;" title="" src="http://marcalpozzo.blogspirit.com/media/01/01/518911050.jpg" alt="heidegger,nietzsche,hölderlin,adeline froidecourt" />Voici donc une œuvre tout à fait captivante qui réunit à la fois un texte sur l’achèvement de la métaphysique mené à bien par Nietzsche selon Heidegger et un texte croisé entre un penseur et un poète : Nietzsche et Hölderlin. Cet ouvrage réunit donc deux cours que Heidegger souhaitait publier ensemble.</span></p><p style="text-align: justify;"> </p><p><span style="font-family: Georgia;"> </span></p><p style="text-align: justify;"><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 12pt;">Le premier : « La métaphysique de Nietzsche » ne se présente pas comme un exposé de doctrine, mais amène à comprendre comment la pensée de Nietzsche est tout entière animée par la métaphysique, au point qu'elle lui donne son ultime visage.<br />En effet, tandis que Nietzsche s’affirme l’initiateur d’un commencement réellement nouveau en philosophie, Heidegger voit en lui, au contraire, l’achèvement grandiose et inquiétant de la métaphysique occidentale. Par le primat que s’arroge ici la notion de valeur, par l’effacement complet de l’idée de l’Être, par le concept de la volonté de puissance où culmine la prétention du sujet à «arraisonner» l’étant selon les normes planifiées de la technique, par l’apologie du surhomme (qui confirme les ambitions mortelles du sujet), enfin par tous les préjugés dans lesquels se véhicule <strong>l’impensé</strong> de la tradition métaphysique, la philosophie nietzschéenne, selon Heidegger, appartiendrait à l’histoire de «l’oubli de l’être» qui, à ses yeux, définit l’essence de cette métaphysique. L’examen des écrits de Nietzsche cautionne malaisément une telle lecture dont, toutefois, on peut admirer l’envergure et la richesse.</span></p><p style="text-align: justify;"> </p><p style="text-align: center;"><img id="media-1071167" style="margin: 0.7em 0;" title="" src="http://marcalpozzo.blogspirit.com/media/00/02/3349865698.jpg" alt="heidegger,nietzsche" /></p><p style="text-align: center;"><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 10pt;">Des idées et des hommes : Heidegger et Hölderlin (1956)<br /><br /></span></p><p style="text-align: justify;"><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 12pt;">Le second texte, sobrement intitulé « Introduction à la philosophie, Penser et poétiser » a pour but d’approfondir ce qui a déjà été vu dans « La métaphysique de Nietzsche » : l'achèvement de la métaphysique signe la nécessité du rapport entre pensée et poésie.</span></p><p style="text-align: justify;"> </p><p style="text-align: justify;"><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 12pt;">On peut alors parler d’un commentaire axé sur le thème de l’interprétation et de la vérité qui se révélerait apte à protéger le dynamisme constructeur de la pensée nietzschéenne, spécialement contre les tentatives répétées d’annexer Nietzsche à des formalismes dogmatiques dont il a pourtant lui-même donné, par anticipation, la réfutation magistrale.</span></p><p style="text-align: justify;"><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 12pt;"> </span></p><blockquote><p style="text-align: right;"><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 12pt;">« La guise de cette pensée est « bâtisseuse ». Elle édifie quelque chose de tel qu’il ne se tient pas du tout encore – et n’aura peut-être jamais à se tenir comme ce qui est là devant. Edifier, c’est ériger. »</span></p></blockquote><p style="text-align: justify;"><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 12pt;"> </span></p><p style="text-align: justify;"><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 12pt;">Nietzsche qui s’est d’abord appliqué à montrer que l’interprétation métaphysique constitue une falsification délibérée, reproche au métaphysicien de donner une lecture défectueuse du texte de la nature. «Halluciné des arrière-mondes», le métaphysicien ne déchiffre pas les phénomènes tels qu’ils sont, il les escamote sous des projections fantasmatiques. Il forge le concept de l’«être» par haine du devenir et de la vie. Or, puisque seule existe cette réalité que l’on s’acharne à disqualifier en la taxant de simple apparence, il faut conclure que la métaphysique n’est qu’une fabulation autour du néant. L’Idéal, c’est le néant érigé en idole. Car « l’homme, selon Nietzsche, cherche un principe au nom duquel il puisse mépriser l’homme; il invente un autre monde pour pouvoir calomnier et salir ce monde-ci; en fait, il ne saisit jamais que le néant et fait de ce néant un «Dieu», une «vérité», appelés à juger et à condamner cette existence-ci»</span></p><p style="text-align: justify;"> </p><p style="text-align: center;"><img id="media-1071168" style="margin: 0.7em 0;" title="" src="http://marcalpozzo.blogspirit.com/media/01/01/3842225432.jpg" alt="heidegger,nietzsche, hölderlin" /></p><p style="text-align: center;"><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 10pt;">Nietzsche<br /><br /></span></p><p style="text-align: justify;"><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 12pt;">Ainsi donc, en tant que penseur de ce temps de l'achèvement de la métaphysique, Nietzsche en vient à être poète. Poète de ce temps, tel Hölderlin qui en vient à être penseur. De cette étonnante proximité de la pensée et de la poésie, Heidegger propose une méditation qui prend sa source dans l'histoire, car Nietzsche et Hölderlin sont penseurs et poètes dès qu'il leur faut se confronter à ce qui, en notre temps, «est». De fait, dans cette dialectique mettant en question le rapport entre pensée et poésie, nous sommes habilement amenés à penser à partir de ce qui nous concerne tous essentiellement.<br /><br /></span></p><p style="text-align: center;"><img id="media-1071169" style="margin: 0.7em 0;" title="" src="http://marcalpozzo.blogspirit.com/media/00/01/794495525.png" alt="heidegger,nietzsche, hölderlin" /></p><p style="text-align: center;"><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 10pt;">Martin Heidegger<br /><br /></span></p><p style="text-align: justify;"><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 12pt;"><strong>Achèvement de la métaphysique et de la poésie : La Métaphysique de Nietzsche - Introduction à la philosophie. Penser et poétiser, trad. de l'allemand par Adeline Froidecourt, 208 pages, Collection Bibliothèque de Philosophie, série Œuvres de Martin Heidegger, Gallimard, Mars 2005</strong></span></p>
Marc Alpozzo
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Le Dasein au milieu du monde. Une expérience de l’appartenance
tag:marcalpozzo.blogspirit.com,2013-02-07:3101493
2013-02-07T10:45:00+01:00
2013-02-07T10:45:00+01:00
Dans l’odyssée philosophique heideggérienne l’angoisse a un statut...
<p style="text-align: justify;"><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 12pt;"><strong>Dans l’odyssée <span style="color: #800000;"><a style="color: #800000;" href="http://marcalpozzo.blogspirit.com/martin-heidegger/" target="_blank" rel="noopener">philosophique heideggérienne</a></span> l’angoisse a un statut spécifique[1]. Mais que vient donc briser l’angoisse ? Quid de l’angoisse (<em>Angst</em>) ? C’est cette disponibilité affective (<em>Befindlichkeit</em>) fondamentale dans laquelle se situe l’insigne ouverture du Dasein. Il est vrai qu’en toute situation nous retrouvons une « ambiance », c’est-à-dire une « atmosphère »[2]. Aussi, c’est le propre du sentiment de l’angoisse que d’être précisément une affection[3]. Dans cette expérience singulière, ce retrait des étants dans l’indifférenciation, on trouve l’expérience la plus importante de <em>Sein und Zeit</em> ; l’expérience charnière. Mais pour comprendre ce point, il faut commencer par éclairer ce que le philosophe allemand entend par « être-au-monde »[4]. Une formule appelant une double réponse : d’une part, que nous habitons au beau milieu de la familiarité – c’est-à-dire l’expérience de l’appartenance ; d’autre part, que nous risquons n’importe quand l’absolu dépaysement, l’exil, l’inquiétante étrangeté – l’expérience de l’isolement, de l’exclusion de toute appartenance, la rupture. Cette longue étude est parue dans les<span style="color: #800000;"><em> Carnets de la philosophie</em></span>, numéro 17, de juillet 2011. La voici désormais en accès libre dans l'<span style="color: #800000;"><em>Ouvroir</em></span>.</strong></span></p><p><img src="http://marcalpozzo.blogspirit.com/media/01/02/2164442221.jpg" id="media-983176" alt="" /></p><p class="" style="text-align: justify;"> </p><p class="" style="text-align: justify;"> </p><p class="" style="text-align: justify;"><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 12pt;"><strong>La mondanéité du « monde » ou l’absence de lointain</strong></span></p><p class="" style="text-align: justify;"><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 12pt;"><strong>L’é-loignement</strong></span></p><p class="" style="text-align: justify;"><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 12pt;"> Dans le monde (<em>Umwelt</em>) de Heidegger, les étants ne sont pas tous identiques. Seul l’un d’entre eux, jeté au monde (<em>geworfen</em>), c’est-à-dire sans statut préalablement fixé ni attaches fixes, à peine doué d’un commencement de précompréhension de son être, est capable et intéressé à s’interroger à propos de cet être. C’est le <em>Dasein</em>. C’est ainsi que le <em>Dasein</em> peut dire : « Je suis au monde ». Cela signifie clairement que l’être du <em>Dasein</em> est d’exister. La découverte, ou plutôt la révolution phénoménologique de Heidegger est précisément ce retour au <em>Dasein</em> comme « être-au-monde », c’est-à-dire <em>In-der-Welt-sein</em>. Mais de quel type de monde parlons-nous ? Autre question : qui donc est cet étant qui vit sur le mode de l’être-<em>au</em>-monde ? Enfin, que signifie « être-à » dans le phénomène d’être-au-monde ? Nous allons répondre plus bas à ces trois questions fondamentales. À présent, considérons que le <em>Dasein</em> est sur le mode de l’existant, c’est-à-dire qu’il habite le monde. Mais comment habitons-nous réellement ce monde, à savoir comment y séjournons-nous ? S’il est possible pour le <em>Dasein</em> de comprendre la totalité de l’étant transcendentalement<span class="">[5]</span>, il lui apparaît comme être-à : c’est-à-dire qu’au même titre que ce stylo est sur cette table, je suis dans le monde, « comme l’eau est dans le verre, le vêtement dans l’armoire »<span class="">[6]</span>. Je suis donc une partie du monde, comme toutes les choses : ce style, cet ordinateur, cette table, etc. Mais à la différence des choses qui sont des « être-sous-la-main », je ne suis pas une simple chose dans le monde. C’est-à-dire qu’à la différence du stylo, j’ai un monde. Il y a donc un monde pour moi, et c’est à partir de ce monde que je vais <em>me rapporter</em> aux choses. Certes, comme celles-ci, je suis AU monde (<em>In-Sein</em>), ce qui signifierait simplement que je suis dans le monde (<em>Sein in</em>). Mais si je suis dans le monde, au même titre que ce stylo qui me sert à écrire, ou même ce chat qui dort sur mes genoux, ce stylo est sans monde, il ne se rapporte pas au papier sur lequel il écrit, et ce chat est sans monde non plus, et il ne rapporte pas à moi sur lequel il dort. En réalité, lorsque je dis « je suis au monde », étymologiquement, je dis « <em>in</em> », qui provient de « <em>innan</em> ». Cela signifie que j’<em>habite</em> au sens où « je séjourne auprès de – du monde qui m’est familier »<span class="">[7]</span>. C’est-à-dire qu’il suffit que le <em>Dasein</em> existe pour qu’un monde émerge, et ce sera en premier celui de la préoccupation quotidienne<span class="">[8]</span>.<br /><br /></span></p><p class="" style="text-align: justify;"><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 12pt;"> Mais reprenons. Heidegger emploie le terme « disposition affective » (<em>Befindlichkeit</em>)<span class="">[9]</span>pour parler de la <em>situation</em> du <em>Dasein</em>, et montre que le <em>Dasein</em> commence par être au monde en existant. Cependant, si exister, c’est, pour le <em>Dasein</em>, faire l’expérience du monde, cette expérience s’exprime sur le mode de la présence. Donc, en se comprenant de façon toujours provisoire, il doit à la fois se réaliser lui-même dans le sentiment diffus qu’« il est » et dans la projection sans cesse réitérée qu’il a à être. L’étant est à l’intérieur du monde. Le <em>Dasein</em> existe dans le monde avec les choses. Le <em>Dasein</em> est toujours déjà « déterminé » par une certaine compréhension préalable du monde. Or, pour le <em>Dasein </em>quotidien, le monde le plus immédiat est le <em>monde ambiant</em>. Le <em>Dasein</em> est lui-même en ce monde, mais de manière indifférenciée. Ainsi, fait-il l’expérience de la banalité. Mais on ne comprendrait rien à la banalité heideggérienne, si l’on ne comprenait que le <em>Dasein</em> vit au niveau de l’immanence de la quotidienneté. L’ouverture de l’être-au-monde, le surgissement des étants, dans leur donation au <em>Dasein</em>, se trouve enfermée dans la dispersion propre à la « préoccupation ». Dans la « mondanité-du-monde » nous ne sommes plus nous-mêmes, nous sommes « factices ». Cette « facticité » est une existence inauthentique pour le <em>Dasein</em>, précipité dans le tourbillon de la quotidienneté, et soumis à l’emprise du <em>On</em>. Ayant lâché prise avec son être-propre, il s’est laissé submerger par les <em>vapeurs</em> du monde de la préoccupation quotidienne. C’est que Heidegger appelle la déchéance (<em>Verfallen</em>)<span class="">[10]</span>, ce qui désigne la « médiocrité » de l’être-là quotidien aux prises du spectacle et des masques, et dont l’oubli de soi dans la grande mascarade sociale est plutôt tentateur et rassurant. Or, la déchéance est le mode sur lequel le <em>Dasein</em> est quotidiennement au monde<span class="">[11]</span>. Dans la quotidienneté (<em>Alltäglichkeit</em>)<span class="">[12]</span> le <em>Dasein</em> montre l’extrême prétention de vivre une vie <em>pleine</em> et <em>authentique</em>. Ça le rassure et le conforte dans l’idée que tout « va bien », alors qu’il n’est en réalité, qu’un « être-jeté » dans le monde, ce qui ne saurait le laisser se penser comme tel. Dans ce déni, le <em>Dasein </em>vit en aliéné. Une aliénation sociale au <em>On</em><span class=""><em><strong>[13]</strong></em></span>qu’exprime le terme allemand <em>Man</em>. Impersonnalité, neutralité, nous nous livrons à une existence sans forme, <em>inauthentique<span class=""><strong>[14]</strong></span></em>. « Ontologiquement, cela veut dire : tant que le <em>Dasein </em>s’en tient au on-dit, il est coupé en tant qu’être-au-monde des rapports primitifs et véritablement originaux à l’égard du monde, de la coexistence et de l’être-au lui-même. »<span class="">[15]</span> En d’autres termes, cette vie inauthentique correspond à vivre non par nous-mêmes, mais comme « On » vit.<br /><br /></span></p><p class="" style="text-align: justify;"><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 12pt;">Aussi, vivre en immersion dans le « On », c’est vivre dans l’absence de lointain. « Jetés », nous sommes en immersion dans un espace qui exclut toute distance. La portée des choses, que nous ne percevons jamais en elles-mêmes, et leur orientation (toujours à leur place) nous empêchent de voir le monde autrement que tel que « On » le voit. Le <em>Dasein</em> est ainsi frappé de <em>cécité ontologique<span class=""><strong>[16]</strong></span></em>. « Jetés », nous sommes « livrés »<span class="">[17]</span>. Nous dirons plutôt que nous sommes « embarqués », avec la nette référence pascalienne. Mais nous sommes « embarqués », au sens où nous avons ainsi épousé la mouvance du divertissement, nous vivons auprès du monde « en préoccupation », c’est-à-dire sans distance, afin de ne pas avoir à faire face à nous-mêmes. Et autant dire que, dans le monde ambiant, c’est à peine si le <em>Dasein </em>vit, parce que le « On » auquel le <em>Dasein</em> s’identifie, c’est ni moi, ni toi, ni nous. C’est un « On » impersonnel qui retire au <em>Dasein</em> sa singularité, sa responsabilité. Ce que le <em>Dasein</em> pense, c’est à travers le « On ». Ce que le <em>Dasein</em> dit, c’est tout autant à travers le « On », et ce qu’il fait également. Nous pouvons donc en conclure que le « On » fait le <em>Dasein</em>, et qu’en sa qualité de « On », ça n’est « personne ». Nous sommes véritablement dispersés dans ce monde de la préoccupation qui donne au regard « toute la sureté exigible », ou nous vivons « en tout commerce avec l’étant »<span class="">[18]</span>. Ce qui signifie clairement que nous vivons en immersion dans le règne des ustensiles (<em>Zeug</em>)<span class=""> [19]</span>, de l’usage (§ 15 à 18). Rien de plus familier que les ustensiles, les outils, faisant sens à l’intérieur du réseau de renvois dans lequel ils s’inscrivent. Dans le mode d’être des ustensiles, le monde s’annonce, et il faut attendre que l’ustensile soit partiellement ou totalement inutilisable, qu’il ne réponde plus à son caractère de serviabilité, pour que soudain, il nous encombre, fasse acte de présence.<br /><br /></span></p><p class="" style="text-align: justify;"><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 12pt;">Et pourtant, il ne suffit pas que l’ustensile nous encombre, nous distrait de notre aveuglement, même un instant, comme cette voiture en panne au milieu d’une avenue de grande circulation, qui soudain, parce qu’elle n’est plus utilisable, se ferait voyante, car encombrante. Ce ne serait en effet pas suffisant, pour que nous soyons soudain détournés de cette familiarité, de cette médiocrité<span class="">[20]</span>, de ce vécu que nous partageons avec « Monsieur-tout-le-monde ». De fait, ce monde qui nous entoure, et qui nous contient à l’intérieur de lui-même, n’amène rien d’autre à proximité de lui, que de l’« utilisable ». Nous n’avons ainsi guère besoin de « discernation » pour attraper, manipuler, utiliser l’ustensile. Plongés dans un monde ambiant, peuplé<span class="">[21]</span> d’ustensiles, tout ce qui est utilisable est « à-portée-de-la-main », à savoir utilisable dans l’immédiat, et sans que je n’ai à y réfléchir. Par exemple, il me faut écrire cet article, pour cela, je dois me munir d’un cahier et d’un crayon, puis d’un ordinateur et d’une imprimante. Jamais, à aucun moment, je ne serais là dans la « discernation ». Pourquoi le serais-je, puisque « la discernation de la préoccupation fixe ce qui est proche de cette manière tout en tenant compte de la direction dans laquelle l’util est à tout moment accessible »<span class="">[22]</span>. On détient là toute la subtilité du discours de Heidegger. Posé face au problème de la proximité, il ne s’agit pas seulement d’interpréter ce terme sous l’angle de l’espace, mais également en termes de « place » et d’« emplacement ». De fait, chaque chose doit nécessairement avoir une place dans le monde ambiant, sinon cela ferait désordre. Chaque chose ayant son endroit comme on dirait à un enfant qui n’a d’intérêt que pour le jeu : « Il y a un temps pour tout ! » Toutes ces places assignées à chaque ustensile, sont liées essentiellement à la préoccupation qui définit les « lieux d’appartenance ». Ces lieux d’appartenance organisent notre monde, ont pour fonction symbolique de lui donner un sens, de l’inscrire dans une compréhension collective. Aussi, une chose peut devenir « visible de manière surprenante » lorsqu’elle n’est subitement plus à sa place. Par exemple, dans la toile de De Chirico intitulée <em>Turin au printemps</em> (1914), un artichaut, un livre et un œuf sont posés sur une table, sur fond de drapeau flottant au vent. Coupés de leur usage, déplacés, ils ne renvoient désormais plus à un horizon quotidien et sont ainsi « expressément accessibles comme tel » (SZ, 104, trad. Vezin)<span class="">[23]</span>. C’est ainsi que l’ustensile « <em>dé</em>-éloigne » en installant une fausse proximité entre nous et les choses, la préoccupation circonspecte distribuant à chaque outil la bonne distance (<em>proche</em> ou <em>lointaine</em>) en fonction de l’<em>utilisabilité</em> de la chose. « Si l’éloignement doit être évalué, c’est relativement aux déloignements dans lesquels se tient quotidiennement le Dasein que cela se passe alors » (SZ, 105, trad. Vezin). Nous avons des signes (« ici », « là-bas », « là ») qui nous indiquent des lieux, des emplacements ; nous avons des formules de courtoisie dans la langue française lorsque nous nous adressons à un interlocuteur comme le « voussoiement » censé mettre à distance, et le « tussoiement » censé rapprocher les personnes. Nous disposons de tout un arsenal de signes qui nous permettent de comprendre et d’exprimer l’énonciation des « emplacements ». Pourtant, jamais nous n’abolissons la distance avec les ustensiles, tous entiers « guidés par la discernation que promeut la préoccupation. » (SZ, 108, trad. Vezin).<br /><br /></span></p><p style="text-align: center;"><img id="media-1071173" style="margin: 0.7em 0;" title="" src="http://marcalpozzo.blogspirit.com/media/02/01/482334437.jpg" alt="heidegger,l'angoisse,être et temps,la familiarité,l'inquiétante étrangeté,dasein,ontologie,marlène zarader,emmanuel martineau,jean greisch,de chririco,némésis,jean-luc marion,françois vezin,blaise pascal,michel haar,georges steiner" /></p><p style="text-align: center;"><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 10pt;">Rudolf Augstein et Martin Heidegger, </span><br /><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 10pt;">Todtnauberg, Suisse (Digne Meller-Marcovicz)<br /><br /><br /></span></p><p class="" style="text-align: justify;"><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 12pt;"> <strong>Du Moi au soi, la <em>mienneté</em> (<em>Jemeinigkeit)</em></strong></span></p><p class="" style="text-align: justify;"> </p><p class="" style="text-align: justify;"><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 12pt;"><strong> α. Qui est le <em>Dasein</em> ?</strong></span></p><p class="" style="text-align: justify;"><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 12pt;"> Essayons de creuser. Qui donc est ce <em>Dasein</em> en tant qu’être-au-monde ? S’il est le plus souvent « accaparé par son monde »<span class="">[24]</span>, il est cet être qui dit : « je ». Le <em>Dasein</em> dit : « Je suis », ou encore : « Moi, je ». Or, le « je suis » du <em>Dasein</em> qu’il s’agit d’entendre au sens du « j’existe », pose précisément le problème ontologique de l’ego, ou de sa possible inadéquation à l’ego existant. Et au § 25 de <em>Sein und Zeit</em> Heidegger le répète, si la plupart du temps le <em>Dasein</em> dit « je suis », il n’est presque jamais lui-même. Qui donc est ce « je » qui parle ? « Sans doute le Dasein, sitôt qu’il se parle à lui-même, se dit toujours : je le suis, et finalement ne le dit jamais si fort que lorsqu’il n’est « pas » cet étant. »<span class="">[25]</span> Entendons-le donc ainsi : la question du « moi » de l’ego se pose sous la forme d’une permanence qui demeure malgré les changements. Le <em>Dasein</em> est confronté aux autres, mais en tant que sujet. Or, dans le terme « sujet », on retrouve l’étymologie latine <em>subjectum</em>, désignant ce qui est placé en dessous, ce qui est sous-jacent, et qui subsiste sous les changements. Alors, bien évidemment, on trouve cette idée chez Heidegger, qu’il y a en nous une unité et une permanence. L’identité du sujet, c’est ce qu’il est, et ce qui fait qu’il est et demeure le même. Mais l’identité en dépit de sa situation problématique est celle d’un sujet qui se connaît sans savoir tout de soi, ou tout du moins, en assumant ce qui lui échappe. D’où l’idée, que l’ego doit être interrogé en direction de son sens existential, et en dehors de sa pré-compréhension ontologique. D’où également l’idée, que le monde que je partage avec autrui, c’est-à-dire la « coexistence des autres »<span class="">[26]</span>, ne doit pas occulter une grande question phénoménologique : celle de l’expérience de soi. Nous savons que le monde du <em>Dasein</em>est <em>Miltwelt</em>, c’est-à-dire « monde commun ». Cependant, en posant la question de l’identité du <em>Dasein</em>, nous ne posons pas la question du <em>Dasein</em> avec les autres. Nous nous demandons : qui <em>est</em> ce <em>Dasein</em> au quotidien ? C’est-à-dire que nous introduisons précisément dans notre problématique, celle de la mienneté (§ 25). En d’autres termes, nous nous demandons : qui est le <em>soi</em> plongé en immersion dans le « On » ? Certes, nous savons que vivant en immersion, le <em>Dasein</em> se plie aux comportements, il épouse les vécus de la « multiplicité » ; il n’est donc pas <em>soi</em>, car il s’identifie systématiquement à ce que l’on fait, et à ce que l’on dit. En établissant une herméneutique de soi, Heidegger nous décrit un <em>Dasein</em> pris par la <em>mêmeté </em>(<em>Selbigkeit</em>). Or, parce qu’il ne sait se distinguer du monde ambiant, le <em>Dasein</em> se perd lui-même, vit sur le mode de l’« autre », de la dé-possession de soi<span class="">[27]</span>. « […] la plupart du temps le Dasein <em>n’est pas soi-même</em> », car il partage l’existence avec autrui, il coexiste avec autrui. Il faut prendre acte de l’importance de la notion de <em>Mit-Dasein</em>. De fait, la question « Qui suis-je ? » n’est pas seulement ontologique. Elle est également ontique. Il nous faut alors interpréter l’ipséité « de manière existentiale » (SZ, (117), et ne point céder à la tentation d’analyser le <em>Dasein</em>en le dissolvant dans l’anonymat du monde ambiant ou de l’être-avec (<em>Mitsein</em>). Comment alors caractériser « les autres » ? Heidegger apporte une réponse très intéressante : « […] cela ne désigne pas simplement : tous ceux qui restent en dehors de moi, ce dont s’extrait le je ; les autres, ce sont plutôt ceux dont la plu
Marc Alpozzo
http://marcalpozzo.blogspirit.com/about.html
Sartre ou la liberté angoissante
tag:marcalpozzo.blogspirit.com,2011-09-01:3078895
2011-09-01T12:54:00+02:00
2011-09-01T12:54:00+02:00
La liberté de la conscience pour Sartre , se fond avec son existence....
