Last posts on Barthes2024-03-28T14:42:23+01:00All Rights Reserved blogSpirithttps://starter.blogspirit.com/https://starter.blogspirit.com/fr/explore/posts/tag/Barthes/atom.xmlOlivier Beaunayhttp://oliverbe.blogspirit.com/about.htmlAtours, grimoire et amitié (A propos de R|B, Mythologies)tag:oliverbe.blogspirit.com,2008-01-08:14582882008-01-08T21:50:00+01:002008-01-08T21:50:00+01:00Il y a dans la vie des moments magiques parce qu'ils témoignent soudain, au...
Il y a dans la vie des moments magiques parce qu'ils témoignent soudain, au milieu de la suite ordinaire des jours, d'un agencement harmonieux de notre existence à travers la conscience intime que nous prenons alors de sa durée, par l'irruption d'un signe de connivence qui, trouvant son ancrage loin dans le passé, continue miraculeusement de se manifester dans le présent.Il me faut dire tout d'abord que j'aime Barthes. Vers 18 ans, faisant d'un retard d'inscription en hypokhâgne l'opportunité d'une année de libre exploration, la lecture de la plus grande partie de son oeuvre a été simultanément une révélation et un plaisir. Révélation d'un nouveau regard sur le monde, plaisir d'une lecture à la fois lumineuse et familière, comme une voix qui trouverait soudain en soi une résonnance singulière.<em>Le degré zéro de l'écriture</em>, <em>Michelet</em>, <em>Sur Racine</em>, <em>Les essais critiques</em>, <em>Système de la mode</em>, <em>Sade, Fourier, Loyola</em>, <em>Le plaisir du texte</em>, <em>Fragments d'un discours amoureux</em> bien sûr, mais aussi <em>Roland Barthes</em> par lui-même... ces livres-là n'ont pas peu contribué à ce que cette année de libertinage vale mille fois plus qu'une année de voyages (c'est toujours la même histoire : plutôt le risque du décrochage que l'enfer du désenchantement). Avec ces livres, le commentaire l'emportait sur l'oeuvre et la jouissance du discours sur le plaisir du texte. Créer, avec coeur et, de préférence, avec talent, c'était bien ; commenter, avec intelligence, c'était mieux. Plus encore, par une sorte de peur du vide (au sens de la platitude, de l'insipide, de l'ennui, etc), je fus estomaqué par <em>la densité</em> de Barthes, cette aptitude à saturer de sens un réel qui en semblait pourtant déserté (essayez donc de faire deux ou trois pages dignes sur les saponides et les détergents, le bifteck et les frites ou encore la photogénie électorale). Entre la poésie de Rilke et la mécanique de Sartre, il y avait donc place pour une sorte d'enchantement conceptuel du réel. Après tout, certains chercheurs en mathématiques évoquent bien leur champ d'étude comme un univers infiniment poétique.L'un de ces textes : <em>Mythologies</em>, publié en 1957, eut une portée et, pour ainsi dire, une saveur particulières. Je peux bien dire que, très vite ici, sa forme, c'est-à-dire sa structure, son appareillage, sa tonalité, sa liberté-même, son intelligence avec le réel, son jeu avec les concepts, se sont imposés à moi comme la référence possible d'un projet d'ouvrage qui entreprendrait, selon une inspiration proche, de décrypter l'Amérique en bousculant la banalité trompeuse des signes qu'elle produit (le steack frites se verrait ainsi transformé en hamburger, Poujade en Huckabee, la nouvelle Citroën en Mustang Bullit, le vin en whiskey, le visage de Garbo en sourire d'Anna Nicole Smith, etc).A part à un ami américain qui contestait l'idée même d'une culture américaine (encore un francophile), je ne crois pas avoir beaucoup parlé de cette idée. Je ne crois pas non plus, au-delà de ces années de jeunesse et de formation, avoir dit clairement que Barthes fût, sur un plan personnel, à ce point décisif (seule ombre au tableau, mais elle ne fut alors que l'habituelle bêtasse protestation de virilité adolescente : je n'aimai guère apprendre par hasard, après avoir lu les <em>Fragments</em>, que l'auteur fût homosexuel).Or, je reçois ce matin un petit paquet aux atours prometteurs, malmené juste ce qu'il faut, de son périple transatlantique, couvert de multiples étiquettes, d'inscriptions en tous sens, de signes d'intermédiation divers qui, entre carte de voeux et cartes postales romaines, contient un petit livre. Sur une belle couverture de couleur souris, on lit en lettres argentées : "R|B", puis en dessous, en plus petits caractères : "Roland Barthes, Mythologies". Il s'agit d'une réédition du texte qui, auparavant disponible en Points Seuil, n'avait certes pas l'élégance que lui confère cette réédition de luxe (l'étudiant s'en fiche, l'adulte s'en délecte).Ce "R|B", qui représente naturellement les initiales de Barthes, figure aussi celles de l'amie à l'origine de l'envoi, ce qui fait que d'un même mouvement on célèbre l'auteur et le passeur, l'intelligence et la connivence, le concept et le commerce, l'objet et le signe, bref, la littérature et l'amitié. Je vous souhaite, pour cette année et pour celles à suivre, sans limitation de durée, d'aussi heureuses connexions.