<p class="" style="text-align: justify;"><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 12pt;"><strong>La liberté de la conscience pour <span style="color: #800000;"><a style="color: #800000;" href="http://marcalpozzo.blogspirit.com/tag/sartre" target="_blank" rel="noopener">Sartre</a></span>, se fond avec son existence. Or, cela veut précisément dire que la conscience en tant que liberté doit être conscience (de) soi comme telle. Elle est même une conscience consciente de sa liberté dans l’angoisse. </strong></span><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 12pt;"><strong>Cette longue étude est parue dans le numéro 16, des <span style="color: #800000;"><em>Carnets de la philosophie</em></span>. Elle est désormais disponible dans l'<span style="color: #800000;"><em>Ouvroir</em></span>.</strong></span></p><p class=""> </p><p><img src="http://marcalpozzo.blogspirit.com/media/02/00/1659183705.jpg" id="media-931717" alt="" /></p><p class="" style="text-align: justify;"><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 12pt;"><strong><em><br /><span style="font-size: 14pt; color: #800000;">Première partie </span></em><span style="font-size: 14pt; color: #800000;"> </span></strong></span></p><p class="" style="text-align: justify;"><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 12pt;"><strong>I. </strong><strong>Les choix angoissés de l’angoisse</strong></span></p><p class="" style="text-align: justify;"><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 12pt;"> <strong>La structure néantisante de la temporalité</strong></span></p><p class="" style="text-align: justify;"><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 12pt;"> <em>Quid</em> de l’angoisse ? Tandis que Heidegger considère l’angoisse comme la saisie du néant de soi, Sartre oppose au philosophe allemand une angoisse qui est angoisse de notre liberté. Parce que « c’est dans l’angoisse que l’homme prend conscience de sa liberté »<span class=""><span class="">[1]</span></span>, cela signifie explicitement que l’homme ne pourrait prendre conscience de sa liberté sans être immédiatement pris d’angoisse. Il n’est pas même excessif d’affirmer que l’angoisse sartrienne <em>est</em> le mode de révélation de notre liberté. Pourquoi ? Parce qu’au moment où je réalise que suis absolument libre, cette prise de conscience subite est aussitôt sujette à une angoisse.</span></p><p class="" style="text-align: justify;"> </p><p class="" style="text-align: justify;"><strong><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 12pt;"><em>L’angoisse et la peur</em></span></strong></p><p class="" style="text-align: justify;"><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 12pt;"> Une angoisse qui, à la manière de Heidegger, ne devra pas être confondue avec la peur. Car la peur est toujours peur devant quelque chose, peur devant n’importe quel étant. L’angoisse étant en revanche angoisse devant soi. Un « soi » sartrien à distinguer toutefois du « soi » heideggérien, en ce sens que l’angoisse est, selon Sartre, une sorte de vertige devant notre liberté essentiellement. Écoutons-le : « Le vertige est angoisse dans la mesure où je redoute non de tomber dans le précipice mais de m’y jeter »<span class=""><span class="">[2]</span></span>. Par exemple, sur le champ de bataille, le soldat a bien sûr peur de la mort. Il a peur d’être tué. Mais cette peur-là n’a pourtant rien à voir avec l’angoisse qui tient le même soldat au moment où il a « peur d’avoir peur », c’est-à-dire qu’il ressent l’angoisse de ne savoir résister à sa peur. À cet instant-là, cette peur précise n’est plus assimilable à toute autre forme de peur d’un événement ou d’un étant extérieur à soi. Cette angoisse que ressent le soldat au moment où la bataille fait rage, est cette angoisse devant lui-même. Vais-je tenir ? Vais-je trouver le courage de continuer ? Vais-je au contraire <em>flancher</em> ? Le soldat fait désormais face à l’angoisse, dans la mesure où il s’est soustrait du déterminisme des choses. N’étant plus agit par celles-ci, donc pris dans leur tourbillon, mais agissant désormais sur elles, il se découvre à présent suspendu au-dessus du vide. Toutes les conduites sont alors possibles, et seul le soldat disposera du choix de décider laquelle adopter. Le voilà faisant connaissance avec sa liberté.</span></p><p class="" style="text-align: justify;"> </p><p class="" style="text-align: justify;"><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 12pt;"> <strong><em>L’homme acteur de sa vie</em></strong></span></p><p class="" style="text-align: justify;"><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 12pt;">Ceci établi, prenons le temps d’une mise au point : l’homme agit. Il est pris dans l’action. Aussi, ne saurait-il se substituer à celle-ci. Néanmoins, cette action n’est déterminée par rien si ce n’est par lui-même. Face à une fonction ou un prix honorifique serais-je désormais à la hauteur d’une mission que l’on va me confier ou d’honorer le prix que l’on m’aura donné ; empruntant un chemin escarpé longeant un profond précipice, vais-je pouvoir éviter le « danger de mort » qui s’ouvre sous mes pieds. Toutes les conduites qui me sont loisibles d’adopter seront justement « <em>mes</em> possibilités » (EN, p. 67). Il ne dépend que de moi de réussir ou d’échouer la mission qui m’a été confiée, de faire attention au précipice ou de m’y jeter. Ni déterminisme, ni cause extérieure ne sauront venir contrecarrer ma liberté. « Le possible que je fais <em>mon</em> possible concret ne peut paraître comme mon possible qu’en s’enlevant sur le fond de l’ensemble des possibles logiques que comporte la situation. Mais ces possibles refusés, à leur tour, n’ont d’autre être que leur « être-tenu », c’est moi qui les maintiens dans l’être et, inversement, leur non-être présent est un « ne pas devoir être tenu »<span class=""><span class="">[3]</span></span>. Certes, en fonction de la difficulté de la tâche qu’il m’aura été confiée, par exemple, ou de l’étroitesse du chemin qui longe le précipice, une certaine conduite m’est imposée, un certain degré de déterminisme pèse sur mon action, mais cela ne saurait être suffisant pour être totalement la <em>cause</em> de mon échec dans ma mission ou de ma chute dans le précipice. Je peux par exemple, avoir <em>horreur</em> du vide, ce qui me rendra très prudent ; je peux également choisir de me jeter dans le vide, c’est-à-dire de me suicider. Cette possibilité toute offerte de mettre <em>librement</em> fin à ma vie, fait le sel de cette existence, lui confère son caractère unique, à la fois capitale et élémentaire, puisque ma liberté inconditionnée me donne la possibilité à chaque instant d’accepter ou de refuser ma situation dans le monde. C’est d’ailleurs la peur de la mort, mon horreur du vide qui crée cette « contre-angoisse ». Tel un garde-fou, cette dernière transmue ma liberté inconditionnée en « indécision ». Mais « l’indécision, à son tour, appelle la décision : on s’éloigne brusquement du bord du précipice et on reprend sa route »<span class=""><span class="">[4]</span></span>.</span></p><p class="" style="text-align: justify;"> </p><p class="" style="text-align: justify;"><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 12pt;"> <strong><em>L’angoisse devant le choix</em></strong></span></p><p class="" style="text-align: justify;"><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 12pt;">Voilà exposé l’objet de mon angoisse : je m’angoisse devant tous les possibles qui s’ouvrent à moi. Car, quoi que j’en dise, il me faudra bien choisir. Or, j’angoisse parce que ma liberté se découvre en moi sur le mode du « n’être pas », c’est-à-dire d’un <em>rien</em> qui vient irrémédiablement s’insinuer entre les motifs et l’acte. Ma conscience n’a pas de motifs en elle puisqu’elle est vide. Aussi va-t-elle les poser, pour ensuite leur donner un sens, c’est-à-dire une signification et une importance. « Ce n’est pas <em>parce que</em> je suis libre que mon acte échappe à la détermination des motifs, mais, au contraire, la structure des motifs comme inefficients est condition de ma liberté »<span class=""><span class="">[5]</span></span>. Mon acte dépend de mon avenir qui ne dépend pas de mon présent. On voit là toute l’importance de la structure néantisante de la temporalité dans le jeu ma liberté. Le choix de ma décision repose entièrement sur mes épaules. C’est <em>moi</em> qui vais choisir. Et je suis seul apte à décider de ce choix. On peut tout autant, comme pour le joueur, être pris d’une « angoisse devant le passé » (EN, p. 69). Aussi, est-ce l’histoire ordinaire du joueur repenti qui a « librement et sincèrement » choisi de ne plus jamais jouer, mais qui, une fois placé devant le tapis vert, ne sait plus tenir ses bonnes résolutions. En lui, se livre alors ce « débat intérieur » sur fond de liberté inconditionnée qu’il s’agit de comprendre sur le mode du « n’être pas ». Hier encore, ce joueur pensait en avoir définitivement fini avec la spirale infernale du jeu. Il croyait sa résolution inébranlable. Mais voilà, dans l’angoisse, il saisit le statut précaire de sa décision, l’illusion de son aspect irréversible. Dans le flux temporel, cette décision est bien la sienne, mais sur le mode de la non-coïncidence. Entre le moi qui a choisi de ne plus jouer la veille, et le moi qui craque aujourd’hui, reprenant ainsi le jeu comme si de rien n’était, il y a ce néant qui s’est logé entre le moi de la veille et le moi présent, le séparant de lui-même, faisant de la décision crue efficace et irréversible, une conquête de chaque instant.<br /><br /></span></p><p class="" style="text-align: justify;"><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 12pt;">Or, si au moment de choisir je suis pris de vertige, c’est justement parce que le moi qui aura choisi ne dépend pas du moi qui est là en train de choisir, ni de celui qui a précédemment choisi. Il y a au milieu la manifestation de la liberté qui s’exprime dans ce rien qui sépare le moi du présent du moi de l’avenir un néant à la manière d’un blanc.<br /><br /></span></p><p class="" style="text-align: justify;"><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 12pt;"> À ses arguments, toutes les objections des détracteurs de la liberté, tenant des conditions déterministes fondées sur les principes psychologiques, sont rejetées par Sartre. Et même si l’angoisse ne saurait être la <em>preuve</em> de la liberté humaine, elle en demeure la condition essentielle, fondée sur le mode nécessaire de l’interrogation. Cette angoisse est celle d’un moi qui n’est jamais au repos. Chaque fois, à chaque instant, il se doit de choisir, et ainsi de se <em>re</em>faire. Cette liberté est permanente, et sans la liberté de ne pas choisir. À la manière d’une condamnation, j’assume cette liberté qui m’est donnée entière et irréversible. Car je vis libre et sans excuse. Voilà d’ailleurs pourquoi « dans l’angoisse la liberté s’angoisse devant elle-même en tant qu’elle n’est jamais sollicitée ni entravée par <em>rien</em>. »<span class=""><span class="">[6]</span></span></span></p><p class="" style="text-align: justify;"> </p><p class="" style="text-align: justify;"><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 12pt;"> <strong>La liberté angoissée devant elle-même</strong></span></p><p class="" style="text-align: justify;"><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 12pt;">L’angoisse sartrienne, à l’instar de l’angoisse heideggérienne, est rare. D’abord parce que l’homme d’action est bien trop affairé quotidiennement pour se préoccuper outre mesure de sa liberté. Il s’agite, s’affaire, se divertit. La vie va vite. Bien sûr, je peux à n’importe quel instant découvrir ma liberté. Au moment où j’allume cette cigarette qui me révèle ma possibilité concrète ou mon désir de fumer, ou lorsque je débouchonne ce stylo et que j’attrape cette feuille blanche qui m’apprend « ma possibilité la plus immédiate » de travailler à cet article. Mais la plupart du temps, je suis en action, et mon action fonctionne sur le mode <em>irréfléchi</em>. Me voilà, dans la majeure partie des cas, et « à chaque instant lancé dans le monde et engagé » (EN, p. 75). Lorsque je réalise mes actes, je les crois et les découvre comme s’ils étaient « des exigences, des urgences, des ustensiles » (EN, p. 74). Je ne me sens pas libre, mais dépendant de leur caractère d’utilité. Je me sens englué, malgré ma volonté, dans le monde de la productivité et des nécessités matérielles. Pourtant, si j’interrompais juste un instant cet empressement aveugle, et que je réfléchissais à ce que je suis en train de faire, je découvrirais alors que je rédige un article, que j’aligne des mots, que je construis des phrases ; qu’à la fois je produis un texte, mais que j’analyse et interprète la philosophie d’un phénoménologue du XX<sup>ème </sup>siècle, que cela me demande un effort de concentration et de créativité, et qu’à tout moment, je puis me sentir épuisé, n’en pouvoir plus, et ainsi abandonner mon entreprise. Cet article est donc de l’ordre de <em>mon</em> possible. Voilà pourquoi il est concrètement une possibilité pour laquelle je peux ressentir de l’angoisse. Car, ma liberté exerçant en permanence son « pouvoir néantisant » peut, à tout instant, me faire lâcher, et je n’aurais aucune certitude à ce propos jusqu’à l’instant définitif, celui où j’aurais écrit en bas de la dernière page du texte, enfin établi, le mot « Fin ».</span></p><p class="" style="text-align: justify;"> </p><p class="" style="text-align: justify;"><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 12pt;"> <strong><em>La possibilité de mon possible</em></strong></span></p><p class="" style="text-align: justify;"><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 12pt;">Mais pour que, soudain, cette idée m’angoisse, il me faut réaliser le néant en tant que possible qui me sépare, à chaque instant, de la réalisation de mon projet final. Or, la plupart du temps, je me réfugie derrière des actes rassurants. Je dois écrire cet article, et saisir le sens de ce devoir qui m’est dicté par les conventions sociales et les nécessités économiques, – donc le monde des besoins. Or, cela est suffisant pour éluder la question réelle, c’est-à-dire celle de ce travail comme étant « <em>ma</em> possibilité ». En d’autres termes, l’échéance posée par le rédacteur en chef de cette revue est largement suffisante pour que, en en saisissant le sens, je sois à ma table de travail en train de rédiger. J’occulte alors toute « possibilité du quiétisme, du refus de travail et finalement du refus du monde et de la mort »<span class=""><span class="">[7]</span></span>. Je me suis prémuni d’avoir à me poser les bonnes questions. Le sens de ce travail philosophique étant garanti par les valeurs communes dans lesquelles je suis engagé avec l’ensemble social. Le sens de mon travail m’étant ainsi donné par ces valeurs, je n’ai pas le sentiment d’avoir à m’interroger à son propos. Je me protège ainsi de « l’intuition angoissante » qui me révèlerait que je suis seul responsable de l’exigence que je m’impose. « Il s’ensuit que ma liberté est l’unique fondement des valeurs et que <em>rien</em>, absolument rien, ne me justifie d’adopter telle ou telle échelle de valeurs. »<span class=""><span class="">[8]</span></span> Il faut néanmoins se garder de croire que la conscience sartrienne chute ainsi dans le On, niant la valeur de sa liberté au profit de valeurs ambiantes. Alors que pour Heidegger le <em>Dasein</em>, plongé en immersion dans la quotidienneté ne peut jamais, sans la crise d’angoisse, s’emparer de lui-même pour se découvrir comme source absolue du sens du monde<span class=""><span class="">[9]</span></span>, la conscience sartrienne sitôt jetée au monde, et immédiatement mise « en situation ». Certes, le monde dans lequel la conscience est jetée est un monde de la préoccupation au même titre que le monde heideggérien, mais dès lors que je quitte un moment l’affairement, c’est-à-dire tous les garde-fous contre l’angoisse, dès lors que je suis, même malgré moi, « renvoyé à moi-même », puisque je suis responsable de moi dans l’avenir, alors tous ces garde-fous placés contre l’angoisse, sont mis en défaut. J’ai beau essayé de renvoyer mes actes aux valeurs communes, rien n’y fera. « J’émerge seul et dans l’angoisse en face du projet unique et premier qui constitue mon être, toutes les barrières, tous les garde-fous s’écroulent, néantisés par la conscience de ma liberté : je n’ai ni ne puis avoir recours à aucune valeur contre le fait que c’est moi qui maintiens à l’être les valeurs ; rien ne peut m’assurer contre moi-même, coupé du monde et de mon essence par ce néant que je <em>suis</em>, j’ai à réaliser le sens du monde et de mon essence : j’en décide, seul, injustifiable et sans excuse. »<span class=""><span class="">[10]</span></span> Le Néant et l’angoisse se situant dans la conscience, c’est-à-dire dans la vie intérieure, il me suffit de me dégager un moment du monde dans lequel je suis engagé pour que soudain, ma conscience prenne conscience de sa liberté. Cette compréhension « pré-ontologique » de mon essence s’oppose à <em>l’esprit de sérieux</em> par lequel la conscience saisit les exigences communes du monde, celles que l’on partage en refusant d’y réfléchir, de crainte d’affronter sa liberté, et de comprendre que ces valeurs procèdent de celle-ci, car seule ma liberté donne du sens au monde. L’angoisse est alors ce par quoi je me saisis comme libre et comme seul auteur du sens que je confère au monde<span class=""><span class="">[11]</span></span>.</span></p><p style="text-align: center;"><img id="media-1071101" style="margin: 0.7em 0;" title="" src="http://marcalpozzo.blogspirit.com/media/00/02/3473576065.jpg" alt="sartre,l'être et le néant" /></p><p style="text-align: center;"><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 10pt;">Jean-Paul Sartre et Cohn-Bendit en 1974 (Photo : Alain Nogues)</span></p><p class="" style="text-align: justify;"> </p><p class="" style="text-align: justify;"><span style="font-size: 14pt; color: #800000;"><strong><em><span style="font-family: georgia, palatino, serif;">2ème partie</span></em></strong></span></p><p class="" style="text-align: justify;"> </p><p class="" style="text-align: justify;"><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 12pt;"><strong>1. </strong><strong>La fuite de la conscience devant l’angoisse</strong></span></p><p class="" style="text-align: justify;"><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 12pt;"><strong><br /></strong><strong>Contingence et possibilités</strong></span></p><p class="" style="text-align: justify;"><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 12pt;">Je peux toutefois résister à « cette saisie réflexive de la liberté par elle-même » (EN, p. 77) et même si, cette défense réflexive contre l’angoisse ne peut en réalité rien contre « l’évidence de la liberté » (EN, p. 78) sartrienne.</span></p><p class="" style="text-align: justify;"> </p><p class="" style="text-align: justify;"><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 12pt;"> <strong><em>Les deux premières fuites</em></strong></span></p><p class="" style="text-align: justify;"><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 12pt;">Il est en réalité à notre
Marc Alpozzo
http://marcalpozzo.blogspirit.com/about.html
Phénoménologie de la mort. Note sur Heidegger
tag:marcalpozzo.blogspirit.com,2011-05-02:3101489
2011-05-02T10:23:00+02:00
2011-05-02T10:23:00+02:00
La mort est probablement l’un des thèmes les plus importants attaché à...
<p style="text-align: justify;"><span style="font-size: 12pt; font-family: georgia, palatino, serif;"><strong>La mort est probablement l’un des thèmes les plus importants attaché à <span style="color: #800000;"><a style="color: #800000;" href="http://marcalpozzo.blogspirit.com/martin-heidegger/" target="_blank" rel="noopener">la philosophie de Heidegger</a></span>. Certes, de nos jours, il n’est guère aisé de traiter du sujet, y compris philosophiquement. D’abord, parce que l’époque, plus qu’aucune autre, semble fuir l’ultime moment, – probablement trop pressée d’occulter ce qu’elle ne maîtrise pas, ou ce qui l’effraye. Est-ce le résultat d’une mort symbolique de Dieu qui, sur le mode prosaïque, n’a autrement engendré qu’une culture de masse fondée sur l’instant présent, et le matérialisme primaire ? Ne voulant donc s’acquitter d’autres valeurs transcendantes, comme la croyance, ou la spiritualité, par exemple, <span style="color: #800000;"><a style="color: #800000;" href="http://marcalpozzo.blogspirit.com/archive/2018/04/12/la-mort-de-vladimir-jankelevitch-3103070.html" target="_blank" rel="noopener">le sujet de la mort</a></span> est traité tel un sujet tabou dans <span style="color: #800000;"><a style="color: #800000;" href="http://marcalpozzo.blogspirit.com/archive/2020/07/30/la-societe-occidental-face-au-deuil-3152611.html" target="_blank" rel="noopener">notre société contemporaine</a></span>. Mais plus délicat encore, personne n’étant revenu de la mort, il est très difficile d’espérer parler, avec le minimum d’objectivité requis, d’un mystère aussi bien gardé. Cette longue étude est parue dans le numéro 14, des <span style="color: #800000;"><em>Carnets de la philosophie</em></span>, d'octobre 2010. Elle est désormais disponible dans l'<span style="color: #800000;"><em>Ouvroir</em></span>.</strong></span></p><p><img src="http://marcalpozzo.blogspirit.com/media/02/01/3091493260.jpg" id="media-983170" alt="" /></p><p class="" style="text-align: justify;"> </p><p class="" style="text-align: justify;"><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 12pt;"><strong>1. La mort du <em>Dasein </em>: l’être-là <em>pour</em> sa fin</strong></span></p><p class="" style="text-align: justify;"><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 12pt;"><strong> </strong></span></p><p class="" style="text-align: justify;"><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 12pt;"><strong>L’expérience de la mort</strong></span></p><p class="" style="text-align: justify;"><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 12pt;">Heidegger part d’un constat simple : <span style="color: #800000;"><a style="color: #800000;" href="http://marcalpozzo.blogspirit.com/archive/2011/01/07/la-nuit-de-l-angoisse-note-sur-heidegger.html" target="_blank" rel="noopener">le <em>Dasein</em> est hanté par sa fin</a></span>. Or, qu’est-ce que mourir si ce n’est perdre le monde ? Qu’est-ce que mourir si ce n’est disparaître du monde, c’est-à-dire faire une non-expérience de notre disparition ? La mort est un départ. Elle est conçue comme <em>fin</em> de l’être-au-monde, c’est-à-dire comme anéantissement. Mais la mort à ceci de particulier qu’elle se trouve être la seule expérience que le <em>Dasein</em> ne peut expérimenter. En paraphrasant la pensée antique, j’expliciterais cette idée ainsi : tant que nous sommes, la mort n’est pas ; à l’instant où la mort sera, nous ne serons plus. Donc, notre mort n’est rien pour nous. Voici une réflexion qu’il nous faudrait défaire de toute forme morale. Notre propre mort ne peut être une expérience pour nous. En revanche, elle peut être une expérience pour autrui, de la même manière que la mort d’autrui peut être une expérience pour nous. Voilà d’ailleurs la seule « donation objective » que je puis avoir de la mort, c’est-à-dire de ma mort à venir. Je peux constater le décès d’autrui.<br /><br /></span></p><p class="" style="text-align: justify;"><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 12pt;">« Dans le mourir des autres peut être expérimenté le remarquable phénomène d’être qui se laisse déterminer comme virage d’un étant du mode d’être du <em>Dasein</em> (ou de la vie) au ne-plus-être-Là. La fin de l’étant comme un <em>Dasein</em> est le commencement de cet étant comme sous-la-main. »<a href="https://l.facebook.com/l.php?u=http%3A%2F%2Fwww.blogspirit.com%2Fadmin%2Fposts%2F%23_ftn1&h=ATP2ChDEdShglGraKsH82xD_-9q42b_BItALZ0ohCHXO15kh9rJy3x2M1D4mGrgQwXsnL5j0BgliyCTMwlmzKy9zZLDzwvu0Ji06MWe3HsI-l7Dfk8pp-2B57bVDA8EC2CFhoJRAlitAQdOdAnQ" target="_blank" rel="nofollow noopener noreferrer" data-lynx-mode="asynclazy"><span class="">[1]</span></a> Jusqu’ici je fréquentais autrui. Par exemple, un parent, un ami ou un inconnu. J’avais affaire à une humeur, une affectivité, une intelligence, une sensibilité. Autrui occupait le monde, non comme un étant qui est, mais comme un étant qui existe. A présent, la mort l’ayant emporté, je me retrouve là, face à un corps qui, soudain, par la disparition de ce souffle de vie, s’est subitement transformé en une chose inerte, un objet. En partant, autrui nous laisse faire l’expérience cruciale du passage de l’être-là au ne plus être-là. Bien sûr, une fois qu’autrui sera mort, il ne s’agira pas de confondre son corps avec ce stylo, ou cet ordinateur. D’abord, parce que le cadavre pourrait faire par exemple, l’objet d’une autopsie, parce qu’il sera également considéré, sur son lit mortuaire, comme un trépassé, un « défunt », – c’est ainsi que le langage ordinaire l’appelle –, et non comme un mort au sens d’un simple objet inerte à présent – d’où les rituels funéraires, etc.<br /><br /></span></p><p class="" style="text-align: justify;"><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 12pt;">Néanmoins, évitons de penser que cette mort pourrait être forcément une forme de révélation subite de ma propre mort à venir. Je n’aurais pas nécessairement à me confronter à ce problème de <em>ma</em> mort comme perte du monde. Car le cadavre sera l’objet de toutes les attentions, au sens de la préoccupation. À savoir, tout cet ensemble de règles, de mythes, de codes, de repères, de rites et de rituels servant à distinguer le corps inerte d’un ustensile ordinaire. Sans ce tiers symbolique, le corps glisserait en effet du côté de la chose, de la chair, de l’objet familier. La mort d’autrui est bien sûr « éprouvée » comme une perte d’autrui. Autrui ayant disparu dans la mort, nous sommes à présent des <em>survivants</em>. Certes, nous avons probablement accompagné autrui dans sa propre mort, nous l’avons probablement veillé jusqu’au dernier souffle. Certes, nous l’avons vu mourir. Mais nous n’avons point expérimenté sa mort. Et moins encore fait l’expérience de notre propre mort. Il va sans dire, que nous savons combien la mort d’autrui, probablement même le décès d’un membre de la famille, peut revêtir le caractère formel d’une disparition à laquelle nous ne comprenons rien, atténués que nous sommes dans la douleur du deuil. Rappelons-nous l’exemple du personnage de Meursault, parlant de sa mère à peine éteinte : « Aujourd’hui, maman est morte. Ou peut-être hier, je ne sais pas. J’ai reçu un télégramme de l’asile : « Mère décédée. Enterrement demain. Sentiments distingués. » Cela ne veut rien dire. C’était peut-être hier. […] Pour le moment, c’est un peu comme si maman n’était pas morte. Après l’enterrement, au contraire, ce sera une affaire classée et tout aura revêtu une allure plus officielle. »<a href="https://l.facebook.com/l.php?u=http%3A%2F%2Fwww.blogspirit.com%2Fadmin%2Fposts%2F%23_ftn2&h=ATN-3VbTVATpnqfHoxIjV0atGVVglbUspnM4qn-K6jI8jW1sRyZ9oWJbgmhegZ1AtL-HcWLDHqEW3yNs9Zv7yklzHblZF5Mhx2GmDrUdPdub5qwE7qWIj5RVavREYUKnpqON24I5TPp_eBTlVdA" target="_blank" rel="nofollow noopener noreferrer" data-lynx-mode="asynclazy"><span class="">[2]</span></a><br /><br /></span></p><p class="" style="text-align: justify;"><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 12pt;">Certes, les vivants (<em>survivants</em>) considèrent cette perte, mais comme perte d’autrui, et non comme perte d’être. Voici ce qui est précisément subtile dans l’analyse de Heidegger. Voilà ce qu’il nous faut précisément retenir. À savoir, que la mort d’autrui n’est pas pour nous un accès à la perte d’être que ce <em>Dasein</em> vient de subir. Bien sûr, on ressent la perte. Mais cette perte est éprouvée sur le mode de la survivance. Pour distinguer notre propre mort de celle d’autrui, Heidegger parle alors de « thème de substitution » (SZ, 239). L’identification de la mort d’autrui au non-être est alors impossible. Probablement est-ce à cause de l’aspect scandaleux que représente la mort à nos yeux : les <em>sur</em>vivants se réfugiant alors dans toutes sortes de croyances conservant le défunt, sous forme d’âme ou d’esprit, à leurs côtés. Le mouvement d’anéantissement a ainsi été paralysé par l’idée que ce dernier perdure en la mémoire des vivants. « Au nombre des possibilités de l’Être-ensemble dans le monde se trouve incontestablement la <em>représentabilité</em> d’un <em>Dasein</em> par un autre. Dans la quotidienneté de la préoccupation, il est fait un usage multiple et constant d’une telle représentabilité. »<a href="https://l.facebook.com/l.php?u=http%3A%2F%2Fwww.blogspirit.com%2Fadmin%2Fposts%2F%23_ftn3&h=ATOdfjLG2fHfz5jdfgCGQB9PAsmbHr5Pnylb43PJvzE-IiIqmgxfyknU5k2__XJFP3NGsHbC8A_OlnV9CVOtPM1Tc65qUL-pZFwEpim2OjbLelH9q-Mp5iQA2IuEZh9TqZIf7KpFTwaKdBMmj4s" target="_blank" rel="nofollow noopener noreferrer" data-lynx-mode="asynclazy"><span class="">[3]</span></a> Ainsi, par exemple à une rétrospective autour de l’œuvre de Picasso, sera reçu à la soirée officielle, l’un des enfants de l’artiste aujourd’hui disparu, d’abord comme le représentant de son père ; très rapidement pourtant, et sur le mode symbolique bien sûr, les invités y verront la continuité de ce <em>Dasein</em> en un <em>Dasein</em> qui lui est le plus proche. La préoccupation aura ainsi reconquis ce territoire que le voile de la mort avait jusque-là recouvert à peine un instant plus tôt. D’autant que, dans le monde de la préoccupation, l’être est assimilé au faire. Je suis par exemple ma profession, dit Heidegger. Il ne s’agit bien sûr pas de comprendre cette idée comme une alternative entre être et avoir, mais comme la continuité logique entre un homme et un autre homme dans sa fonction sociale. Souvent, on croise au hasard des rues, l’enseigne d’un commerçant exprimant ainsi la filiation de l’entreprise : « <em>De père en fils</em> ». C’est une manière de conjurer la mort. Espérant la tenir ainsi en échec, on fonde l’être dans la continuité sociale. « <em>Ici</em> un Dasein peut et doit même, dans certaines limites, « <em>être</em> » l’autre. »<a href="https://l.facebook.com/l.php?u=http%3A%2F%2Fwww.blogspirit.com%2Fadmin%2Fposts%2F%23_ftn4&h=ATMA-SXyrJ5FGoESQk7-Dh9Uon_nV03teGhQAE1v-xSVYbDl-t1Ossz0Xtl3rHpZEjBb3QaXu29yCMRSMV7UYOCrjz6vKZZgaor4ow-j_WxPe7VV6w0M4Jdrbjo_1VxTw4ZUd_ujg10AJtSh99c" target="_blank" rel="nofollow noopener noreferrer" data-lynx-mode="asynclazy"><span class="">[4]</span></a><br /><br /></span></p><p class="" style="text-align: justify;"><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 12pt;">Il ne s’agit évidemment pas de dire qu’un homme peut mourir à la place de l’autre. Bien entendu, nous pouvons échanger nos vies, à la guerre par exemple. Mais nous ne pourrons jamais nous substituer à autrui dans sa propre mort.</span></p><p style="text-align: center;"><img id="media-1071174" style="margin: 0.7em 0;" title="" src="http://marcalpozzo.blogspirit.com/media/01/01/2025802842.jpg" alt="heidegger,daseinsein und zeit,françois vézin,emmanuel martineau,albert camus,léon tolstoï,michel-r. hofmann,jean greisch" /></p><p style="text-align: center;"><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 10pt;">Le philosophe Martin Heidegger dans le magazine <em>Spiegel</em>, </span><br /><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 10pt;">interview de Rudolf Augstein, 1966.</span><br /><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 10pt;">(Photographie,Digne Meller-Marcovicz)<br /><br /><br /></span></p><p class="" style="text-align: justify;"><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 12pt;"><strong>La fin attend le Dasein</strong></span></p><p class="" style="text-align: justify;"><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 12pt;">Le <em>Dasein</em> est ainsi en sursis. C’est-à-dire que la mort étant un phénomène existential, la finitude est la condition <em>sine qua non</em> de notre existence. La mort est ce qui va arrêter notre vie à un temps « T ». Rappelons-nous le héros de Tolstoï, Ivan Illitch se lamentant, en sentant la mort roder : « – <em>C’est stupide. Pourquoi suis-je triste ? De quoi ai-je peur ? – De moi, me répondit la voix de la Mort. Je suis là. </em></span><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 12pt;"><em>Un frisson glacé me parcourut la peau. Oui la mort. Elle viendra, elle est déjà là et pourtant elle n’a rien à faire près de moi. Tout mon être éprouvait le besoin de vivre, le droit de vivre et en même temps le travail de la mort. Et ce déchirement intérieur était horrible.</em> »<a href="https://l.facebook.com/l.php?u=http%3A%2F%2Fwww.blogspirit.com%2Fadmin%2Fposts%2F%23_ftn5&h=ATMsuo2JIA7ggVStqsUKXt9etVxoRZMuJ0zaWUdcd_Mzw-0ThkuWwhVJQINhfYw2simlN5UBGx_13jmLQ7eIXWLCG9nd5QHZAPhx_g6Sz-yZJ18ignDRzzKx6ghB8i7XRiJSclJAROP07LCSZDg" target="_blank" rel="nofollow noopener noreferrer" data-lynx-mode="asynclazy"><span class="">[5]</span></a><br /><br /></span></p><p class="" style="text-align: justify;"><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 12pt;">Or, de quoi se lamente précisément ici le héros de Tolstoï ? Il se lamente d’une fin qui s’exprime sur le mode du départ sans retour. Mais également d’une fin, au titre d’un anéantissement, laissant un arrière-goût d’inachevé. C’est-à-dire d’une cruelle absence de <em>réponse</em> au sens de la vie d’un homme, anéantit trop tôt. D’ailleurs, n’est-il pas toujours trop tôt pour mourir ? Bien sûr, la mort d’un homme ne doit être confondue avec la destruction d’un objet inanimé, ou d’un quelconque être vivant. Essayons de comprendre Heidegger. Lorsqu’il utilise la métaphore de la lune ou du fruit, il entend souligner les vraies différences avec la vie d’un homme. La lune, qu’elle soit réduite par l’ombre qui la recouvre, est toujours tout entière. Un fruit peut bien ne point être mûr, il va toutefois « à la rencontre de sa maturité » (trad. F. Vezin). Mais un homme peut être inachevé, cela ne l’empêche point de finir. Ne disons-nous pas qu’un nourrisson à sa naissance est suffisamment vieux pour mourir ? Dans la destruction d’un étant quelconque, les matériaux subsistent à la destruction ; dans la destruction elle-même, se place un avant et un après, c’est-à-dire que la ligne du temps perdure après la destruction, et les matériaux s’inscrivent toujours dans le même apparaître, le même monde. Or, « <em>La mort comme fin du Dasein ne saurait se laisser caractériser adéquatement par aucun de ces modes du finir</em>. Si le mourir comme être-à-la-fin était compris au sens d’un finir du type qu’on vient de discuter, le <em>Dasein</em> serait posé du même coup comme sous-la-main ou à-portée-de-la-main. Mais dans la mort, le <em>Dasein</em> n’est ni accompli, ni simplement disparu, ni même devenu achevé ou totalement disponible en tant qu’à-portée-de-la-main. »<a href="https://l.facebook.com/l.php?u=http%3A%2F%2Fwww.blogspirit.com%2Fadmin%2Fposts%2F%23_ftn6&h=ATONLEmKvsjFZbBMB9X1WMKMh6kp6UZsndqzbSh7A7wpx1Z8ncirwPpr_5vTi7Go2AKz6sJyyam2HwyDEUhz674uNQiXZtxu_rKvvrk0sdjXUc0DNrVmqYl7_zxIEBcvljfJ1hV49f2Bce8SpDs" target="_blank" rel="nofollow noopener noreferrer" data-lynx-mode="asynclazy"><span class="">[6]</span></a> La mort n’est ainsi pas un être à-la-fin, mais un être pour la fin, c’est-à-dire que la mort est en direction de la fin, vers la fin (<em>Sein zum Ende</em>). La mort du <em>Dasein</em> se présente comme une interrogation. Se peut-il qu’il soit mort ? Probablement ce défunt avait-il des projets, des désirs encore non réalisés. Probablement était-il encore jeune. De fait, quel sens pourrons-nous désormais donner à cette mort, à cet inachèvement ? Et comme assumer la non-réponse ?</span></p><p class="" style="text-align: justify;"><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 12pt;"> </span></p><p class="" style="text-align: justify;"><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 12pt;"><strong>2. L’analyse ontologique de la mort</strong></span></p><p class="" style="text-align: justify;"><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 12pt;">Avant même de traiter ontologiquement de la mort, il fallait pour Heidegger dire que la mort est programmée en tout être vivant, voire même en tout étant quelle qu’en soit la nature, en ce monde. Et si l’interprétation ontologique heideggérienne vise spécifiquement le <em>Dasein</em> lui-même, c’est parce que la mort, le <em>trépas</em>, au-delà d’une analyse purement biologique et médicale, ne peut être simplement interprétée au sens du « mourir » qui, sur le plan existential, n’est en aucun point synonyme de « décéder ». Si l’on peut parler de fin de la vie pour une mouche ou une étoile par exemple, difficile en revanche d’utiliser une terminologie similaire pour exprimer la mort du <em>Dasein</em>. Périr (<em>veranden</em>) étant le fait du vivant, décéder (<em>ableden</em>) ne peut être que l’<em>existus</em> du Dasein dans le mourir (<em>sterben</em>) qui est le mode d’être en lequel le <em>Dasein</em> est pour sa mort.</span></p><p class="" style="text-align: justify;"><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 12pt;">Aussi, l’analyse ontologique à laquelle Heidegger se livre, ne prétend point embrasser toutes les thèses religieuses ou superstitieuses, qu’elles soient croyantes ou animistes, portant sur la perpétuation de l’âme au-delà du corps. La méthode philosophique, ayant pour vocation de dire ce qu’est le réel, ne dispose pas de moyens suffisamment efficaces et fiables pour livrer une analyse objective à ce sujet. Il s’agit donc de conserver notre analyse existentiale de la mort, au niveau de l’analyse ontologique.<br /><br /></span></p><p class="" style="text-align: justify;"><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 12pt;">Il s’agit également de comprendre que l’être-pour-la-mort existe dans un rapport à la fin. Il ne faudrait céder à la métaphysique qui voit en la mort, un aspect majeur du Mal en ce monde. Il s’agit de s’en tenir à un rapport du <em>Dasein</em> à la mort à partir du souci, c’est-à-dire comme être possible, être jeté, être déchéant.</span></p><p class="" style="text-align: justify;"><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 12pt;"> </span></p><p class="" style="text-align: justify;"><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 12pt;">Aussi, avoir à être, qu’est-ce pour Heidegger, si ce n’est avoir à mourir ? Durant toute notre existence, nous vivons dans l’attente de la mort. Car la mort nous attend. Non comme un événement anodin bien entendu, mais comme l’événement qui n’a certes pas encore eu lieu, mais qui est programmé, dès le commencement de la vie, pour chacun d’entre nous. Considérons donc que la mort est un mode d’être. Aussi est-ce sur ce mode d’être que surgit le « pas-encore ». Ça n’est pas encore la fin. Mais elle est là, inscrite en nous, et tôt ou tard, il n’y aura pas moyen de l’esquiver. C’est ainsi que le dit Heidegger, lorsqu’il écrit : « La fin attend le Dasein, elle le guette. »<a href="https://l.facebook.com/l.php?u=http%3A%2F%2Fwww.blogspirit.com%2Fadmin%2Fposts%2F%23_ftn1&h=ATPS8ZZn2PtqKvvL36ioDHz-M5GR5HswZr-S7HfHmBPmb5mBQQ_PYNsGuiEH8xDitW8i2xPfus90UK_leg6KWNlIpm2V7Xsbq8PX7-aXh_hQy590hhKzQUQtFyEXwA6hAFMVUraLGpzkvw9tCN0" target="_blank" rel="nofollow noopener noreferrer" data-lynx-mode="asynclazy"><span class="">[1]</span></a> Concrètement, si le phénomène de la mort est en l’homme, cela signifie que la menace de la mort peut à tout moment de notre vie se réaliser, se transformer en une fin abrupte et bien réelle. Il parait clair, qu’<span style="color: #800000;"><a style="color: #800000;" href="http://marcalpozzo.blogspirit.com/archive/2020/06/05/sartre-ou-heidegger-philosophie-de-l-angoisse
Marc Alpozzo
http://marcalpozzo.blogspirit.com/about.html
La nuit de l'angoisse. Note sur Heidegger
tag:marcalpozzo.blogspirit.com,2011-03-07:2060877
2011-03-07T06:28:00+01:00
2011-03-07T06:28:00+01:00
À la différence de Sartre , Heidegger ne dramatise pas...