Olivier Beaunayhttp://oliverbe.blogspirit.com/about.htmlJulien Gracq est mort (2) On the move (sur un sortilège embusqué)tag:oliverbe.blogspirit.com,2008-01-03:14499372008-01-03T21:35:00+01:002008-01-03T21:35:00+01:00Puis il y eut, un jour de 1994, la lecture du "Rivage des Syrtes". C'était...
Puis il y eut, un jour de 1994, la lecture du "Rivage des Syrtes". C'était une étrange période qui flottait entre le souvenir encore vif de mon initiation à la culture kanak, un séminaire d'anthropologie à l'EHESS avec Bensa, un goût encore prononcé pour la politique, et puis l'exigence d'avoir à choisir sa voie au retour à Paris. Cela avait un parfum à la fois marqué et diffus d'effervescence et d'épopée, c'était un moment à part, comme suspendu. Presque un pur moment de poésie comme il y en a finalement assez peu dans la vie, entre un concours et une histoire, une arrivée et un nouveau départ.De ce roman, je me souviens à vrai dire de peu de choses. Deux personnages, Aldo, d'Orsenna (cela, à la vérité, sonne un peu comme le nom de mon oncle, Duilio De Chiara, mort jeune) et Vanessa Aldobrandi. Pendant de longs mois, j'ai eu ce nom de femme en tête, à le psalmodier presque comme un accomplissement du féminin tandis que, dans la réalité, le féminin me laissait un peu de répit. Erreur : comme j'en parlais du coup avec la ferveur des nouveaux célibataires à un autre admirateur au cours d'une soirée, cela créa un malentendu : tandis que je célébrais le livre, on me faisait des avances.Peu de choses donc, une atmosphère irréelle et saisissante, qui se prolonge longtemps après qu'on a refermé le livre. Une lecture de jeunesse plus puissante que ne le fut en hyppokhâgne la découverte de "Belle du Seigneur". Mais l'on finit par renier assez vite le pavé de Cohen tandis que l'on vénère encore, bien des années plus tard, le livre de Gracq. Si l'on se doutait que la littérature avait autant de puissance, ce n'est pas les ouvrages érotiques que l'on mettrait dans les enfers, mais les livres de poésie.Je ne résiste pas à reprendre ce que dit Gracq de sa tentative dans "En lisant, en écrivant" : " Ce que j’ai cherché à faire, entre autres choses, dans Le Rivage des Syrtes, plutôt qu’à raconter une histoire intemporelle, c’est à libérer par distillation un élément volatil "l’esprit-de-l’Histoire", au sens où on parle d’esprit-de-vin et à le raffiner suffisamment pour qu’il pût s’enflammer au contact de l’imagination. Il y a dans l’Histoire un sortilège embusqué, un élément qui, quoique mêlé à une masse considérable d’excipient inerte, a la vertu de griser. Il n’est pas question, bien sûr, de l’isoler de son support. Mais les tableaux et les récits du passé en recèlent une teneur extrêmement inégale et, tout comme on concentre certains minerais, il n’est pas interdit à la fiction de parvenir à l’augmenter"."Quand l’Histoire bande ses ressorts, poursuit l'auteur, comme elle fit, pratiquement sans un moment de répit, de 1929 à 1939, elle dispose sur l’ouïe intérieure de la même agressivité monitrice qu’a sur l’oreille, au bord de la mer, la marée montante dont je distingue si bien la nuit à Sion, du fond de mon lit, et en l’absence de toute notion d’heure, la rumeur spécifique d’alarme, pareille au léger bourdonnement de la fièvre qui s’installe. L’anglais dit qu’elle est alors <em>on the move</em>. C’est cette remise en route de l’Histoire, aussi imperceptible, aussi saisissante dans ses commencements que le premier tressaillement d’une coque qui glisse à la mer, qui m’occupait l’esprit quand j’ai projeté le livre. J’aurais voulu qu’il ait la majesté paresseuse du premier grondement lointain de l’orage, qui n’a aucun besoin de hausser le ton pour s’imposer, préparé qu’il est par une longue torpeur imperçue."Ne retenir de tout cela que ces deux noms, au fond, c'est consacrer le roman. C'est sans doute exactement à cela qu'aurait pu penser Barthes lorsqu'il expliquait son incapacité à écrire un roman par la difficulté à donner naissance, dans la fiction, aux noms justes (je crois que c'est en commentant quelques noms célèbres dont celui de Combray). Le nom comme signe indubitable d'un nouveau monde, qui serait à la fois intime et partageable.Comme dit encore Jacques Rancière dans une interview récente au Monde : "Le partage du sensible, c'est la configuration de ce qui est donné, de ce qu'on peut ressentir, des noms et des modes de signification qu'on peut donner aux choses, de la manière dont un espace est peuplé, des capacités que manifestent les corps qui l'occupent. La littérature fait de la politique en bouleversant la configuration de cet espace et en donnant à ces corps des puissances nouvelles".Voilà, au fond, c'est cela, que j'ai tenté de contrecarrer pendant vingt ans et qui est pourtant simple : il y a une supériorité de la poésie sur la politique.