<p style="text-align: justify;"> <span style="font-size: 12pt; font-family: georgia, palatino, serif;"><strong>À la différence de <span style="color: #800000;"><a style="color: #800000;" href="http://marcalpozzo.blogspirit.com/tag/sartre" target="_blank" rel="noopener">Sartre</a></span>, <span style="color: #800000;"><a style="color: #800000;" href="http://marcalpozzo.blogspirit.com/martin-heidegger/" target="_blank" rel="noopener">Heidegger</a></span> ne dramatise pas l'angoisse, mais en fait une notion centrale et essentielle de son grand oeuvre. Cette longue étude est parue dans le numéro 15, des <span style="color: #800000;"><em>Carnets de la philosophie</em></span>, en janvier 2011. Elle est désormais disponible dans l'<span style="color: #800000;"><em>Ouvroir</em></span>.</strong></span></p><p><img src="http://marcalpozzo.blogspirit.com/media/00/02/3783281822.jpg" id="media-872310" alt="" /></p><p style="text-align: center;"> </p><p style="text-align: right;" align="right"><strong><span style="font-size: 10pt; font-family: georgia, palatino, serif;">« <em>Mon univers : mat. Rien n’y résonne vraiment – rien n’y cristalise</em>. »</span></strong></p><p style="text-align: right;" align="right"><strong><span style="font-size: 10pt; font-family: georgia, palatino, serif;">Roland Barthes, <em>Journal de deuil</em>.</span></strong></p><p style="text-align: justify;" align="center"><span style="font-size: 12pt; font-family: georgia, palatino, serif;"><strong> </strong></span></p><p style="text-align: justify;"><span style="font-size: 12pt; font-family: georgia, palatino, serif;"><strong> </strong></span></p><ol style="text-align: justify;"><li><span style="font-size: 12pt; font-family: georgia, palatino, serif;"><strong>Le phénomène de l’angoisse ou la mise entre parenthèses du « monde »</strong></span></li></ol><p style="text-align: justify;"><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 12pt;"> </span></p><p style="text-align: justify;"><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 12pt;">L’angoisse dans la philosophie de Heidegger a un statut spécifique<a href="#_ftn1" name="_ftnref1">[1]</a>. En tant qu’affection insigne, elle amène l’homme à s’arrêter dans sa fuite, et à se retrouver lui-même, ou plus précisément selon les mots de Heidegger, le <em>Dasein</em> est « transporté par son propre être devant lui-même »<a href="#_ftn2" name="_ftnref2">[2]</a>. Jusqu’ici, le <em>Dasein</em> s’était librement et sans trop de déplaisir, livré aux vapeurs du On. Il s’était identifié à cet On épousant les mouvements du monde de la préoccupation sans trop chercher à s’autodéterminer. Cette fuite, qui était la sienne, n’avait d’ailleurs pas pour vocation de se trouver, mais bien plutôt de se perdre. Or, se fuir soi-même, cela veut surtout dire tenter de fuir ses possibilités les plus propres. C’est une manière de refouler en soi le soi, et ça n’est nulle part ailleurs que dans cette fuite que le <em>Dasein</em> se prive d’une ouverture à son être. Autrement dit, la fuite n’étant que fuite de son propre soi, au moment où il fuit, le <em>Dasein</em> s’emmène avec lui-même, car il est ontologiquement fondé à se découvrir, contenant en soi la possibilité de mise en lumière de la totalité de l’être, et ne pouvant trouver ailleurs qu’en lui-même une ouverture à cette totalité. Or, dans sa fuite, il n’est pas possible pour le <em>Dasein</em> de s’auto-analyser, puisque toute l’introspection à laquelle il pourrait avoir recours ne serait qu’artificielle.</span></p><p style="text-align: justify;"><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 12pt;"> </span></p><p style="text-align: justify;"><span style="font-size: 12pt; font-family: georgia, palatino, serif;"><strong>La peur</strong></span></p><p style="text-align: justify;"><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 12pt;"> Méthodologiquement, l’ouverture à la totalité de l’être requiert l’angoisse. Aussi, ne faut-il pas confondre l’angoisse comme affection fondamentale (<em>Grundbefindlichkeit</em>), – où l’on retrouve immédiatement cette idée d’<em>insigne</em> affection, – avec tous les autres affects (peur, ennui, etc.)</span></p><p style="text-align: justify;"><span style="font-size: 12pt; font-family: georgia, palatino, serif;">Car à la différence de la peur (<em>Furcht</em>) l’affect voisin, et dont la « relation ontologique » avec l’angoisse est fondamentale, l’angoisse est angoisse devant quelque chose d’indéterminée. Lorsque, pour clarifier la structure ontologique de l’angoisse, Heidegger analyse l’affect de la peur (§ 30) il le présente sous trois angles : ce qui fait peur, l’avoir-peur et le pour-quoi de la peur. Le <em>Devant-quoi</em> de la peur est le « redoutable » ce qui n’est pas encore déterminé, mais qui avance et que l’on ne peut encore maîtriser. « Ça fait peur » disons-nous, car ce qui est redouté semble être clairement évitable. L’<em>avoir-peur</em> est ce moment où l’on se sent concerné par ce qui est menaçant. On peut avoir peur pour soi ou pour l’autre. Le <em>Pour-quoi de la peur</em> caractérise le moment où l’étant est en proie à la peur, isolé, sans recours, mis à nu face à ce qui le préoccupe. Or, si l’angoisse est radicalement <em>autre</em>, c’est parce qu’elle est une « disposition affective » qui, à la différence de la peur, surgit devant quelque chose d’indéterminée. L’angoisse ne sait pas de quoi elle angoisse. Tandis que si j’ai peur, j’ai nécessairement peur <em>de quelque chose</em>. Par exemple, je peux avoir peur de la mort, je peux avoir peur de la maladie, je peux avoir peur de perdre mon emploi. La peur est donc un affect qui surgit devant quelque chose de déterminé. Lorsque j’ai peur, j’ai peur de quelque chose de <em>menaçant</em> qui vient d’une direction déterminée, et met en péril quelque chose de déterminée. En revanche, lorsque j’angoisse, je redoute une <em>inconnue</em> venant de partout et de nulle part. Si la peur, dans son état de peur, me révèle ce qui la provoque, l’angoisse ne me révèle rien. Je reste prostré avec mon angoisse. Devant ma peur, je suis certes seul, mais autrui peut me venir en aide. Dans l’angoisse, je ne suis pas seulement seul, je suis très précisément <em>isolé</em>.</span></p><p style="text-align: justify;"><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 12pt;"> </span></p><p style="text-align: justify;"><span style="font-size: 12pt; font-family: georgia, palatino, serif;"><strong>L’ébranlement</strong></span></p><p style="text-align: justify;"><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 12pt;">Le <em>Dasein</em> en proie à l’angoisse ressent en premier lieu un ébranlement. D’abord, parce que l’angoisse, à l’inverse de la peur, ne donne plus lieu à une telle « déroute ». Ensuite, parce que l’angoisse n’a pas d’objet. Jusqu’ici, je pouvais craindre pour mon travail, ma réputation, ma vie même. Sur le quai d’une gare par exemple, je ne franchissais pas la ligne blanche marquée au sol, de peur d’être percuté par un train. À présent, la crise d’angoisse a rendu toutes ces peurs vaines. Ce qui est « à-portée-de-la-main, et sous-la-main, à l’intérieur du monde, ne fonctionne, comme ce devant-quoi l’angoisse s’angoisse. »<a href="#_ftn3" name="_ftnref3">[3]</a> Aucun objet intra-mondain n’a le pouvoir de déclencher l’angoisse ; aucun objet intra-mondain n’a non plus le pouvoir de l’apaiser. Avec l’angoisse, l’horizon qui était le mien s’effondre. Je n’ai plus de lointain. Je n’ai plus de ciel, plus de sol, le paysage s’est écroulé devant mes yeux comme un décor de cinéma. Les repères spatiaux sont brouillés. Je n’ai plus de frontières, plus de distances. Ni « ici » ni « Là-bas ». Le monde ambiant, la préoccupation devenant, soudain une symphonie égarée, un vacarme silencieux. Voilà pourquoi la menace qui pèse sur moi n’est plus localisable. Je ne sais pas où elle est, car je ne sais plus où je suis. Soudain, avec l’angoisse, le monde ne me parle plus. Il n’a plus de « significativité ». L’effondrement dans l’angoisse de tout l’étant disponible, la crise d’angoisse ouvre sur le « rien et le nulle part » (SZ, 187, trad. Martineau).</span></p><p style="text-align: justify;"><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 12pt;"> </span></p><p style="text-align: justify;"><span style="font-size: 12pt; font-family: georgia, palatino, serif;"><strong>L’expérience de la rupture et de la désolation</strong></span></p><p style="text-align: justify;"><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 12pt;">On pourrait alors parler d’expérience de l’« arrachement » et de la « rupture ». De quoi m’angoisse-je, si ce n’est du recul même des étants, de l’indifférenciation dans laquelle s’engouffrent ces étants ; ce qui m’angoisse, c’est le retrait, l’absence, le Rien de l’étant. Ce qui m’angoisse, c’est cette angoisse <em>du </em>Rien qui, une fois l’angoisse <em>calmée</em>, fait dire au « parler quotidien » : « Au fond ce n’était rien. » Parce que ce qui est apparu là, et qui se signale dans le « parler quotidien » par ce qui n’est pas utilisable à l’intérieur du monde, est de fait le Rien en personne. Mais le parler quotidien n’emploie pas le terme « Rien » dans un sens juste. Lorsque mes amis viennent me dire, pour me rassurer, « ce n’était rien », ils emploient ce terme dans le sens de l’ustensile, de l’«utilisabilité »<a href="#_ftn4" name="_ftnref4">[4]</a>, ce qui veut ici dire que le Rien est là employé pour dire quelque chose. Bien sûr, l’angoisse a certes mis en suspens le « monde » ; il ne l’a néanmoins pas effacé. Pourquoi alors ne puis-je dire à mon tour : « Ce n’était rien » ? Parce que jusqu’ici, le monde et le soi entretenaient un rapport mutuel.</span></p><p style="text-align: justify;"><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 12pt;">Les étants, dans un rapport de « renvoi », étaient fondés sur quelque chose dans le monde. A présent, l’ébranlement ressenti dans l’angoisse a remis en question cet ordre établi, et le <em>Dasein</em>, ouvert « originairement », a été mis, dans l’angoisse, « directement » face au monde même. C’est-à-dire à son indétermination et son insignifiance. Le <em>Dasein</em> perd alors le sens du monde ambiant. Cessant d’être simplement une « angoisse devant », l’angoisse est également à présent une « angoisse pour ». L’angoisse ayant désormais atteint les racines de l’être, le monde, c’est-à-dire la préoccupation, mais également mes activités quotidiennes qui ne me parlent plus. Le malaise me gagnant à présent dans l’angoisse, fait imploser la parfaite tranquillité de mes habitudes, rend mes activités ordinaires insignifiantes, répudie le On. Tout ce qui faisait jusqu’ici sens, dans la « vie quotidienne », s’est soudain évanoui, brisé dans cette « nuit » de l’angoisse à l’intérieur du monde, et dans une sorte de <em>non-significativité</em>, c’est-à-dire d’<em>inimportance</em> générale. Certes, les étants, pour leur part, continuent bien leurs connexions mutuelles, mais dans l’expérience de l’angoisse, – cette expérience de la rupture –, les étants cessent de s’imposer au <em>Dasein</em>, et ainsi s’effondrent. Je fais alors l’expérience de la désolation. C’est-à-dire, que non préparé à cette expérience, la terre désertique et le flot d’abattements auxquels elle laisse place me donnent encore moins la possibilité de l’analyser. Je suis ébranlé, parce qu’au moment où, dans l’angoisse, je découvre « que cela ne va plus de soi », par exemple que la vie que je mène n’est pas une vie, parce qu’elle ne fait soudain plus sens, qu’elle ne représente plus qu’une fuite ou une évasion, avant d’être un pouvoir « révélant » ou « découvrant », ce que je perçois maintenant, grâce à l’angoisse elle-même, c’est mon impuissance à continuer d’affronter la vie que je mène : « Je suis à bout ». Le tourment qui se manifeste alors, est le propre de l’épreuve de l’effondrement de tous les signifiants, qui représentaient l’armature de mon existence, les faisceaux du sens. À présent, « <em>Le « monde » ne peut plus rien </em>offrir, et tout aussi peut être l’être-là d’autrui »<a href="#_ftn5" name="_ftnref5">[5]</a>.</span></p><p style="text-align: justify;"><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 12pt;"> </span></p><p style="text-align: justify;"><span style="font-size: 12pt; font-family: georgia, palatino, serif;"><strong>Le Dasein dépouillé </strong></span></p><p style="text-align: justify;"><span style="font-size: 12pt; font-family: georgia, palatino, serif;"> Nous voilà désormais introduit au second trait de l’angoisse : transporté au-devant de lui-même, le <em>Dasein</em> est dépouillé, il ne parvient plus à trouver sa place dans le monde avec « l’être-là d’autrui » (<em>das Mitdasein Anderer</em>). Le « je » qu’il fut jusqu’ici n’a plus de consistance, c’est-à-dire qu’il ne sait plus se saisir à partir de la publicité du On. Le <em>Dasein</em> est désormais « isolé ». Il est seul au milieu d’un monde qui s’est effondré et qui, désormais, ne lui offre plus aucun refuge, plus aucun sens. On peut ainsi comprendre que rien d’intra-mondain ne m’apparait comme objet de mon angoisse, et qu’ainsi, je suis singularisé par l’angoisse, parce que j’ai perdu le chemin. Le monde encombré mais néanmoins rassurant de la préoccupation quotidienne s’est soudain défait sous mon regard, et le On auquel je pouvais jusqu’ici m’identifier ne peut soudain plus rien pour moi. Dans mon errance, je ne peux pas non plus me raccrocher à la menace qui est, elle-même, indéterminée. Or, si l’angoisse <em>isole</em><a href="#_ftn6" name="_ftnref6">[6]</a> le <em>Dasein</em> du reste du monde, c’est parce qu’il se voit soudain jeté <em>hors de son sort</em>, hors-de-chez-soi. Le <em>Dasein</em> est à présent atteint de <em>solipsisme existential</em>. Dans cet état, le menaçant, ne se trouve, ni « ne vient de » nulle part, n’est pas « localisable »<a href="#_ftn7" name="_ftnref7">[7].</a> Je suis singularisé, isolé, au sens où ça n’est ni toi, ni moi, ni on, c’est un je que j’ignorais jusque-là. Véritable mise en suspension du « monde », c’est avec l’angoisse que l’on trouve la véritable <em>épokhé</em> heideggérienne<a href="#_ftn8" name="_ftnref8">[8]</a>. </span></p><p style="text-align: justify;"><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 12pt;"> </span></p><p style="text-align: justify;"><span style="font-size: 12pt; font-family: georgia, palatino, serif;"><strong>L’angoisse est angoisse de rien</strong></span></p><p style="text-align: justify;"><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 12pt;">Pourquoi ? D’abord, parce que bientôt, la désolation s’estompe, et « un calme singulier »<a href="#_ftn9" name="_ftnref9">[9]</a> lui succède et se répand. Le <em>Dasein</em> a été expulsé des choses et de lui-même. L’angoisse n’étant angoisse de rien, le <em>Dasein</em> ne peut pas même avoir une représentation de l’angoisse. Voilà pourquoi « Dans l’angoisse – disons-nous – un malaise nous gagne »<a href="#_ftn10" name="_ftnref10">[10]</a>. Heidegger thématise là l’effet dévastateur de l’angoisse comme un moment crucial à la fois de perte, perte de ses repères, de la compréhension de soi et des autres, mais aussi de l’effondrement du monde de la signification porté par la préoccupation, pour le retrouver, suite à la rupture avec le On, dans sa profonde nudité. L’angoisse a fait surgir le Rien et le nulle part, nous dépaysant, en nous expulsant des choses et de nous-mêmes. On peut désormais comprendre ce que Heidegger dit dans sa conférence de 1929, – conférence qui renouvelle le problème de l’angoisse en lui donnant une extension inédite – lorsqu’il parle de ce <em>calme d’une grande singularité</em>. C’est-à-dire que le <em>Dasein</em> se prépare à être parfaitement neuf. Avoir une nouvelle peau, prendre un nouveau départ ; c’est la métamorphose. Nous comprenons alors mieux pourquoi, dans l’angoisse, ayant assisté impuissants, à l’effondrement de la totalité des étants disponibles, « nous flottons (désormais) « en suspens ». »<a href="#_ftn11" name="_ftnref11">[11]</a></span></p><p style="text-align: justify;"><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 12pt;"> </span></p><p style="text-align: center;" align="center"><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 12pt;">*</span></p><p style="text-align: justify;"><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 12pt;"> </span></p><p style="text-align: justify;"><span style="font-size: 12pt; font-family: georgia, palatino, serif;"><strong>Le repos fasciné</strong></span></p><p style="text-align: justify;"><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 12pt;">Reprenons désormais la question : « Dans l’angoisse, il y a un mouvement de « recul devant… », un mouvement qui sans nul doute n’est plus une fuite, mais un repos fasciné. Pourquoi ? Parce que tous ces étants que nous pensions auprès de soi s’effondrent soudain pour nous signaler que soudain, le hors-de-chez-soi est constitutif de notre être même. L’angoisse, on l’a compris, est une forme de <em>tabula rasa</em>. Jusqu’ici, jamais le <em>Dasein</em> n’était libre de lui-même : ni libre de ses humeurs, ni libre de maîtriser telle ou telle tonalité, sinon par une contre-tonalité. De plus, le <em>Dasein</em> n’avait pas, mais ne pouvait pas non plus s’emparer de lui-même et s’assurer de lui-même comme s’il était la source absolue du sens de ce monde. Or, cette terrible dévastation amène le <em>Dasein</em> dans la nudité de son essence. C’est-à-dire qu’au moment où ses repères se sont effondrés, dans son esseulement, le <em>Dasein</em> est mis en face de ses possibilités. Heidegger l’écrit d’ailleurs en ces termes : « L’angoisse isole le Dasein vers son être-au-monde le plus propre, qui, en tant que compréhensif, se projette essentiellement vers des possibilités. »<a href="#_ftn12" name="_ftnref12">[12]</a> Au moment de cet effondrement, ce pour quoi le <em>Dasein</em> s’angoisse, c’est pour l’être de ses possibles. En tant que soi singulier, le <em>Dasein</em> a à faire face à sa liberté. Voilà la notion ontologique qui soudain apparaît sous la plume de Heidegger, et qu’il nous faudra prendre en compte. Jusqu’ici, le <em>Dasein</em> était sous influence, dépendant et soumis à la dictature du On. à présent, le voilà seul face à sa liberté, devant « se choisir » et « se saisir soi-même »<a href="#_ftn13" name="_ftnref13">[13]</a>. Mais le <em>Dasein</em> n’est pas transporté au-delà du monde par l’angoisse. Si l’angoisse esseule le <em>Dasein</em>, et le place en face de sa liberté, elle replace sa liberté face aux chaînes quotidiennes d’un langage qui ne prend jamais en compte le sujet seul, mais le On. Or, le On sent que ce n’est rien. Et voilà où surgit le Rien, ce dernier faisant son apparition par l’angoisse, car « L’angoisse manifeste le rien. »<a href="#_ftn14" name="_ftnref14">[14]</a> </span></p><p style="text-align: justify;"><span style="font-size: 12pt; font-family: georgia, palatino, serif;"><strong> </strong></span></p><ol style="text-align: justify;"><li><span style="font-size: 12pt; font-family: georgia, palatino, serif;"><strong>La nuit de l’angoisse</strong></span></li></ol><p style="text-align: justify;"><span style="font-size: 12pt; font-family: georgia, palatino, serif;"><strong> </str
Marc Alpozzo
http://marcalpozzo.blogspirit.com/about.html
Sartre et le regard d'autrui
tag:marcalpozzo.blogspirit.com,2011-02-09:2060881
2011-02-09T18:38:00+01:00
2011-02-09T18:38:00+01:00
On trouve, à propos du regard d’autrui, de très longues descriptions...