Olivier Beaunayhttp://oliverbe.blogspirit.com/about.htmlUn tour du monde express (1) Chicago-Paristag:oliverbe.blogspirit.com,2007-09-25:13732132007-09-25T20:10:00+02:002007-09-25T20:10:00+02:00A Chicago, sur la route menant de Midway à Ohare International Airport,...
A Chicago, sur la route menant de Midway à Ohare International Airport, conversation à bâtons rompus avec Arunas, un Lituanien installé à Los Angeles. Arunas (qui, pour simplifier la tâche de ses interlocuteurs, se fait appeler "Mark"...) est un graphiste de trente-cinq ans qui se demande comment développer son affaire pour pouvoir vivre bientôt de ses rentes. Pour lui - un de plus -, la civilisation de George Bush s'écroule, là, sous nos yeux, dans une succession de mensonges et d'échecs, de mauvais diagnostics et de politiques destructrices. On manque bientôt de pétrole aux Etats-Unis, mais c'est sans doute pour prévenir une autre guerre plus terrible et promouvoir la démocratie que l'on est revenu en Irak. "Stupid people" lance Arunas contre ses compatriotes en se demandant, à propos de du monde arabe, ce que les Américains peuvent bien avoir à nous apprendre dans ce qu'il voit, associé à l'Afrique et à l'instar de la façon dont les Américains perçoivent eux-même l'Amérique latine, comme notre "arrière cour", voire notre "chasse gardée". Pour tout Américain, il semble que le libéralisme appliqué à la géopolitique rencontre assez vite ses limites. L'autocritique est, cela dit, un sport très pratiqué, souvent de façon un peu convenue, parmi les Américains des côtes. Il en va d'ailleurs de même pour les Français qui s'expatrient là-bas ; c'est une façon, pour chacun, d'ouvrir ses frontières et de faire un peu de place à l'autre. Débarquant de Chicago à Paris, et au risque de la caricature, ce que l'on sent d'abord, c'est la province. Passage de Bercy, autour du Cour Saint-Emilion, à Port-Royal, entre Mouffetard et les Gobelins - ancien territoire de l'intime, où j'établis à nouveau mon quartier général. D'une enclave aux allures de vignoble aux airs faussement populaires de ce marché parisien - le plus cher de Paris, le plus goûté aussi des Américains en vadrouille (avant du moins que le dollar ne parte en quenouille, ce qui leur gâte toujours un peu le plaisir des retrouvailles) -, quelque chose s'impose comme une ambiance de village paisible qui s'ébrouerait dans les replis des quartiers, aux terrasses ensoleillées des cafés, dans les allées des parcs, au long des rues touristiques. Ce n'est pas une torpeur estivale, c'est un mode de vie qui s'ignore. On est toujours la province d'un autre lieu.Ce que l'on retrouve d'abord, partout - dans les taxis, dans les rues, à la télévision (jusque pour la série la plus insignifiante que l'on aurait jadis dédaignée), à la terrasse des restaurants, dans les réunions de travail et les retrouvailles, c'est le plaisir de sa langue. Par la seule vertu de sa musique propre, elle fait basculer d'un monde inconnu à un univers familier. La célébration des objets a aussi sa place dans les retrouvailles. Le dernier Chevillard à L'arbre du voyageur, un magnifique Martini à L'arbre à lettres, les nouvelles mythologies... La réforme sous toutes ses coutures et la littérature dans ce qu'elle a de plus bouillonnant et de plus libre (je reparlerai, bien sûr, de Chevillard). Pour un peu, les objets de culture deviendraient ceux d'un culte retrouvé. Il en va de même du système de la mode, des lignes d'une Tod's à la coupe d'un Paul Smith ; même impression du côté d'un tailleur du Sentier découvert à l'occasion d'une retouche express entre une convocation à l'ambassade et une réunion de travail avenue de Ségur : les tissus commandent par leurs lignes épurées la forme minimaliste des costumes. D'accord là-dessus avec la styliste de Raspail, il me semble aussi que l'élégance a toujours partie liée avec la sobriété.Pour le reste, à part quelques belles trouées de soleil en fin d'après-midi sur le dôme du Panthéon, le temps semble gris - et les gens aussi, touristes compris. Est-ce l'étourdissement des promesses de changement tous azimuts, ou les premiers effets d'une tonitruante "faillite" annoncée ? Dans les apparences, toujours un peu subjectives, de l'atmosphère de la rue, le pays semble encore attentiste. Il donne l'impression de subir encore davantage la situation que de s'atteler à enclencher une nouvelle dynamique. Il est temps que les "nouvelles élites" mises au jour par Fouks et sa bande prennent plus franchement les rennes du pouvoir. Une affaire de génération, oui : cela fait vingt ans que ce monde-là nous fatigue sans nous entraîner.