<p style="text-align: justify;"><span style="font-size: 12pt;"><strong style="text-align: justify;"><span style="font-family: georgia, palatino;">On trouve, à propos du regard d’autrui, de très longues descriptions phénoménologiques dans le grand œuvre de <span style="color: #800000;"><a style="color: #800000;" href="http://marcalpozzo.blogspirit.com/tag/sartre" target="_blank" rel="noopener">Sartre</a></span>, <em>L’Être et le Néant</em>. Elles vont ici occuper mon analyse. On verra ainsi comment une relation intime noue subtilement ma <span style="color: #800000;"><a style="color: #800000;" href="http://marcalpozzo.blogspirit.com/archive/2016/08/31/sartre-ou-la-liberte-angoissante-3078895.html" target="_blank" rel="noopener">liberté</a></span> au regard d’autrui. On verra également comment Sartre entraîne les consciences à ne pas savoir se hisser hors d’un conflit inextricable et infini.<span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 12pt;"> Cette longue étude est p<strong><span style="box-sizing: border-box; margin: 0px; padding: 0px; border: 0px; outline: 0px; vertical-align: baseline; line-height: 25.2px; text-align: right; background-image: initial; background-attachment: initial; background-size: initial; background-origin: initial; background-clip: initial; background-position: initial; background-repeat: initial;">arue dans le numéro 15, des</span></strong><span style="color: #000000;"><strong><span style="box-sizing: border-box; margin: 0px; padding: 0px; border: 0px; outline: 0px; vertical-align: baseline; line-height: 25.2px; text-align: right; background-image: initial; background-attachment: initial; background-size: initial; background-origin: initial; background-clip: initial; background-position: initial; background-repeat: initial;"><span style="color: #800000;"><em> Carnets de la Philosophie</em></span></span></strong></span><strong><span style="box-sizing: border-box; margin: 0px; padding: 0px; border: 0px; outline: 0px; vertical-align: baseline; line-height: 25.2px; text-align: right; background-image: initial; background-attachment: initial; background-size: initial; background-origin: initial; background-clip: initial; background-position: initial; background-repeat: initial;">, de janvier 2011. La voici désormais en accès libre dans l'<span style="color: #800000;"><em>Ouvroir</em></span>.</span></strong></span></span></strong></span></p><p><img src="http://marcalpozzo.blogspirit.com/media/00/02/2196130626.jpg" id="media-872205" alt="" /></p><p class="MsoNormal" style="text-align: justify; text-indent: 7.1pt; mso-pagination: none; mso-layout-grid-align: none; text-autospace: none;"> </p><p class="MsoNormal" style="text-align: justify; text-indent: 7.1pt; mso-pagination: none; mso-layout-grid-align: none; text-autospace: none;"> </p><p class="MsoListParagraphCxSpFirst" style="margin-left: 25.1pt; mso-add-space: auto; text-align: justify; text-indent: -18.0pt; mso-pagination: none; mso-list: l0 level1 lfo1; mso-layout-grid-align: none; text-autospace: none;"><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 12pt;"><!-- [if !supportLists]-->1.<span style="font-stretch: normal;"> </span><!--[endif]--><strong>Le regard d’Autrui comme scandale</strong></span></p><p class="MsoListParagraphCxSpLast" style="margin-left: 25.1pt; mso-add-space: auto; text-align: justify; mso-pagination: none; mso-layout-grid-align: none; text-autospace: none;"><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 12pt;"><strong> </strong></span></p><p class="MsoNormal" style="text-align: justify; text-indent: 7.1pt; mso-pagination: none; mso-layout-grid-align: none; text-autospace: none;"><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 12pt;">Je prends d’abord conscience de l’existence d’autrui par son corps. Par exemple, je vois cet homme à la machine à café du hall de l’université, et aussitôt, ce dernier m’apparaît comme un <em>objet</em>. Certes, dans cette « relation d’objectivité », je n’ai aucune certitude de son existence. Comment puis-je être sûr que ma <em>perception</em> ne me fait pas défaut ? Le problème bien sûr est cartésien. Mais Sartre sait se tirer de ce mauvais pas en montrant que la relation à l’autre ne s’épuise pas dans le champ de la connaissance abstraite. On ne trouve donc pas d’objectivation de la relation à l’autre. D’abord, parce qu’il s’agit pour Sartre d’en finir avec l’idéalisme établissant par exemple que cet ordinateur que je vois posé sur ma table de travail renvoie à une série infinie d’apparitions. Ensuite, parce qu’il veut, à la suite de Heidegger, nous montrer que l’homme n’est jamais enfermé dans son intériorité. Pour cela, il va montrer que ma liberté est livrée au regard d’autrui. Suivons l’exemple de Sartre : je suis installé dans un jardin public. Il y a des chaises le long d’une pelouse non loin de moi. Un homme passe près des chaises. Je vois cet homme marcher. Mais je ne le saisis pas une seule seconde comme chose parmi les choses. Certes, je le saisis comme objet, mais également comme homme. Je le saisis comme homme, et non en tant que seul objet, car je sais que je ne pourrais jamais le réduire à une chaise, ou à une poupée, et ainsi le ranger dans les « choses temporo-spatiales »<a title="" href="file:///C:/Users/Marc/Desktop/articles/Sartre%20et%20le%20regard.doc#_ftn1" name="_ftnref1"><span class="MsoFootnoteReference"><!-- [if !supportFootnotes]--><span class="MsoFootnoteReference">[1]</span><!--[endif]--></span></a>. Pourquoi ? Si cet homme se différencie des choses, et qu’ainsi, je l’en différencie, c’est parce qu’il peut, comme moi, distinguer cette pelouse, ces chaises. Il peut les <em>percevoir</em> comme je peux les percevoir. Je réalise alors que, ce que je tenais pour <em>mon</em> monde, m’est soudain « volé » par autrui. Ce monde qui était <em>mon</em> monde et dans lequel j’étais au centre, m’apparait soudain, par « l’apparition d’autrui », comme étant <em>aussi</em> le monde d’autrui. Cette <em>décentration</em> de mon monde en un monde pour autrui se fait par-devers « la centralisation que j’opère dans le même temps » (EN, p. 313). Néanmoins, autrui demeure un objet <em>pour moi</em>. On ne peut donc dire que mon monde m’échappe ; en réalité, il s’échappe à travers autrui. Le regard d’autrui est cause d’une désintégration partielle de mon univers, c’est-à-dire dans les limites contenues par cet univers, à la façon d’un trou de vidange ; le regard est cette faille ontologique par laquelle s’écoule perpétuellement mon monde. La lutte des consciences trouve là, dans le regard, une seconde vie. Cette désintégration de l’univers qu’autrui représente doit être comprise sur le mode symbolique. C’est-à-dire qu’autrui continue tranquillement de <em>faire</em> sa vie. Je suis là, au café Flore, en train d’écrire cet article. Autrui peut jeter un œil sur moi, mais en réalité, il ne voit rien, ni n’entend rien. Peut-être même me tourne-t-il le dos, tout entier absorbé à sa propre activité, lire <em>Le Monde</em>, prendre un café, bavarder avec un ami. Et pourtant, si je regarde cet homme, par exemple déplier et lire le journal du soir, je remarque que la rencontre avec autrui est dans le regard. « Au milieu du monde, je peux dire « homme-lisant » comme je dirais « pierre froide », « pluie fine » ; je saisis une « <em>Gestalt</em> » close dont la lecture forme la qualité essentielle et qui, pour le reste, aveugle et sourde, se laisse connaître et percevoir comme pure et simple chose temporo-spatiale et qui semble avec le reste du monde dans la pure relation d’extériorité. »<a title="" href="file:///C:/Users/Marc/Desktop/articles/Sartre%20et%20le%20regard.doc#_ftn2" name="_ftnref2"><span class="MsoFootnoteReference"><!-- [if !supportFootnotes]--><span class="MsoFootnoteReference">[2]</span><!--[endif]--></span></a> Par le regard, je fige l’autre en objet, en forme ou figure, et réciproquement. C’est dans cette seule mesure qu’autrui n’est pas constitué, mais seulement <em>rencontré</em>. C’est par là que se révèle l’antagonisme. Sartre conférant au conflit des consciences, – qui est le propre de ma relation à autrui –, un statut intégré à l’ontologie à partir du dévoilement de sa nature originelle. Autrui va soudain m’apparaître comme <em>menaçant</em>. Probablement même se révèlera-t-il à moi comme un « scandale » dans la mesure où, autrui n’étant pas seulement cet être qui, me volant mon monde, voit les mêmes choses que je vois, il est surtout celui qui me regarde : « Si autrui-objet se définit en liaison avec le monde comme l’objet qui <em>voit</em> ce que je vois, ma liaison fondamentale avec autrui-sujet doit pouvoir se ramener à ma possibilité permanente d’<em>être vu </em>par autrui. C’est dans et par la révélation de mon être-objet pour autrui que je dois pouvoir saisir la présence de son être-sujet. »<a title="" href="file:///C:/Users/Marc/Desktop/articles/Sartre%20et%20le%20regard.doc#_ftn3" name="_ftnref3"><span class="MsoFootnoteReference"><!-- [if !supportFootnotes]--><span class="MsoFootnoteReference">[3]</span><!--[endif]--></span></a> Probablement est-ce là la véritable <em>rencontre</em> avec autrui. C’est lorsque je m’aperçois que ses yeux ont erré sur la pelouse, ont embrassé le paysage environnant, et très naturellement, parce que je me trouvais à un endroit du paysage, sont venus se poser sur moi. Il est évident que je ne serai pas regardé comme la chaise sur laquelle je suis assis est regardée, ni comme la pelouse, ou ces arbres, etc. Pourquoi ? Parce qu’autrui que j’ai transformé par mon propre regard en objet, ne peux que me transformer à son tour en objet. « […] je ne saurais être un objet pour un objet » (EN, p. 314). Or, jusqu’ici, face à cet arbre qui me protégeait du soleil grâce à son épais feuillage, j’existais, j’étais là, assis, lisant un livre. J’agissais. Je faisais ce que j’avais à faire, sans y réfléchir. J’étais sur le mode irréfléchi. Je n’avais pas besoin de prendre conscience de ce que je faisais, ni même du fait que j’existais. J’étais sujet, et tout ce qui m’entourait ici, y compris autrui, était objet pour mon regard. Mais voilà qu’autrui apparaît et me regarde. Son regard change soudain tout. Ce ne sont pas ses yeux, c’est-à-dire « l’organe sensible de vision », que le regard masque. C’est le regard en lui-même qui me parait brusquement une menace posée sur mon monde, car ce « regard tourné vers moi paraît sur fond de destruction des yeux qui me « regardent » […] » (EN, p. 316). Maintenant que ce regard est posé sur moi, à la fois sans distance et en me tenant en même temps à distance, je prends conscience que je suis à présent <em>regardé</em>. Un rapport essentiellement hostile<a title="" href="file:///C:/Users/Marc/Desktop/articles/Sartre%20et%20le%20regard.doc#_ftn4" name="_ftnref4"><span class="MsoFootnoteReference"><!-- [if !supportFootnotes]--><span class="MsoFootnoteReference">[4]</span><!--[endif]--></span></a> s’engage entre autrui et moi. Je me sens soudain « vulnérable ». Autrui en me regardant me fait prendre conscience que <em>je suis vu</em>. Pris dans son champ de vision, son regard a ce pouvoir de me faire prendre conscience que je suis, et de ce que je suis. Je suis comme <em>percé à jour</em>. Je suis tombé dans le monde. Le regard d’autrui étant essentiellement lié à cette chute. Jusqu’ici, je pouvais bien écouter aux portes, comme je suis à la fois ce que je ne suis pas, et je ne suis pas ce que je suis, échappant à cette définition provisoire de moi-même par toute ma transcendance, je ne pouvais me constituer comme un homme jaloux qui commet là une indiscrétion. Mais voilà que j’entends des pas dans le corridor ; voilà que soudain, je surprends des yeux qui me regardent. Voilà que deux libertés adverses se menacent. Jusqu’ici, la conscience de soi existait sur le plan des « objets du monde ». Ce regard va à présent me figer, me stigmatiser. Je serais désormais <em>celui</em> qui écoute aux portes. La honte qui soudain me parcourt l’échine, puis tout le corps, prend naissance dans ce regard qui me surprend ; elle est « honte de <em>soi</em> ». Il me faut bien reconnaître que je suis comme l’autre me voit. La honte étant « <em>reconnaissance</em> de ce que je <em>suis</em> bien cet objet qu’autrui regarde et juge. Je ne puis avoir honte que de ma liberté en tant qu’elle m’échappe pour devenir objet <em>donné</em>. »<a title="" href="file:///C:/Users/Marc/Desktop/articles/Sartre%20et%20le%20regard.doc#_ftn5" name="_ftnref5"><span class="MsoFootnoteReference"><!-- [if !supportFootnotes]--><span class="MsoFootnoteReference">[5]</span><!--[endif]--></span></a> Cette analyse phénoménologique du regard nous apprend désormais que la présence d’autrui est nécessaire pour que je sois moi-même, c’est-à-dire pour que je sois <em>extirpé</em> du stade de conscience irréfléchie solitaire et que je sois ainsi constitué en conscience réfléchie <em>jugée</em> par autrui. Je ne pourrais désormais plus me réfugier dans la mauvaise foi<a title="" href="file:///C:/Users/Marc/Desktop/articles/Sartre%20et%20le%20regard.doc#_ftn6" name="_ftnref6"><span class="MsoFootnoteReference"><!-- [if !supportFootnotes]--><span class="MsoFootnoteReference">[6]</span><!--[endif]--></span></a>, comme auparavant, cette mauvaise foi se transformant alors en aveu même de ma <em>faute</em>.</span></p><p class="MsoNormal" style="text-align: justify; text-indent: 7.1pt; mso-pagination: none; mso-layout-grid-align: none; text-autospace: none;"> </p><p style="text-align: center;"><img id="media-1071099" style="margin: 0.7em 0;" title="" src="http://marcalpozzo.blogspirit.com/media/01/01/248706856.jpg" alt="sartre,le monde,jean-paul sartre,huis-clos,l'être et le néant,f. jeanson,heidegger" /></p><p style="text-align: center;"><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 10pt;">Huis clos – de Jacqueline Audry – 1954</span></p><p class="MsoNormal" style="text-align: center; text-indent: 7.1pt; mso-pagination: none; mso-layout-grid-align: none; text-autospace: none;" align="center"> </p><p class="MsoNormal" style="text-align: justify; text-indent: 7.1pt; mso-pagination: none; mso-layout-grid-align: none; text-autospace: none;"> </p><p class="MsoNormal" style="text-align: justify; text-indent: 7.1pt; mso-pagination: none; mso-layout-grid-align: none; text-autospace: none;"><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 12pt;">Dans cette dialectique sujet-objet, opérée sur le mode du conflit des consciences, deux libertés s’expriment, l’une regardant l’autre et la jugeant, et, en faisant que soudain, cette conscience regardée ne s’échappe plus : « La liberté d’autrui m’est révélée à travers l’inquiétante indétermination de l’être que je suis pour lui »<a title="" href="file:///C:/Users/Marc/Desktop/articles/Sartre%20et%20le%20regard.doc#_ftn7" name="_ftnref7"><span class="MsoFootnoteReference"><!-- [if !supportFootnotes]--><span class="MsoFootnoteReference">[7]</span><!--[endif]--></span></a>. Ma liberté s’arrêtant lorsque le regard d’autrui se pose sur moi. Il y a cette « dimension d’être » qui me sépare de mes possibles par un « néant radical ». À présent regardé, je suis entre les mains de la liberté d’autrui. Il y a comme une <em>liberté fausse</em> chez Sartre. Je suis libre tant que le regard d’autrui ne m’a pas figé dans cette liberté qui se retourne contre moi. A la manière d’un libre-arbitre qui m’aurait été accordé pour pouvoir être jugé et châtié. Donc, autrui me regarde, et voilà que je suis ce que je suis. Je ne suis plus libre, mais un possible pour autrui, une probabilité pour lui<a title="" href="file:///C:/Users/Marc/Desktop/articles/Sartre%20et%20le%20regard.doc#_ftn8" name="_ftnref8"><span class="MsoFootnoteReference"><!-- [if !supportFootnotes]--><span class="MsoFootnoteReference">[8]</span><!--[endif]--></span></a>. Dépossédé, j’affirme cette honte comme mienne, alors qu’en réalité, elle est liberté d’un autre. Ma honte me révèle comme étant ce que l’autre voit de moi, <em>en-soi</em>. Rappelons-nous Garcin dans la cinquième et dernière partie de <em>Huis-clos</em>, pris au piège d’un trio infernal, condamné à vivre ensemble pour le reste de l’éternité, se lamentant : « Le bronze… (<em>Il le caresse.</em>) Eh bien, voici le moment. Le bronze est là, je le contemple et je comprends que je suis en enfer. Je vous dis que tout était prévu. Ils avaient prévu que je me tiendrais devant cette cheminée, pressant ma main sur ce bronze, avec tous ces regards sur moi. Tous ces regards qui me mangent… (<em>Il se retourne brusquement.</em>) Ha ! vous n’êtes que deux ? Je vous croyais beaucoup plus nombreuses. (<em>Il rit.</em>) Alors, c’est ça l’enfer. Je n’aurais jamais cru… Vous vous rappelez : le soufre, le bûcher, le gril… Ah ! quelle plaisanterie. Pas besoin de grill : l’enfer, c’est les Autres. »<a title="" href="file:///C:/Users/Marc/Desktop/articles/Sartre%20et%20le%20regard.doc#_ftn9" name="_ftnref9"><span class="MsoFootnoteReference"><!-- [if !supportFootnotes]--><span class="MsoFootnoteReference">[9]</span><!--[endif]--></span></a> Les Autres ne sont là que le regard d’autrui. Il est porté sur moi ; il me révèle à moi-même ce que je suis objectivement ; ce regard est précisément le <em>grill</em> de l’enfer sartrien.</span></p><p style="text-align: center;"><img id="media-1127381" style="margin: 0.7em 0;" title="" src="http://marcalpozzo.blogspirit.com/media/02/02/3865977174.png" alt="sartre,le monde,jean-paul sartre,huis-clos,l'être et le néant,f. jeanson,heidegger" /></p><p style="text-align: center;"><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 10pt;">Cet article, paru dans la revue <em>Philosophie pratique</em>, n°9, jan-fev. 2012</span></p><p style="text-align: center;"> </p><p class="MsoNormal" style="margin-left: 25.1pt; text-align: justify; text-indent: -18.0pt; mso-pagination: none; mso-list: l0 level1 lfo1; mso-layout-grid-align: none; text-autospace: none;"><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 12pt;"><!-- [if !supportLists]-->2.<span style="font-stretch: normal;"> </span><!--[endif]--><strong>Le regard d’Autrui comme miroir déformant</strong></span></p><p class="MsoNormal" style="margin-left: 7.1pt; text-align: justify; mso-pagination: none; mso-layout-grid-align: none; text-autospace: none;"><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 12pt;"><strong> </strong></span></p><p class="MsoNormal" style="text-align: justify; text-indent: 7.1pt; mso-pagination: none; page-break-after: avoid; text-autospace: ideograph-numeric;"><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 12pt;">La pièce de Sartre <em>Huis-clos</em>, mettant en scène deux femmes et un homme enfermés dans une pièce censée <em>représenter</em> l’enfer, nous présente ce trio parfaitement <em>diabolique</em> qui est le propre même de la dramaturgie sartrienne. Nous l’avons bien compris, si l’homme vivait seul sur terre, c’est-à-dire à peine entouré d’objets (un arbre, une chaise, un animal, etc.) qui ne pensent pas le monde extérieur, il n’aurait pas à s’intéresser à sa liberté ; il serait entièrement libre. Il penserait le monde à sa façon, sans limite, puisque ce monde n’existerait en réalité que pour lui. Entouré d’autrui en revanche, l’homme doit tenir compte des autres ; notre pensée ne saurait se suffire à elle-même. Je l’ai démontré : le regard que je jette sur le monde, est en permanence contredit par le regard d’autrui. Entre ma liberté et la sienne, s’engage alors un conflit des consciences dont on ne peut réchapper. Ce conflit portant à la fois sur ma vision du monde qu’il me faut défendre contre la vision des autres qui viennent la heurter, mais également ma liberté. La liberté d’autrui ayant la <em>fâcheuse</em> propension à venir l’annexer, voire la supprimer, en détournant les choses des significations que je leur donnais jusqu’ici, pour leur en conférer de nouvelles. « Ce n’est pas, à proprement parler, que je me sente perdre ma liberté pour devenir une <em>chose</em>, mais elle est là-bas, hors de ma liberté vécue, comme un attribut donné de cet être que je suis pour l’autre. Je saisis le regard de l’autre au sein de mon <em>acte</em>, comme solidification et aliénation de mes possibilités. »<a title="" href="file:///C:/Users/Marc/Desktop/articles/Sartre%20et%20le%20regard.doc#_ftn10" name="_ftnref10"><span class="MsoFootnoteReference"><!-- [if !supportFootnotes]--><span class="MsoFootnoteReference">[10]</span><!--[endif]--></span></a> Je ne suis pas extrait du monde lorsque l’autre me voit, mais saisi dans la situation même où j’ai été surpris. Pris au piège du regard d’autrui, je suis soudain transformé en un quelqu’un au milieu du monde, par exemple cet homme qui est assis sur cette chaise, qu’il ne voit pourtant point. De fait, il y a quelque chose qui m’échappe, et qui est utilisée par l’autre en tant que ses propres possibilités. L’utilisation d’une cachette par exemple, que l’autre pourrait découvrir. Dans ce conflit basé sur le regard, chacune des consciences devient désormais le bourreau de l’autre, à l’image des personnages de Garcin, Estelle et Inès dans la pièce <em>Huis clos</em>, où chacun des deux autres, à tour de rôle, persécute le troisième, faisant de la présence du tiers un v
Marc Alpozzo
http://marcalpozzo.blogspirit.com/about.html
Eléments pour une première lecture : Heidegger (1925-1930)
tag:marcalpozzo.blogspirit.com,2010-05-03:3101558
2010-05-03T09:23:00+02:00
2010-05-03T09:23:00+02:00
La rédaction des Carnets de la philosophie , m'avait demandé...
<p style="text-align: justify;"><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 12pt;"><strong>La rédaction des <span style="color: #800000;"><em>Carnets de la philosophie</em></span>, m'avait demandé d’esquisser, si j'ose dire, une compréhension partielle de la pensée de <span style="color: #800000;"><a style="color: #800000;" href="http://marcalpozzo.blogspirit.com/martin-heidegger/" target="_blank" rel="noopener">Heidegger</a></span> à partir du socle fondamental de son œuvre avant le tournant (<em>Kehre</em>): l’ontologie. C'est ce que je crois avoir fait, même si ce travail demandera de la part du lecteur, une grande attention et un grand soin, pour avancer pas à pas dans cette oeuvre foisonnante. C'est bien sûr une lecture personnelle et partiale, et nul commentaire, aussi brillant qu'il soit ne dispensera personne de se reporter au texte même. Mais c'est un début qui peut être instructif pour le lecteur curieux. Cette longue étude est parue dans le numéro 10 de la revue, en octobre 2009, on pourra s'y reporter. La voici désormais accessible dans l'<span style="color: #800000;"><em>Ouvroir</em></span>.</strong></span></p><p><img src="http://marcalpozzo.blogspirit.com/media/00/00/3612668558.jpeg" id="media-983285" alt="" /></p><p class="" style="text-align: justify;"><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 12pt;"><strong><br /><br />§ 1. – La question fondamentale de Heidegger<br /><br /></strong></span></p><p class="" style="text-align: justify;"><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 12pt;"><img id="media-1071181" style="float: left; margin: 0.2em 1.4em 0.7em 0;" title="" src="http://marcalpozzo.blogspirit.com/media/01/00/621756001.jpg" alt="heidegger,l'angoisse,le tournant,cogito,qu'est-ce que la métaphysique,platon,théétète,descartes,dasein,être et temps,l'homme,ontologie,lévinas,jean greisch" />Nous nous proposons d’esquisser ici une compréhension partielle de <span style="color: #800000;"><a style="color: #800000;" href="http://marcalpozzo.blogspirit.com/archive/2018/02/02/le-dasein-au-milieu-du-monde-une-experience-de-l-appartenanc-3101493.html" target="_blank" rel="noopener">la pensée de Heidegger</a> </span>à partir du socle fondamental de son œuvre avant le tournant (<em>Kehre</em>): l’ontologie. Tâchons, avant même de commencer, de formuler ce petit rappel : l’œuvre majeure et inachevée de Heidegger <em>Sein und Zeit</em> (= <em>SZ</em>) est parue en 1927. En 1929, sa conférence <em>Was ist Metaphysik ?</em> - <em>Qu’est-ce que la métaphysique ?</em> (= <em>WM</em>), succédant à <em>SZ</em>, représentait de son côté, tel que le précise Jean Greisch, plus « de ce point de vue le départ d’une interrogation nouvelle ». Nous ne travaillons donc que sur la première période de la philosophie de Heidegger, précisément sur cette période « prémétaphysique » qui se « confond » en très grande partie avec « l’ontologie fondamentale<a href="https://l.facebook.com/l.php?u=http%3A%2F%2Fwww.blogspirit.com%2Fadmin%2Fposts%2F%23_ftn1&h=ATNHwmsFBuVRzAVKEj59H14aHGL_11QU66Snj7Ohhc8-n_rfHJwyA3mDFIxcEHeNT4dqXefhZrj0onSWail3GGGQOeVfuzdA64AA6jXOaVDC751p8lcRoX0IKquHx6NNJOqRi2ap4IEu2WRz7qQ" target="_blank" rel="nofollow noopener noreferrer" data-lynx-mode="asynclazy"><span class="">[1]</span></a> » de Heidegger. Il nous faudra alors centrer toute notre analyse sur le <em>Dasein</em> et la recherche de l’existence de l’homme, certainement parce que c’est en majeure partie le débat qui conduit SZ. Aussi, nous en tiendrons-nous naturellement, par fidélité au texte, à cette phase de Heidegger, ce qui disons-le, est déjà en soi, tout un programme.<br /><br /></span></p><p class="" style="text-align: justify;"><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 12pt;">Mais l’erreur, ce serait de considérer la pensée de Heidegger comme une anthropologie philosophique. Que vise Heidegger avec <em>SZ</em> ? Posant la question de l’être, c’est-à-dire celle du sens de son concept fondamental, à l’ensemble de la tradition occidentale, il entend poser la question « à neuf ». C’est-à-dire interroger le « sens de l’être » en distinguant le plan ontique de l’étant et le plan ontologique de l’être.<br /><br /></span></p><p class="" style="text-align: justify;"><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 12pt;">En exergue à son texte majeur, <em>SZ</em>, Heidegger cite un aveu formulé par l’Étranger d’Élée à l’attention de Théétète (Platon, <em>Sophiste</em>, 244a) à propos de l’expression « étant », qu’il dit avoir fait tomber dans l’embarras, alors qu’il pensait autrefois la comprendre. Et commentant cette citation, Heidegger pose comme problème philosophique, que nous, hommes ou philosophes contemporains, ne disposons toujours pas de réponse à la question fondamentale de l’« étant ». Il nous faut donc nous atteler à une double tâche : d’abord « poser la question du sens de l’être », ensuite comprendre le sens de la question, ce qui est d’ailleurs là selon Heidegger, une tâche préalable.<br /><br /></span></p><p class="" style="text-align: justify;"><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 12pt;">Mais ce qui est d’autant plus novateur dans cette recherche ontologique « concrète », c’est que cette question de l’être est arrimée à celle du temps. Pour Heidegger en effet, il n’est possible de poser la question de l’être qu’à partir du temps, c’est-à-dire qu’il n’est possible d’élucider cette question qu’à partir d’un étant déterminé, qui peut se penser sous l’horizon du temps et mis en rapport avec un mode déterminé de celui-ci, le <em>présent</em>. Qui plus est, cette question ne peut être élucidée que par un étant qui comprend l’être, c’est-à-dire le seul pour qui « il y a » de l’être, et cet <em>étant</em> est l’homme.<br /><br /></span></p><p class="" style="text-align: justify;"><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 12pt;">Mais alors pourquoi ressusciter la question de l’être ? Quel séisme polémique cela va-t-il déclencher au sein de l’ontologie fondamentale ? Et pourquoi repenser l’être de l’homme à partir de la mort, de l’angoisse et des appels de la conscience ?</span></p><p class="" style="text-align: justify;"><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 12pt;"> </span></p><p class="" style="text-align: justify;"><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 12pt;"><strong>§ 2. Quand la philosophie découvre l’existence</strong></span></p><p class="" style="text-align: justify;"><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 12pt;">Ce qui guide les travaux du <em>premier</em> Heidegger, c’est l’être. Et précisément, son escamotage. En fait, c’est parce que la « question de l’être est aujourd’hui tombée dans l’oubli<a href="https://l.facebook.com/l.php?u=http%3A%2F%2Fwww.blogspirit.com%2Fadmin%2Fposts%2F%23_ftn2&h=ATPgLFoerWWr74PCecfXAXK9wn0mqSVZ8rSf-T4T8Z9La6ROZC96TUd0xIBEUz8XwkPquFj1JtVzeq0qJhKnOT4QuTiJBPQfBrCvYVt0pRNWSNiJmSZoCY_Eaqijz8Ptlu9DSsgh7tXtPvwXcsI" target="_blank" rel="nofollow noopener noreferrer" data-lynx-mode="asynclazy"><span class="">[2]</span></a> » qu’il s’agit, selon Heidegger, d’en penser le sens. Mais cette question fondamentale en philosophie, nous dit-il, ne saurait aller sans l’existence elle-même. Voici donc la principale nouveauté. Et cette existence est celle de l’homme. C’est-à-dire celui qui se définit par un certain sens de l’être. Or, désormais, la question de l’être, posée par l’homme, trouve son origine dans l’existence, ce qui représente une fracture avec la tradition philosophique qui, depuis Descartes, se posait cette question à partir d’un <em>sujet</em> centré sur lui-même.<br /><br /></span></p><p class="" style="text-align: justify;"><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 12pt;">C’est la raison pour laquelle il nous faut choisir de faire débuter ce texte sur la distinction « sujet-objet » que la problématique heideggérienne tente de faire éclater. Jusqu’à Heidegger, la pensée philosophique avait pour habitude de faire référence aux notions traditionnelles de « sujet » et de « conscience » pour définir l’homme, le seul à pouvoir penser l’être. Or, Heidegger appelle l’homme du nom intraduisible en langue française de <em>Dasein</em>, ou, si nous tentions littéralement : (<em>Da</em>) « là » (<em>Sein</em>) « être » : être-là. Ce terme, qui doit se prendre dans son sens littéral, comme <em>se tenir hors de</em>, <em>se dresser</em>, <em>apparaître</em>, sert désormais à nommer l’essence de cet étant qui, parce qu’il comprend l’être, ne peut être défini autrement que sur le mode de l’existence. Il ne s’agit pourtant pas de comprendre le <em>Dasein</em>, donc l’homme, comme le centre même de la recherche de l’être. En réalité, l’existence est le lieu (<em>Da</em>, là) de sa manifestation. Il convient plutôt de distinguer l’être (<em>Sein</em>) de l’étant ou étantité (<em>Seiendheit</em>) de l’Être en tant que tel (<em>Seyn</em>) et de voir dans l’être la question centrale de la recherche de Heidegger.<br /><br /></span></p><p class="" style="text-align: justify;"><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 12pt;">Mais il convient également de comprendre le rôle du temps dans la philosophie de Heidegger. C’est dans l’actualité du <em>cogito</em> que le rapport sujet-objet s’accomplit, et par là, s’insère dans cette trame. Retenons d’emblée un premier point pour comprendre : la copule « et » dans le titre de l’ouvrage <em>Être et temps</em> ne souligne pas l’addition, mais la mise en relation intime de l’être et du temps. Or, précisément, qu’est-ce que le temps pour Heidegger ? Ça n’est pas le temps des horloges, c’est-à-dire le temps vulgaire, divulgué, qui n’est qu’une succession de « maintenant » et qui appartient à la préoccupation quotidienne. C’est à partir de l’action présente, passée ou à venir, donc d’un maintenant ponctuel, que l’on doit comprendre le temps et les autres dimensions temporelles. Le sujet n’est pas un « événement temporel » mais s’insère dans le temps qui est une <em>modalité</em> de son être. Heidegger rend cela possible grâce à ce qu’il appelle l’<em>anticipation de la mort</em> (<em>Vorlaufen</em>), c’est-à-dire littéralement le fait d’aller au-devant d’elle. Aussi, en abandonnant la détermination traditionnelle de l’étant comme étantité et le temps comme suite de « maintenant » ponctuels, lui substituant plutôt une pensée plus originelle de l’être et du temps, nous comprenons alors cette « coappartenance intime ». Il s’agit donc de ramener le temps dans la problématique du sujet et dans son rapport à l’être, contre l’idéalisme et sa tentative de « destruction du temps ». Cette innovation fondamentale dans notre manière de penser le temps et le sujet, amène Heidegger à mener une critique radicale du sujet, au § 25 de <em>SZ.</em><br /><br /></span></p><p class="" style="text-align: justify;"><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 12pt;">C’est précisément parce que la pensée a créé une dichotomie dans le rapport entre le sujet et la chose que ce problème se pose à Heidegger, rejoignant l’identité fondamentale du sujet, qu’il se propose de clarifier dans son rapport à l’être. Depuis Descartes, la conscience (<em>cogito</em>) a été habituellement conçue comme un regard, c’est-à-dire un pur « voir » tenu à distance des choses qu’il recueille comme s’il en restait libre. Aussi, nous touchons désormais, à la structure la plus élémentaire de la subjectivité, et à sa question fondamentale, qui n’est plus « Qu’est-ce que l’homme ? » mais « <em>Qui</em> est l’homme ? ». Le sujet, ou devrait-on dire plutôt, le <em>Dasein</em>, est l’étant pour lequel il y a des choses qui sont, le seul qui puisse à la fois se rapporter à ce qui est, et éventuellement en parler, et le seul qui puisse dire le mot « être ». Désormais, l’essence de l’homme tient dans sa subjectivité. Ce qui veut dire, qu’au-delà de la mythologie <em>logico-métaphysique</em> du sujet, encore trop présente chez Kant, il s’agit de revenir à la question fondamentale, qui serait la base même de la connaissance du sujet : <em>que veut dire être soi </em>? C’est le problème même de la première partie de <em>SZ</em> : <em>l’ipséité</em>.<br /><br /></span></p><p class="" style="text-align: justify;"><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 12pt;">Voici la première difficulté du texte : comment penser la relation de connaissance de l’homme à la connaissance de l’être ? Le <em>Dasein</em> est à la fois originellement un « au-dedans » mais également un « au-dehors », et ce recouvrement de l’intériorité et de l’extériorité ne saurait être pris au niveau de la conscience. Or, l’idéalisme reconnaît l’être et la réalité comme n’existant pas en dehors de la conscience. L’exigence idéaliste réduit le monde à une représentation du sujet. Aussi, pour satisfaire cette exigence idéaliste, il faudrait fonder la conscience comme sujet, et l’étant comme objet. C’est-à-dire précisément, la relation sujet-objet qui serait « la forme originelle de la transcendance de l’âme<a href="https://l.facebook.com/l.php?u=http%3A%2F%2Fwww.blogspirit.com%2Fadmin%2Fposts%2F%23_ftn3&h=ATN5mE47MqEFShIQtRvFQVNc0LBnRYIRzC0zwI_la5MvPi3BK_onIwoFQkPWjTR9q9W5jwt9QyWhWrF9ruZ2xcSJdI0Dhb3OiPJvOUQe3dwf4qcNCsN-8vHov39tOGGIn_V1b_3HhWpSWOPTdnE" target="_blank" rel="nofollow noopener noreferrer" data-lynx-mode="asynclazy"><span class="">[3]</span></a>. » Mais l’ontologie ne serait-elle pas noyée dans la théorie de la connaissance, tout comme la connaissance le serait avec l’existence ? Le <em>Dasein</em>, à la fois dedans et dehors, centre et <em>ek-stase</em>, se détermine sous la forme d’un horizon du monde, puis comme Dimension de l’Être. Il nous faut encore voir comment nous sera révélé <em>l’être-dans-le-monde</em> comme Vérité de l’Être, en tant que sont imbriqués l’un dans l’autre, le « dedans » comme lieu d’éclairement du monde et le « dehors » comme la lumière elle-même de l’être.</span></p><p style="text-align: center;"><img id="media-1071183" style="margin: 0.7em 0;" title="" src="http://marcalpozzo.blogspirit.com/media/02/00/2817029897.jpg" alt="heidegger,l'angoisse,le tournant,cogito,qu'est-ce que la métaphysique,platon,théétète,descartes,dasein,être et temps,l'homme,ontologie,lévinas,jean greisch" /></p><p style="text-align: center;"><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 10pt;"><em>Sein & Zunt</em>, le grand oeuvre de Martin Heidegger, publié en 1927, </span><br /><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 10pt;">le chef d'oeuvre de la philosophie moderne</span></p><p class="" style="text-align: justify;"><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 12pt;"> </span></p><p class="" style="text-align: justify;"><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 12pt;"><strong>§ 3. – Le rôle de l’homme dans la philosophie de Heidegger</strong></span></p><p class="" style="text-align: justify;"><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 12pt;">La question centrale de la pensée de Heidegger ne concerne pas la connaissance de l’homme, mais de l’être. Le problème ontologique que la philosophie de Heidegger cherche à résoudre se situe dans l’élucidation temporale de l’être. En effet, le sens de l’être ne pourra être déterminé <em>qu’à partir du temps</em>, c’est-à-dire que le temps est la condition de possibilité de compréhension de l’être. Il ne s’agit donc, de poser la question « qui est l’homme ? » que pour parvenir à la question « qu’est-ce qu’être ? ».<br /><br /></span></p><p class="" style="text-align: justify;"><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 12pt;">Cette question de l’être chez Heidegger repose sur la distinction entre le plan ontique de l’étant, ce qui recouvre tout, les objets et les personnes, voire Dieu lui-même, et le plan ontologique de l’être qui est « le fait que tous ces objets et toutes ces personnes <em>sont</em> », précise Levinas. Or, s’il y a eu un oubli de l’être – ce qui signifie donc que l’être n’a pas toujours été oublié – c’est parce que dans la philosophie jusqu’à Heidegger, la question de l’être a systématiquement glissé vers les étants. Il s’agit donc à présent de répéter la question. Mais comment faire ? Car ça n’est pas aux sciences elles-mêmes qu’il incombe de procéder à cette clarification ontologique. C’est à la philosophie qu’il revient, dans son ambitieuse primauté ontologique et scientifique, d’élaborer les ontologies spécifiques sur lesquelles reposent les sciences de l’étant. « L’être de l’étant est l’« objet » de l’<em>ontologie<a href="https://l.facebook.com/l.php?u=http%3A%2F%2Fwww.blogspirit.com%2Fadmin%2Fposts%2F%23_ftn4&h=ATMLqX2u1zOXa2rNTNOX5tdwakArTCXSykg-1jX7fcPBfA02kdOTwYQ6Lmf535JPq4-nwfj4V5PWnwZ09uWYfUqBeu3OCElAR28CWI2l8dGRG-LHCaUwcRwbcMc7IX4QL2EavagJaNi1jCxjuzg" target="_blank" rel="nofollow noopener noreferrer" data-lynx-mode="asynclazy"><span class=""><strong>[4]</strong></span></a></em> », nous précise Levinas. C’est donc un problème d’ordre métaphysique. Sauf que dans sa « dérive » ontologique, la métaphysique s’est au cours de son histoire, limitée à être une pensée de l’étant en tant qu’étant sans jamais remonter jusqu’à l’être. Aussi, il s’agit à présent selon Heidegger, de procéder à une « destruction de l’histoire de l’ontologie<a href="https://l.facebook.com/l.php?u=http%3A%2F%2Fwww.blogspirit.com%2Fadmin%2Fposts%2F%23_ftn5&h=ATNTSp1-6CDBGVAN94LT2kFiwkUpEpnrTTXssVfeMN6QPtsEYBrvmY4jiUSuDh5ub29dwbiGIXvIIwrHtpqVTUeYzx6pD_eBTBf5IA8N5ywk_iSHfbVrzP1AS9WH50CyidIxZAfbtUdxVDS26M8" target="_blank" rel="nofollow noopener noreferrer" data-lynx-mode="asynclazy"><span class="">[5]</span></a> ». Voilà précisément la tâche à accomplir. Aussi, c’est parce que le <em>Dasein </em>est défini par rapport à l‘être qu’il a, dans la question même du sens de l’être, une primauté par rapport à tous les autres étants. Il faut donc en passer par lui pour élaborer la question. « La compréhension de l’être est la caractéristique et le fait fondamental de l’existence humaine<a href="https://l.facebook.com/l.php?u=http%3A%2F%2Fwww.blogspirit.com%2Fadmin%2Fposts%2F%23_ftn6&h=ATMRRpF22Bl2kZubmnzgTPHT8M3t38T2KDQ74X9A16ALTsnsGm90qCqca2i36QdeVDQlbSivi-YGgFQSyfoNnTCE6LDfYl2TzhOxVZX8LFrnBiHAoOhLuybLYrhWtIsJtGuz5ekhLlvDTVrxbMI" target="_blank" rel="nofollow noopener noreferrer" data-lynx-mode="asynclazy"><span class="">[6]</span></a>. » Qu’est-ce à dire ? Dans l’existence, nous sommes embarqués. Aussi, dans cette aventure, nous avons à être. Cela constitue d’ailleurs notre être même. C’est-à-dire que nous avons à être pour l’être qui, à travers nous, est, et auquel notre existence permet la manifestation. Nous l’avons montré plus haut, c’est la raison pour laquelle Heidegger nomme l’homme <em>Dasein,</em> ce qui dans l’allemand philosophique désigne littéralement <em>existence</em>. Le <em>Dasein</em> étant moins l’homme que le lieu en lequel cet étant qu’est l’homme est ouvert à la révélation du sens de l’être. Dans cette compréhension de l’être, qui est « l’événement fondamental », la destinée entière du <em>Dasein</em> est engagée. C’est même le « drame le l’existence », dit Levinas avec finesse.<br /><br /></span></p><p class="" style="text-align: justify;"><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 12pt;">Car le <em>Dasein</em> a à être. Il doit répondre de son être, et donc choisir son existence entre diverses façons d’exister. Telle est la « question de l’existence ». En réalité, le <em>Dasein</em> n’a que deux possibilités fondamentales d’exis
Dadumas
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Par-delà le Mal
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2009-10-07T15:08:00+02:00
2009-10-07T15:08:00+02:00
Martin Heidegger (Didier Flamand) avait trente-cinq ans...
<p style="margin: 0cm 0cm 0pt;" class="MsoNormal"> </p> <p style="margin: 0cm 0cm 0pt;" class="MsoNormal"><span style="font-size: 10.5pt; font-family: Arial;"> </span><span style="font-size: 10.5pt; font-family: Arial;">Martin Heidegger (Didier Flamand) avait trente-cinq ans lorsqu’il devint l’amant d’une de ses plus brillantes élèves, Hannah Arendt (Elsa Zylberstein) qui en avait dix-huit. Liaison passionnée, nourrie des discussions intellectuelles qui les rapprochaient autant, sinon plus, que les échanges sensuels. Mais Martin était déjà marié, père de deux enfants. Sa femme, qu’il appelait dans ses lettres, sa « chère petite âme », Elfride (Josiane Stoléru) était bien décidée à garder son génie de mari. L’hypocrisie des mœurs fit le reste. Hannah s’effaça, changea d’université. Husserl et Jaspers devinrent ses maîtres, ce dernier dirigea sa thèse sur « le concept d’amour chez Saint Augustin ». Puis le nazisme lui interdit d’étudier, et, avant qu’on ne lui interdise de vivre, elle se réfugia en France, puis s'établit aux États-Unis. Martin Heidegger, adhère au parti nazi, et devient recteur. En 1945, avec l’effondrement du régime, il est interdit d’enseignement.</span></p> <p style="text-justify: inter-ideograph; margin: 0cm 0cm 0pt; text-align: justify;" class="MsoNormal"><i><span style="font-size: 10.5pt; font-family: Arial;">Le Démon d’Hannah</span></i> <span style="font-size: 10.5pt; font-family: Arial;">commence à ce moment-là, dans une Allemagne en ruines. Michel Fagadau, le metteur en scène, recrée l’atmosphère morbide du <i>Troisième Homme</i>, avec une musique interprétée à la cithare, une scène partagée comme l’Allemagne. Mais ici, l’Allemagne du philosophe se trouve à cour, tandis que de l’autre côté, à jardin, on découvre les fiers gratte-ciel de New York. Tandis que Martin survit dans Fribourg saccagée, aux Etats-Unis, Hannah est chargée d’une mission d’inventaire des biens culturels juifs, après la Shoah. Elle est mariée à Heinrich Blücher (Jean-Marie Galey), un ancien spartakiste, qu’elle va abandonner le temps d’un voyage en Allemagne.</span></p> <p style="text-justify: inter-ideograph; margin: 0cm 0cm 0pt; text-align: justify;" class="MsoNormal"><span style="font-size: 10.5pt; font-family: Arial;">La seconde partie nous emmène dans une chambre d’hôtel, en Allemagne, où Martin la rejoint. Il ergote, il ment, il est lâche, mais il a influencé l’existentialisme, il est resté amoureux, séduisant…</span></p> <p style="text-justify: inter-ideograph; margin: 0cm 0cm 0pt; text-align: justify;" class="MsoNormal"><span style="font-size: 10.5pt; font-family: Arial;">Elsa Zylberstein montre un feu couvant sous la cendre. Elle s’anime au nom de Martin Heidegger. Lui pardonnera-t-elle sa veulerie, ses compromissions ? Didier Flamand en interprète sensible, laisse le spectateur dans l’ambiguïté. Antoine Rault, l’auteur, aussi. Nous n’entendrons pas Hannah condamner le totalitarisme, expliquer les origines du Mal, défendre Heidegger contre tous.</span></p> <p style="text-justify: inter-ideograph; margin: 0cm 0cm 0pt; text-align: justify;" class="MsoNormal"><span style="font-size: 10.5pt; font-family: Arial;">En revanche l'auteur imagine avec finesse l’affrontement entre les deux femmes. Les deux comédiennes sont superbes. Josiane Stoléru compose un personnage plein de hargne mais qui sait rester digne. Elsa Zylberstein atteint la dimension tragique.</span></p> <p style="text-justify: inter-ideograph; margin: 0cm 0cm 0pt; text-align: justify;" class="MsoNormal"><span style="font-size: 10.5pt; font-family: Arial;">Et cette beauté-là vaut bien qu’on s’attache à son « démon ».</span></p> <p style="text-justify: inter-ideograph; margin: 0cm 0cm 0pt; text-align: justify;" class="MsoNormal"><span style="font-size: 10.5pt; font-family: Arial;"> </span></p> <p style="text-justify: inter-ideograph; margin: 0cm 0cm 0pt; text-align: justify;" class="MsoNormal"><span style="font-size: 10.5pt; font-family: Arial;"> </span></p> <p style="text-justify: inter-ideograph; margin: 0cm 0cm 0pt; text-align: justify;" class="MsoNormal"><i><span style="font-size: 9pt; font-family: Arial;">Le Démon d’Hannah</span></i> <span style="font-size: 9pt; font-family: Arial;">d’Antoine Rault</span></p> <p style="text-justify: inter-ideograph; margin: 0cm 0cm 0pt; text-align: justify;" class="MsoNormal"><b><span style="font-size: 9pt; font-family: Arial;">Comédie des Champs-Élysées</span></b></p> <p style="text-justify: inter-ideograph; margin: 0cm 0cm 0pt; text-align: justify;" class="MsoNormal"><span style="font-size: 9pt; font-family: Arial;">21 h</span></p> <p style="text-justify: inter-ideograph; margin: 0cm 0cm 0pt; text-align: justify;" class="MsoNormal"><span class="txt-11-rouge1"><b><span style="font-size: 6.5pt;"><span style="color: #fe1c0a;">01 53 23 99 19</span></span></b></span></p>
Marc Alpozzo
http://marcalpozzo.blogspirit.com/about.html
L’impossibilité d’une île ou la menace du post-humain (Michel Houellebecq)
tag:marcalpozzo.blogspirit.com,2008-11-11:3140147
2008-11-11T09:55:00+01:00
2008-11-11T09:55:00+01:00
Le désir d’éternité ! Qui n’en a jamais rêvé ? Plus que jamais notre...
<p style="text-align: justify;"><span style="font-size: 12pt;"><strong><span style="font-family: Georgia;">Le désir d’éternité ! Qui n’en a jamais rêvé ? Plus que jamais notre société consumériste, individualiste, nihiliste, athée, incapable de se penser dans la pérennité du groupe, pose cette alternative comme salvatrice. Je reprends ici une note que j'ai écrite à la sortie du film de <span style="color: #800000;"><a style="color: #800000;" href="http://marcalpozzo.blogspirit.com/michel-houellebecq/" target="_blank" rel="noopener">Michel Houellebecq</a></span>, qui a adapté son roman La possibilité d'une île, qu'il faudra relire, dans dix ans, lorsque le <span style="color: #800000;"><a style="color: #800000;" href="http://marcalpozzo.blogspirit.com/archive/2020/11/29/doit-on-craindre-le-transhumanisme-de-transhumain-a-la-trans-3157483.html" target="_blank" rel="noopener">transhumanisme</a></span> commencera à envahir nos vies et remplacer l'homme biologique par un nouvel homme, d'un autre âge, l'homme 1.0.</span></strong></span></p><p><img src="http://marcalpozzo.blogspirit.com/media/00/00/606997142.jpg" id="media-1071488" alt="" /></p><p style="text-align: justify;"><span style="font-family: Georgia; font-size: 12pt;"><img id="media-1071485" style="float: left; margin: 0.2em 1.4em 0.7em 0;" title="" src="http://marcalpozzo.blogspirit.com/media/02/02/715809167.jpeg" alt="possibilité.jpeg" />C’est bien à partir de cette idée que le dernier Houellebecq se compose, partant, précisément, de cette double question : la première plutôt métaphysique : <em>l’homme mérite-t-il la vie éternelle ? </em>La seconde, plus technique : <em>comment y accéder ?</em> Or, si à la première, Houellebecq donne une réponse plutôt personnelle : l’homme, indigent, ne mérite en rien la vie éternelle, car de celle-ci, il ne tirera qu’un manque d’émotion, un manque de plaisir. Or, qu’est-ce qu’il en resterait du bonheur, si toutes nos émotions nous seraient à tout jamais ôté ? La seconde réponse pour sa part, demeure des plus évidentes : le clonage ! </span></p><p style="text-align: justify;"><span style="font-family: Georgia; font-size: 12pt;"> </span></p><p style="text-align: justify;"><span style="font-family: Georgia; font-size: 12pt;">C’est donc l’histoire de Daniel1 qui se poursuit sur plusieurs générations : 25 en tout ! Daniel24 cite puis commente les textes laissés par son prédécesseur humain, lui le « néo-humain » tel qu’il l’appelle, un post-humain complètement cloné censé assurer la pérennité temporelle de Daniel1.<br /><br /></span></p><p style="text-align: justify;"><span style="font-family: Georgia; font-size: 12pt;">Mais pas de méprise, le nouveau Houellebecq est au livre d’anticipation ce que Christine Angot est à la grande littérature. Il faudrait plutôt considérer ce nouvel opus comme la suite des <em>Particules élémentaires</em>, au moment où les découvertes de Michel Dzerjinski vont permettre de modifier l’espèce. Modification sur deux points essentiels : l’homme sera asexué et immortel. À l’instar des précédents, sur le mode du roman sans intrigue, sous-tendu d’une histoire ténue, bardée de personnages stéréotypés fondés sur le modèle houellebecquien, nous entrons dans un des romans les plus étranges de Houellebecq. Certainement pas son meilleur roman, le rythme étant assez inégal. Reste tout de même le style de l’auteur, un style inimitable, celui qui a fait son succès à la fin du siècle dernier. </span></p><p style="text-align: justify;"><span style="font-family: Georgia; font-size: 12pt;"> </span></p><p style="text-align: justify;"><span style="font-family: Georgia; font-size: 12pt;">Dans<span style="color: #800000;"> <a style="color: #800000;" href="http://marcalpozzo.blogspirit.com/archive/2009/12/18/soleils-noirs-3-michel-houellebecq-le-devoir-d-etre-abject-1.html" target="_blank" rel="noopener">la lignée de ses prédécesseurs</a></span>, <em>La possibilité d’une île</em> est en prise avec son époque. Roman sociologique englué dans le réel et dénué du moindre style littéraire enseigné dans les classes de lycées, Houellebecq ne trahit pas sa démarche, ne se laisse pas réduire par quelques critiques littéraires dont les pendules du temps ont été stoppées depuis déjà vingt ans, continuant d’explorer le champ d’une littérature « post-moderne », sorte de littérature hybride aux frontières d’une fiction minimaliste et d’une vision rigoureuse, précise, d’une acuité « géniale » de notre époque et de sa décadence.</span></p><p style="text-align: center;"><img id="media-1071486" style="margin: 0.7em 0;" title="" src="http://marcalpozzo.blogspirit.com/media/02/01/3948455036.jpg" alt="possi4.jpg" /></p><p style="text-align: center;"><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 10pt;">Extrait <em>La possibilité d'une île</em> (2008)</span></p><p style="text-align: justify;"><span style="font-family: Georgia; font-size: 12pt;"><br />Dans ce roman, le point de départ est clair : l’amour est-il une réalité atteignable par les hommes et les femmes ou une cruelle fiction inspirée par notre sexualité biologique nous guidant dans un triste plaisir des corps totalement dénué de sentiments ?</span></p><p style="text-align: justify;"><span style="font-family: Georgia; font-size: 12pt;"> </span></p><p style="text-align: justify;"><span style="font-family: Georgia; font-size: 12pt;">« <em>Lorsque la sexualité disparaît, c'est le corps de l'autre qui apparaît, dans sa présence vaguement hostile ; ce sont ces bruits, ces mouvements, les odeurs ; et la présence même de ce corps qu'on ne peut plus toucher, ni sanctifier par le contact, devient peu à peu une gêne ; tout cela, malheureusement, est connu.</em> »</span></p><p style="text-align: justify;"><span style="font-family: Georgia; font-size: 12pt;"> </span></p><p style="text-align: justify;"><span style="font-family: Georgia; font-size: 12pt;">On connaît la fameuse « quête » du bonheur en laquelle Houellebecq ne croit pas, ou ne croit plus, lui qui par ce livre se pose une autre question fondamentale, celle du sens de la vie ? Heidegger avait, jadis, en son temps, repris la vieille question antique : « Pourquoi y a-t-il quelque chose plutôt que rien ? » Une question fondant la recherche du sens. Un sens que la secte des Élohims bien évidemment reprend dans ce roman. </span></p><p style="text-align: center;"><img id="media-1071487" style="margin: 0.7em 0;" title="" src="http://marcalpozzo.blogspirit.com/media/00/02/1238540430.jpg" alt="mimiche.jpg" /></p><p style="text-align: center;"><span style="font-size: 10pt; font-family: georgia, palatino, serif;">Michel Houellebecq sur le tournage </span><br /><span style="font-size: 10pt; font-family: georgia, palatino, serif;">de <em>La Possibilité d'une île</em> (2008)<br /><br /></span></p><p style="text-align: justify;"><span style="font-family: Georgia; font-size: 12pt;">L’intérêt de citer cette rencontre entre le narrateur et le prophète des Élohims, pour Houellebecq, est de souligner les limites de la science, de la technique et surtout des religions. Religions qui, dans ce roman, sont réduites à de vulgaires phénomènes de pure consommation. Religion qui, selon Houellebecq encore, supplanteront certainement la science dans un proche avenir car elles sont les seules capables d’assouvir le rêve de vie éternelle. </span></p><p style="text-align: justify;"><span style="font-family: Georgia; font-size: 12pt;"> </span></p><p style="text-align: justify;"><span style="font-family: Georgia; font-size: 12pt;">Mais la vie éternelle est-elle seulement une possibilité envisageable ? Et aurait-elle pour autant un sens ? Simone de Beauvoir dans <em>Les hommes sont tous mortels</em> en dénonçait déjà la supercherie. L’homme ne mérite pas un tel destin ! Car c’est le destin le plus funeste qui soit !<br /><br /></span></p><p style="text-align: center;"><img id="media-1071489" style="margin: 0.7em 0;" title="" src="http://marcalpozzo.blogspirit.com/media/00/00/3594030540.jpg" alt="possi5.jpg" /></p><p style="text-align: center;"><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 10pt;">Image du film <em>La Possibilité d'une île</em> (2008)</span></p><p style="text-align: justify;"><span style="font-family: Georgia; font-size: 12pt;"> </span></p><p style="text-align: justify;"><span style="font-family: Georgia; font-size: 12pt;">Quant à Houellebecq, s’il ne montre plus beaucoup de compassion pour ses « frères » humains, il continue tout de même de les créditer d’une faculté qui leur confère toute leur dignité : l’émotion. Faculté que la vie éternelle leur ôterait définitivement :<br /><br /></span></p><blockquote><p style="text-align: justify;"><span style="font-family: Georgia; font-size: 12pt;">« <em>Je compris également que l’ironie, le comique, l’humour devaient mourir, car le monde à venir était le monde du bonheur, et il ils n’y auraient plus aucune place.</em> »<br /><br /></span></p></blockquote><p style="text-align: justify;"><span style="font-family: Georgia; font-size: 12pt;">L’émotion, serait la rançon donc à payer pour obtenir le bonheur ? Et Houellebecq, en écrivain désespéré, au sens grec du terme, règle la question, sans illusions. <br /><br /></span></p><p style="text-align: justify;"><span style="font-family: Georgia; font-size: 12pt;">Dans sa vision désabusée d’un monde frisant l’absurde, il écrit au final, que cette « île » est de loin <strong><em>impossible</em></strong>, que <span style="color: #800000;"><a style="color: #800000;" href="http://marcalpozzo.blogspirit.com/archive/2019/06/26/peter-sloterdijk-et-le-parc-humain-faut-il-craindre-la-scien-3139435.html" target="_blank" rel="noopener">l’homme aussi évolué scientifiquement, techniquement, culturellement, resterait quoi qu’il prétende, une bête, un infra humain, un post-humain</a></span> dont les sentiments auraient disparu, et ne seraient pas plus heureux qu’autrefois. L’homme selon Houellebecq, ne mériterait donc pas la vie éternelle, car il ne sait que produire violence, tragédies et souffrance sur ses propres frères ; en bref, un homo sapiens à peine plus évolué que ses congénères, qui est pour lui-même le plus nuisible des êtres vivants.<br /><br /></span></p><p style="text-align: center;"><img id="media-1071490" style="margin: 0.7em 0;" title="" src="http://marcalpozzo.blogspirit.com/media/01/01/2442721052.jpg" alt="possi6.jpg" /></p><p style="text-align: center;"><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 10pt;">Michel Houellebecq et son chien</span><br /><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 10pt;">Tournage de <em>La Possibilité d'une île</em></span><br /><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 10pt;">(2008)<br /><br /></span></p><p style="text-align: justify;"><strong><span style="font-size: 12pt;"><em><span style="font-family: Georgia;">La Possibilité d'une île</span></em><span style="font-family: Georgia;">, Michel Houellebecq, Fayard, 488 pages, 2005.</span></span></strong></p><p style="text-align: justify;"><span style="color: #800000;"><strong><span style="font-size: 12pt;"><span style="font-family: Georgia;">En couverture :<em> « Le tribunal sur le Congo », </em>de Milo Rau – copyright the artist et Vinca Film</span></span></strong></span></p>
Marc Alpozzo
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La crise de l’éducation selon Hannah Arendt
tag:marcalpozzo.blogspirit.com,2007-09-03:3147188
2007-09-03T19:25:00+02:00
2007-09-03T19:25:00+02:00
Hier, une amie, tout fraîchement agrégée d’anglais, démarre dans son...
<p style="text-align: justify;"><strong><span style="font-size: 12pt; font-family: georgia, palatino, serif;">Hier, une amie, tout fraîchement agrégée d’anglais, démarre dans son nouvel établissement et m’écrit le soir même le mail suivant : « <em>De mon côté, je suis ravie d'être dans mon petit collège du Cannet... avec mes petits 6èmes... j'essaie d'être ludique et ça me rappelle beaucoup mon expérience de lectrice aux E.U.</em> » Eh oui, les États-Unis sont le laboratoire (de catastrophe générale ?) ayant inspiré nos <em>nouveaux pédagogues. </em>N'est-ce pas temps donc, de relire un texte d'<span style="color: #800000;"><a style="color: #800000;" href="http://marcalpozzo.blogspirit.com/hannah-arendt/" target="_blank" rel="noopener">Hannah Arendt</a></span>, tiré de son ouvrage <em>La crise de la culture</em>, à propos de l'éducation, pour saisir ce qui va désormais très mal dans notre civilisation, et, surtout, dans l'éducation que nous proposons aux générations futures ? Ce texte, je l'ai écrit spécialement pour l'<em><span style="color: #800000;">Ouvroir</span></em>.</span></strong></p><p><img src="http://marcalpozzo.blogspirit.com/media/02/01/2636048689.jpg" id="media-1084587" alt="" /></p><p style="text-align: justify;"> </p><p style="text-align: justify;"><span style="font-size: 12pt; color: black; font-family: georgia, palatino, serif;"><img id="media-1084588" style="float: left; margin: 0.2em 1.4em 0.7em 0;" title="" src="http://marcalpozzo.blogspirit.com/media/01/01/1453107888.jpg" alt="crise.jpg" /></span><span style="font-size: 12pt; font-family: georgia, palatino, serif;">Ce principe « stupide » (mais nécessaire, de plus en plus, aujourd’hui !) qui consiste à rendre les cours ludiques sont à la base d’une réelle crise de l’enseignement que connaît l’école française aujourd’hui.</span></p><p style="text-align: justify;"> </p><p style="text-align: justify;"><span style="font-size: 12pt; font-family: georgia, palatino, serif;">De cela <span style="color: #800000;"><a style="color: #800000;" href="http://marcalpozzo.blogspirit.com/hannah-arendt/" target="_blank" rel="noopener">Hannah Arendt</a></span> dans les années 60 s’en faisait déjà l’écho. Hannah Arendt, philosophe que l’on néglige d’ailleurs trop souvent malgré la place de tout premier choix qu’elle occupe en philosophie politique, fut le disciple de Martin Heidegger, avant d’avoir à fuir parce qu’elle était juive, l’Allemagne nazie, pour se réfugier aux Etats-Unis où elle trouva l’asile politique. De fait, son œuvre questionne presque essentiellement, les divers régimes politiques, les limites de la démocratie, et notamment <span style="color: #800000;"><a style="color: #800000;" href="http://marcalpozzo.blogspirit.com/archive/2008/01/11/hannah-arendt-et-la-banalite-du-mal.html" target="_blank" rel="noopener">le totalitarisme</a></span>.</span></p><p style="text-align: justify;"> </p><p style="text-align: justify;"><span style="font-size: 12pt; font-family: georgia, palatino, serif;">Mais c’est dans un splendide ouvrage qu’il s’agit de lire et relire, tant il est prophétique, voire actuel, <em>La crise de la culture</em>, que l’on trouve ce superbe article « La crise de l’éducation »<a href="#_ftn1" name="_ftnref1">[1]</a> que j’ai relu et synthétisé ici, pour mieux saisir les enjeux de la crise de l’autorité sévissant dans nos écoles et dans nos sociétés modernes, et essayer d’en comprendre les conséquences, ou tout du moins les enjeux.</span></p><p style="text-align: justify;"> </p><p style="text-align: justify;"><span style="font-size: 12pt; font-family: georgia, palatino, serif;">Le <strong><em>problème</em> </strong>posé par Hannah Arendt est le suivant : pourquoi l’éducation américaine est-elle en crise lorsqu’on sait combien l’Amérique place sa confiance en une « perfectibilité indéfinie » ?</span></p><p style="text-align: center;"><img id="media-1084589" style="margin: 0.7em 0;" title="" src="http://marcalpozzo.blogspirit.com/media/01/00/1614830129.jpg" alt="doisneau.jpg" /></p><p style="text-align: center;"> <span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 10pt;">Robert Doisneau - Les enfants des rues et l'école</span></p><p style="text-align: justify;"><span style="color: #800000;"><strong><span style="font-size: 12pt; font-family: georgia, palatino, serif;">Partie I</span></strong></span></p><p style="text-align: justify;"><span style="font-size: 12pt; font-family: georgia, palatino, serif;">Années 60, les Etats-Unis connaissent une crise de l’éducation sans précédent, crise qui en crée une autre, politique celle-ci.</span></p><p style="text-align: justify;"> </p><p style="text-align: justify;"><span style="font-size: 12pt; font-family: georgia, palatino, serif;">Premier constat : aux Etats-Unis, l’éducation joue un rôle fondamental : elle favorise l’« américanisation » des enfants d’immigrants. L’éducation est donc la « seule gageure de fondre les groupes ethniques en un seul peuple »<a href="#_ftn2" name="_ftnref2">[2]</a>. Une américanisation qui passe surtout par l’apprentissage de la langue anglaise.</span></p><p style="text-align: justify;"><span style="font-size: 12pt; font-family: georgia, palatino, serif;"> </span></p><p style="text-align: justify;"><span style="font-size: 12pt; font-family: georgia, palatino, serif;"> « L’éducation ne peut jouer aucun rôle en politique, car en politique, ce sont toujours à ceux qui sont déjà éduqués que l’on a affaire »<a href="#_ftn3" name="_ftnref3">[3]</a>. Alors qu’en Europe, on prétend pouvoir éduquer des enfants, en les préparant, sans pour autant souhaiter leur donner une place, ni leur donner l’occasion d’innover.</span></p><p style="text-align: justify;"> </p><p style="text-align: justify;"><span style="font-size: 12pt; font-family: georgia, palatino, serif;">En réalité, si l’Amérique connaît une crise de l’éducation, c’est parce que la politique de ce pays, consiste à égaliser tous ces concitoyens, en effaçant les différences (jeunes/vieux/doués/non-doués/enfants/adultes/professeur/élève). Or, cela met une pression sur l’autorité, qui connaît un notable fléchissement. </span></p><p style="text-align: center;"><img id="media-1084591" style="margin: 0.7em 0;" title="" src="http://marcalpozzo.blogspirit.com/media/02/00/2055125359.jpg" alt="doisneau4.jpg" /></p><p style="text-align: center;"><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 10pt;">Robert Doisneau, La Libellule, <br /></span><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 10pt;">École de la rue de Verneuil, Paris, mai 1956</span></p><p style="text-align: center;"> </p><p style="text-align: justify;"><span style="color: #800000;"><strong><span style="font-size: 12pt; font-family: georgia, palatino, serif;">Partie II</span></strong></span></p><p style="text-align: justify;"><span style="font-size: 12pt; font-family: georgia, palatino, serif;">À partir de la crise de l’éducation, de l’autorité des enseignants, et de l’enseignement en général, Hannah Arendt dégage trois grandes idées :</span></p><p style="text-align: justify;"><span style="font-size: 12pt; font-family: georgia, palatino, serif;"><strong><em>La première idée,</em> </strong>qui explique les raisons de ce délitement de l’éducation et de l’autorité. C’est dans la division au sein de la société de deux groupes : celui des adultes et des enfants. L’autorité des adultes est remise entre les mains d’un enfant qui, au sein du groupe des enfants, dit aux autres ce qu’ils doivent faire. Cela crée un renversement : « affranchi de l’autorité des adultes, l’enfant n’a donc pas été libéré, mais soumis à une autorité bien plus effrayante et vraiment tyrannique : la tyrannie de la majorité. »<a href="#_ftn4" name="_ftnref4">[4]</a></span></p><p style="text-align: justify;"> </p><p style="text-align: justify;"><span style="font-size: 12pt; font-family: georgia, palatino, serif;"><em><strong>La deuxième idée</strong> : </em>celle-ci a trait à l’enseignement lui-même : sous l’influence de nouvelles méthodes pédagogiques, dites « modernes », l’enseignant ne transmet plus un savoir précis qu’il aurait d’abord appris dans l’effort à maîtriser, mais enseigne « n’importe quoi »<a href="#_ftn5" name="_ftnref5">[5]</a>. De fait, il peut lui arriver d’en savoir moins que l’élève. Cela affaiblit son autorité d’enseignant, une autorité qui repose sur la maîtrise de la discipline qu’il enseigne. Cette théorie, qui est fautive dans la crise actuelle de l’éducation, appelle <em>la <strong>troisième idée</strong> : </em>selon les modernes, il s’agit de conduire le plus efficacement les enfants dans le monde. Pour ce faire, dans les écoles, on substitue « autant que possible le faire à l’apprendre », ce qui revient à dire, qu’il s’agit dès à présent de remplacer l’enseignement d’un <strong>savoir</strong> par l’inculcation d’un <strong>savoir-faire</strong>. On rend les enseignements ludiques, car on considère que « le jeu est le mode d’expression le plus vivant. »<a href="#_ftn6" name="_ftnref6">[6]</a> <br /><br />Dans ce cas de figure, on prétend assurer l’entrée de l’enfant dans le monde, tout en préservant son « indépendance » (en France, on parle très abusivement d'autonomie, alors même qu'on devrait parler d'<em>infantilisation</em>). En réalité, on infantilise l'élève, et le maintient « artificiellement » dans l’enfance, en l’excluant, du même coup, du monde des adultes. Selon Hannah Arendt, cela brise précisément, la relation qui devrait s’installer entre enfant et adulte, et cela s'oppose au fait, que l’enfance n’est qu’une phase transitoire. Le passage d’un monde à un autre.</span></p><p style="text-align: justify;"> </p><p style="text-align: justify;"><span style="font-size: 12pt; font-family: georgia, palatino, serif;">De ce constat édifiant (vérifiable en France, en 2000), Hannah Arendt dégage deux grandes questions : 1. Pour quelles raisons a-t-on pu, pendant des années, parler et agir en contradiction si flagrante avec le bon sens ? 2. Quelles leçons pouvons-nous tirer de cette crise, quant à l’essence de l’éducation,, en réfléchissant précisément au rôle que joue l’éducation dans toute civilisation ?</span></p><p style="text-align: justify;"> </p><p style="text-align: center;"><img id="media-1084590" style="margin: 0.7em 0;" title="" src="http://marcalpozzo.blogspirit.com/media/00/00/4114500815.jpg" alt="doisneau2.jpg" /></p><p style="text-align: center;"><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 10pt;">Le cancre par Robert Doisneau</span></p><p style="text-align: justify;"><span style="color: #800000;"><strong><span style="font-size: 12pt; font-family: georgia, palatino, serif;">Partie III</span></strong></span></p><p style="text-align: justify;"><span style="font-size: 12pt; font-family: georgia, palatino, serif;">Hannah Arendt commence par la seconde question : les enfants sont des « nouveaux venus ». Ils sont en devenir dans un monde qui leur est étranger. Un devenir qu’il partage d’ailleurs, nous précise Hannah Arendt, avec tous les autres êtres vivants. Aussi, l'enfant a besoin d'un abri dans le monde privé, de parents qui le protègent du monde public.</span></p><p style="text-align: justify;"> </p><p style="text-align: justify;"><span style="font-size: 12pt; font-family: georgia, palatino, serif;">Or, en fusionnant les deux domaines (public et privé), par l’instauration d’un monde propre à l’enfant, les adultes détruisent « les conditions nécessaires de leur développement et de leur croissance »<a href="#_ftn7" name="_ftnref7">[7]</a>. C’est à l’école de s’intercaler entre la famille et le monde. Les adultes sont censés être les responsables de l’épanouissement de l’enfant selon Hannah Arendt, et cette responsabilité dans l’éducation s’exerce sous la forme de l’« autorité ». Nous revenons toujours à cela !</span></p><p style="text-align: justify;"> </p><p style="text-align: justify;"><span style="font-size: 12pt; font-family: georgia, palatino, serif;">Constat sans appel de l’auteur : l’autorité ne joue plus le moindre rôle, voire ne trouve plus aucune représentation dans notre monde contemporain. Et « si l’on retire l’autorité de la vie publique et politique cela veut dire que la responsabilité de la marche du monde est demandée à chacun »<a href="#_ftn8" name="_ftnref8">[8]</a>. Mais dans le cadre de l’école, la disparition de l’autorité ne peut être que la cause d’une grave crise, car cela veut dire que les adultes se défaussent de leur responsabilité ; la première étant d’assumer le monde dans lequel ils ont placé les enfants.</span></p><p style="text-align: justify;"> </p><p style="text-align: justify;"><span style="font-size: 12pt; font-family: georgia, palatino, serif;">Et cette disparition de l’autorité dans la sphère pré-politique, s’étend désormais au domaine public, pour finir dans le domaine privé.</span></p><p style="text-align: justify;"> </p><p style="text-align: center;"><img id="media-1084592" style="margin: 0.7em 0;" title="" src="http://marcalpozzo.blogspirit.com/media/02/01/1038009279.jpg" alt="doisneau7.jpg" /></p><p style="text-align: center;"><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 10pt;">« Le cadran solaire », Paris, 1956. (Photo Robert Doisneau)</span></p><p style="text-align: center;"> </p><p style="text-align: justify;"><span style="color: #800000;"><strong><span style="font-size: 12pt; font-family: georgia, palatino, serif;">Partie IV</span></strong></span></p><p style="text-align: justify;"><span style="font-size: 12pt; font-family: georgia, palatino, serif;">Selon Hannah Arendt, cette crise de l’autorité est le fruit d’une crise de la tradition, inspirant l’allergie de tout ce qui touche au passé<a href="#_ftn9" name="_ftnref9">[9]</a>. Or, l’éducation ne peut négliger l’autorité, « faire fi » de celle-ci, au nom du progressisme. Le philosophe rappelle, qu’elle ne peut s’exercer dans un monde qui ne serait pas structuré par l’autorité ou la tradition<a href="#_ftn10" name="_ftnref10">[10]</a>.</span></p><p style="text-align: justify;"> </p><ol style="text-align: justify;"><li><span style="font-size: 12pt; font-family: georgia, palatino, serif;">Il faut expliquer aux enfants que le monde dans lequel ils vivent est plus vieux qu’eux, ce qui nous interdit de négliger le passé.</span></li><li><span style="font-size: 12pt; font-family: georgia, palatino, serif;">Une ligne sépare les enfants des adultes et cette ligne nous montre qu’on ne peut ni éduquer les adultes ni traiter les enfants comme s’ils étaient déjà de grandes personnes. Cette ligne ne doit d’ailleurs jamais être installée définitivement comme si elle était un terme. Elle n’est que provisoire et s’efface avec le premier diplôme.</span></li></ol><p> </p><p style="text-align: justify;"><span style="font-size: 12pt; font-family: georgia, palatino, serif;">C’est ainsi que, par l’éducation, et le soin que nous leur portons, nous prouvons selon Hannah Arendt, que nous aimons nos enfants ou non.</span></p><p style="text-align: justify;"> </p><p style="text-align: center;"><img id="media-1084593" style="margin: 0.7em 0;" title="" src="http://marcalpozzo.blogspirit.com/media/01/02/3213775982.jpg" alt="doisneau8.jpg" /></p><p style="text-align: center;"><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 10pt;">Robert Doineau, <em>Une salle de classe</em>, 1957</span></p><p style="text-align: center;"> </p><p style="text-align: justify;"><span style="font-size: 12pt; color: #800000;"><strong><span style="font-family: georgia, palatino, serif;">En couverture : Hannah Arendt en 1972.</span></strong></span></p><p style="text-align: justify;"><span style="font-size: 12pt; font-family: georgia, palatino, serif;">________________________________</span></p><p style="text-align: justify;"><span style="font-size: 12pt; font-family: georgia, palatino, serif;"><a href="#_ftnref1" name="_ftn1">[1]</a> p.223 à 252.</span></p><p style="text-align: justify;"><span style="font-size: 12pt; font-family: georgia, palatino, serif;"><a href="#_ftnref2" name="_ftn2">[2]</a> p.225.</span></p><p style="text-align: justify;"><span style="font-size: 12pt; font-family: georgia, palatino, serif;"><a href="#_ftnref3" name="_ftn3">[3]</a> pp.277-228.</span></p><p style="text-align: justify;"><span style="font-size: 12pt; font-family: georgia, palatino, serif;"><a href="#_ftnref4" name="_ftn4">[4]</a> p.233.</span></p><p style="text-align: justify;"><span style="font-size: 12pt; font-family: georgia, palatino, serif;"><a href="#_ftnref5" name="_ftn5">[5]</a> « Puisque le professeur n’a pas besoin de connaître sa propre discipline, il arrive fréquemment qu’il en sait à peine plus que ses élèves », p.234.</span></p><p style="text-align: justify;"><span style="font-size: 12pt; font-family: georgia, palatino, serif;"><a href="#_ftnref6" name="_ftn6">[6]</a> p.235.</span></p><p style="text-align: justify;"><span style="font-size: 12pt; font-family: georgia, palatino, serif;"><a href="#_ftnref7" name="_ftn7">[7]</a> p.240. « Plus la société moderne supprime la différence entre ce qui est privé et ce qui est public, entre ce qui ne peut s’épanouir qu’à l’ombre et ce qui demande à être montré à tous en pleine lumière du monde public, autrement dit plus la société intercale entre le public et le privé une sphère sociale où le privé est redu public et vice versa, plus elle rend les choses difficiles à ses enfants qui par nature ont besoin d’un abri sûr pour grandir sans être dérangés », p.241. </span></p><p style="text-align: justify;"><span style="font-size: 12pt; font-family: georgia, palatino, serif;"><a href="#_ftnref8" name="_ftn8">[8]</a> p.241.</span></p><p style="text-align: justify;"><span style="font-size: 12pt; font-family: georgia, palatino, serif;"><a href="#_ftnref9" name="_ftn9">[9]</a> p.247.</span></p><p style="text-align: justify;"><span style="font-size: 12pt; font-family: georgia, palatino, serif;"><a href="#_ftnref10" name="_ftn10">[10]</a> p.250.</span></p>
Marc Alpozzo
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L’humanisme de Sartre
tag:marcalpozzo.blogspirit.com,2005-11-01:2978158
2005-11-01T11:05:00+01:00
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À la sortie de la Seconde Guerre mondiale, l’humanisme classique est...
<p style="text-align: justify;"><span style="font-size: 12pt;"><strong><span style="font-family: georgia, palatino; line-height: 19.228px; text-align: justify;">À la sortie de la Seconde Guerre mondiale, l’humanisme classique est décrédibilisé. Le nazisme, les camps de la mort ou encore Hiroshima tendent à éteindre les lumières de l’humanisme… Car on constate avec une grande tristesse, que ni la Raison ni la culture n’ont permis d’éviter Auschwitz. Cette faillite des valeurs de l’humanisme, cette déroute des idéaux des Lumières et de l’optimisme scientiste du XIXème devient alors un écueil majeur pour l’humanisme classique. La rationalité des Lumières n’a pas eu raison de la barbarie nazie, pis, la rationalité fut instrumentalisée par l’idéologie nazie, qui mit au point les camps de la mort selon une organisation minutieuse et scientifique. Cet article est paru dans le numéro 14, du<span style="font-family: georgia, palatino; font-size: 12pt;"><span style="color: #800000;"><em> Journal de la cultur</em><em>e</em></span>, de juillet 2005. Le voici désormais en accès libre dans l'<span style="color: #800000;"><em>Ouvroir</em></span>.</span></span></strong></span></p><p><img src="http://marcalpozzo.blogspirit.com/media/02/02/1241957426.jpg" id="media-872230" alt="" /></p><div class="texte" style="font-size: 0.92em; line-height: 1.9em; font-family: Georgia, 'Times New Roman', serif; letter-spacing: normal;"><p style="text-align: justify;"> </p><p style="text-align: justify;"><span style="font-size: 0.92em; line-height: 1.9em;"><img id="media-1068205" style="float: left; margin: 0.2em 1.4em 0.7em 0;" title="" src="http://marcalpozzo.blogspirit.com/media/00/01/2196130626.jpg" alt="sartre" /> <br /></span><span style="font-family: georgia, palatino; font-size: 12pt;">Aussi, à la sortie de la Seconde Guerre mondiale, <span style="color: #800000;"><a style="color: #800000;" href="http://marcalpozzo.blogspirit.com/martin-heidegger/" target="_blank" rel="noopener">Heidegger</a></span> qui avait à justifier son adhésion au nazisme, écrit-il dans une lettre célèbre adressée à Jean Beaufret que face à l’effondrement des humanismes classiques, il s’agit de renoncer à l’idée de l’homme comme sujet pour faire du Dasein le « berger de l’Être » [<a id="nh1" class="spip_note" style="text-decoration: none; color: #333333;" title="Martin Heidegger, Lettre sur l’humanisme, Gallimard, tel." href="http://www.lekti-ecriture.com/contrefeux/l-humanisme-de-sartre.html#nb1" rel="footnote">1</a>].<br /><br /></span></p><p style="font-family: Georgia, 'Times New Roman', serif; font-size: 0.92em; text-align: justify;"><span style="font-family: georgia, palatino; font-size: 12pt;">De l’autre côté, pour les marxistes et les existentialistes chrétiens, l’humanisme classique a oublié « l’homme concret » qui se définit à travers une praxis historique pour les premiers, à travers la transcendance, seul rapport possible à laquelle l’existence de cette créature finie qu’est l’homme peut prendre un sens, pour les seconds.<br /><br /></span></p><p style="font-family: Georgia, 'Times New Roman', serif; font-size: 0.92em; text-align: justify;"><span style="font-family: georgia, palatino; font-size: 12pt;">Dans cette « querelle » [<a id="nh2" class="spip_note" style="text-decoration: none; color: #333333;" title="Alain Renaut, Sartre, le dernier des philosophes, Grasset." href="http://www.lekti-ecriture.com/contrefeux/l-humanisme-de-sartre.html#nb2" rel="footnote">2</a>] , <span style="color: #800000;"><a style="color: #800000;" href="http://marcalpozzo.blogspirit.com/tag/sartre" target="_blank" rel="noopener">Sartre</a></span> prend position, contre toute attente, et va se définir une stratégie.<br /><br /></span></p><p style="font-family: Georgia, 'Times New Roman', serif; font-size: 0.92em; text-align: justify;"><span style="font-family: georgia, palatino; font-size: 12pt;">C’est en 1945 qu’il se dit explicitement « humaniste » [<a id="nh3" class="spip_note" style="text-decoration: none; color: #333333;" title="Le 29 octobre 1945, il prononce une conférence à la demande du club (...)" href="http://www.lekti-ecriture.com/contrefeux/l-humanisme-de-sartre.html#nb3" rel="footnote">3</a>]. Ceux qui avaient lu <em>La nausée</em>, ne pouvaient que s’interroger sur ce curieux revirement. N’est-ce pas Sartre qui écrit à l’époque de La nausée que l’existence humaine est manque, vide « trou dans l’être » ? Cette drôle de conversion à l’humanisme sera alors d’emblée suspecte, ou pour d’autres n’en sera pas une [<a id="nh4" class="spip_note" style="text-decoration: none; color: #333333;" title="Jean Kanapa, L’existentialisme n’est pas un humanisme, éditions (...)" href="http://www.lekti-ecriture.com/contrefeux/l-humanisme-de-sartre.html#nb4" rel="footnote">4</a>].<br /><br /></span></p><p style="font-family: Georgia, 'Times New Roman', serif; font-size: 0.92em; text-align: justify;"><span style="font-family: georgia, palatino; font-size: 12pt;">Une mécompréhension très compréhensible si l’on ne saisit pas l’origine même de ce revirement qui trouve sa source dans l’expérience de la « drôle de guerre », le stalag, et que Sartre rapporte à partir d’une conception de la communauté humaine à laquelle il se rattache et, dans laquelle, il se situe comme un individu <em>comme</em> les autres [<a id="nh5" class="spip_note" style="text-decoration: none; color: #333333;" title="Il se confiera à Simone de Beauvoir en ces termes : « Dans les camps de (...)" href="http://www.lekti-ecriture.com/contrefeux/l-humanisme-de-sartre.html#nb5" rel="footnote">5</a>].<br /><br /></span></p><p style="font-family: Georgia, 'Times New Roman', serif; font-size: 0.92em; text-align: justify;"><span style="font-family: georgia, palatino; font-size: 12pt;">L’expérience de la Seconde Guerre mondiale fut, en effet, assez cruciale pour venir modifier en profondeur le regard de Sartre sur autrui. Pour ce « deuxième » Sartre, l’individu n’est plus posé contre la communauté, tel qu’il le décrivait dans La Nausée, mais est agrégé, qu’il le souhaite ou non, à la communauté entière. Certes, Sartre penseur athée, considère qu’il n’existe aucune nature humaine, aucune espèce humaine, ou d’Homme en général. L’expérience de la communauté humaine demeure une expérience prégnante, elle suppose surtout que je reconnaisse une identité à travers la multiplicité des individus. Sans que cela n'ait le moindre rapport avec l’essence de l’homme, que Sartre ne reconnaît pas, j’ai mon « être-homme » en commun avec autrui.<br /><br /></span></p><p style="font-family: Georgia, 'Times New Roman', serif; font-size: 0.92em; text-align: justify;"><span style="font-family: georgia, palatino; font-size: 12pt;">Cela explique probablement la deuxième raison pour laquelle Sartre se ralliera à l’humanisme. D’abord, il explique que l’on peut désormais dégager deux sens de l’humanisme : la première est l’humanisme classique, qu’il dénonce à la fin de L<em>’existentialisme est un humanisme</em>, puisque cet humanisme-là « prend l’homme comme fin et comme valeur supérieure » [<a id="nh6" class="spip_note" style="text-decoration: none; color: #333333;" title="Jean-Paul Sartre, L’existentialisme est un humanisme, Gallimard, Folio, (...)" href="http://www.lekti-ecriture.com/contrefeux/l-humanisme-de-sartre.html#nb6" rel="footnote">6</a>], et parce qu’il prend sa source dans une nature humaine, ce qui ne pourrait correspondre avec l’existentialisme qui pose comme principe que l’existence précède l’essence, et pense cette possibilité « absurde » [<a id="nh7" class="spip_note" style="text-decoration: none; color: #333333;" title="Ibid., p.75." href="http://www.lekti-ecriture.com/contrefeux/l-humanisme-de-sartre.html#nb7" rel="footnote">7</a>] car elle supposerait qu’on puisse cesser d’être soi-même un homme pour pouvoir comparer la valeur de l’homme et les autres valeurs.</span></p><p style="font-family: Georgia, 'Times New Roman', serif; font-size: 0.92em; text-align: justify;"> </p><p><span style="font-size: 12pt;"><img id="media-1068209" style="margin: 0.7em auto; display: block;" title="" src="http://marcalpozzo.blogspirit.com/media/00/01/3593333562.jpg" alt="sartre" /></span></p><p style="text-align: center;"><span style="font-size: 10pt;">Jean-Paul Sartre</span></p><p style="text-align: center;"> </p><p style="font-family: Georgia, 'Times New Roman', serif; font-size: 0.92em; text-align: justify;"><span style="font-family: georgia, palatino; font-size: 12pt;">Mais cela veut surtout dire que Sartre met au point un humanisme qui lui est propre. Un humanisme qui ne saurait être prononcé sans le concept d’existentialisme. Celui de l’homme « condamné à être libre ». Celui de l’homme qui se choisit, et décide de sa vie même lorsqu’il n’a pas conscience de choisir. C’est l’exemple du bourreau qui choisit d’être bourreau, ou de l’avocat qui choisit d’être avocat. Et cela correspond au sens de sa célèbre formule venant inverser la conception classique : « l’existence précède l’essence. » Pour Sartre, l’homme n’a pas d’essence. L’homme jeté au monde, va d’abord exister en tant qu’existant, puis se définir ensuite.<br /><br /></span></p><p style="font-family: Georgia, 'Times New Roman', serif; font-size: 0.92em; text-align: justify;"><span style="font-family: georgia, palatino; font-size: 12pt;">Une liberté absolue qui ne va pas sans une grande contrainte, naturellement : celle d’endosser la pleine responsabilité de ses actes. Car « liberté » signifie nécessairement « responsabilité ». Subjectif au départ, l’acte engage l’homme en général, c’est-à-dire que lorsque je me choisis un personnage, je choisis par là même un rôle pour l’humanité. Je suis ce que je pense que l’homme en général devrait être.<br /><br /></span></p><p style="font-family: Georgia, 'Times New Roman', serif; font-size: 0.92em; text-align: justify;"><span style="font-family: georgia, palatino; font-size: 12pt;">La pensée de Sartre se trouve alors au centre de cette grande question kantienne : <em>« que dois-je faire ? »</em> Il nous montre que rien d’extérieur à nous ne peut décider à notre place. Ni la Raison de la morale kantienne, car elle conduit à des dilemmes, donc est incapable de choisir. Ni les sentiments, car c’est moi qui accepte de les ressentir et non d’y résister. Ni les conseils des personnes de confiance, car je choisis les personnes dont j’estimerai les conseils ; ce ne sont donc pas eux, mais moi en définitive qui décide. Ni des signes extérieurs (vocation, destin…) car ils n’existent que par mon interprétation, et n’ont de valeur que si je leur en donne.</span></p><p style="font-family: Georgia, 'Times New Roman', serif; font-size: 0.92em; text-align: justify;"> </p><p style="text-align: center;"><span style="font-size: 12pt;"><img id="media-1068208" style="margin: 0.7em auto; display: block;" title="" src="http://marcalpozzo.blogspirit.com/media/00/02/2335846709.jpg" alt="sartre" /></span></p><p style="text-align: center;"><span style="font-size: 10pt;">Jean-Paul Sartre (1905-1980)</span></p><p style="text-align: center;"> </p><p style="font-family: Georgia, 'Times New Roman', serif; font-size: 0.92em; text-align: justify;"><span style="font-family: georgia, palatino; font-size: 12pt;">Ce qui veut dire que l’existentialisme, sans être une apologie de l’acte gratuit, accorde à l’homme, ce rôle fondamental de législateur de lui-même. Ce qui tend nécessairement vers une morale ; l’homme ne pouvant faire autrement que se fonder sa propre morale, puisque la « vraie » liberté ne saurait se gagner qu’en conformité à des règles.<br /><br /></span></p><p style="font-family: Georgia, 'Times New Roman', serif; font-size: 0.92em; text-align: justify;"><span style="font-family: georgia, palatino; font-size: 12pt;">Voilà pourquoi il ne s’agit pas de penser le ralliement de Sartre à l’humanisme comme un projet opportuniste afin de s’imposer sur la scène philosophique, mais de le penser comme un vrai engagement en tant qu’il défend une doctrine de l’« action », fondant sa morale de l’engagement qui est au centre même de sa pensée. Ça n’est donc rien de moins qu’une conception novatrice de l’humanisme qui tend à convaincre que l’existentialisme est un « optimisme », une « doctrine d’action » qui pense l’Homme et l’existence de façon radicalement neuve.<br /><br /></span></p><p style="text-align: left;"><strong><span style="font-family: georgia, palatino; font-size: 12pt;"><img id="media-1127026" style="float: left; margin: 0.2em 1.4em 0.7em 0;" title="" src="http://marcalpozzo.blogspirit.com/media/01/01/2532850373.jpeg" alt="jean-paul sartre,simone de beauvoir,heidegger,alain renaut,jean beaufret,sartre" />Paru dans le<span style="color: #800000;"><em> Journal de la cultur</em></span>e, n°14 Juil-Août 2005.</span></strong></p><p style="text-align: left;"> </p><p style="text-align: left;"> </p><p style="text-align: left;"> </p><p style="text-align: left;"> </p><p style="text-align: left;"> </p><p style="text-align: left;"> </p><p style="text-align: left;"> </p></div><p style="text-align: justify;"><span style="font-family: georgia, palatino; font-size: 12pt;">___________________________________________</span></p><div class="notes" style="margin-top: 1.4em; padding-top: 2px; clear: both; font-size: 0.77em; color: #333333; font-family: Georgia, 'Times New Roman', serif; letter-spacing: normal;"><p style="text-align: justify;"><span style="font-family: georgia, palatino; font-size: 12pt;">[<a id="nb1" class="spip_note" style="text-decoration: none; color: #333333;" title="Notes 1" href="http://www.lekti-ecriture.com/contrefeux/l-humanisme-de-sartre.html#nh1" rev="footnote">1</a>] Martin Heidegger, <em>Lettre sur l’humanisme</em>, Gallimard, tel.</span></p><p style="text-align: justify;"><span style="font-family: georgia, palatino; font-size: 12pt;">[<a id="nb2" class="spip_note" style="text-decoration: none; color: #333333;" title="Notes 2" href="http://www.lekti-ecriture.com/contrefeux/l-humanisme-de-sartre.html#nh2" rev="footnote">2</a>] Alain Renaut, <em>Sartre, le dernier des philosophes</em>, Grasset.</span></p><p style="text-align: justify;"><span style="font-family: georgia, palatino; font-size: 12pt;">[<a id="nb3" class="spip_note" style="text-decoration: none; color: #333333;" title="Notes 3" href="http://www.lekti-ecriture.com/contrefeux/l-humanisme-de-sartre.html#nh3" rev="footnote">3</a>] Le 29 octobre 1945, il prononce une conférence à la demande du club Maintenant, dont le texte sténographié et à peine retouché par Sartre sera intitulé <em>L’existentialisme est un humanisme</em>.</span></p><p style="text-align: justify;"><span style="font-family: georgia, palatino; font-size: 12pt;">[<a id="nb4" class="spip_note" style="text-decoration: none; color: #333333;" title="Notes 4" href="http://www.lekti-ecriture.com/contrefeux/l-humanisme-de-sartre.html#nh4" rev="footnote">4</a>] Jean Kanapa, <em>L’existentialisme n’est pas un humanisme</em>, éditions sociales.</span></p><p style="text-align: justify;"><span style="font-family: georgia, palatino; font-size: 12pt;">[<a id="nb5" class="spip_note" style="text-decoration: none; color: #333333;" title="Notes 5" href="http://www.lekti-ecriture.com/contrefeux/l-humanisme-de-sartre.html#nh5" rev="footnote">5</a>] Il se confiera à Simone de Beauvoir en ces termes : « Dans les camps de prisonniers, il y avait une seule manière d’être avec les autres, on se confiait les uns avec les autres, on se demandait des conseils, etc. » in Simone de Beauvoir, <em>La cérémonie des adieux</em>, Gallimard, p. 338.</span></p><p style="text-align: justify;"><span style="font-family: georgia, palatino; font-size: 12pt;">[<a id="nb6" class="spip_note" style="text-decoration: none; color: #333333;" title="Notes 6" href="http://www.lekti-ecriture.com/contrefeux/l-humanisme-de-sartre.html#nh6" rev="footnote">6</a>] Jean-Paul Sartre, <em>L’existentialisme est un humanisme</em>, Gallimard, Folio, p.74.</span></p><p style="text-align: justify;"><span style="font-family: georgia, palatino; font-size: 12pt;">[<a id="nb7" class="spip_note" style="text-decoration: none; color: #333333;" title="Notes 7" href="http://www.lekti-ecriture.com/contrefeux/l-humanisme-de-sartre.html#nh7" rev="footnote">7</a>] Ibid., p.75.</span></p></div>